mardi 9 avril 2019

Laïcité. Une loi incomplète, mais il ne faut pas céder!

Image TVA Nouvelles

S'il fallait choisir un camp dans ce capharnaüm d'invectives qui embrouille le débat sur la laïcité, j'appuierais sans doute le projet de loi 21 du gouvernement Legault, mais en me pinçant le nez.

D'abord les fleurs. Le gouvernement de la CAQ se comporte en gouvernement «national» et non en succursale provinciale. Il énonce le caractère fondamental de la laïcité de l'État québécois. Il associe cette laïcité à un principe tout aussi fondamental, l'égalité hommes-femmes. Et il affirme la souveraineté de l'Assemblée nationale en la matière, soustrayant sa loi aux dictats d'une cour suprême nommée par le premier ministre fédéral.

Maintenant les pots. On a fait de la laïcité une composante de l'identité québécoise. Une erreur grave. Secundo, les articles les plus controversés de la loi (interdiction des signes religieux, visage découvert) s'appliquent à certains représentants de l'État, y compris les enseignants, mais pas à d'autres. L'État se donne un visage laïc par ci, et autorise les signes religieux par là...

Je ne cacherai pas ma préférence pour la Charte de de laïcité et de neutralité religieuse proposée en 2013 par Bernard Drainville sous l'éphémère gouvernement Marois, laquelle interdisait seulement les signes religieux «ostentatoires», mais étendait cette interdiction à l'ensemble du personnel de l'État, avec une période de transition sans clause grand-père.

Une loi trop modérée...

Le gouvernement Legault affirme que sa loi se veut modérée, donc davantage susceptible de créer un certain consensus. Oui, certes, mais seulement au sein de la majorité, parfois enthousiaste, parfois tiède, qui l'appuie. La colère haineuse qui caractérise les adversaires les plus militants de la laïcité de l'État s'est manifestée dans toute sa vigueur en dépit des efforts de modération. Accusations de racisme, de xénophobie, appels à la désobéissance civile, tout y est. Ce n'aurait pas été pire avec une loi à la Drainville...

Le traumatisme de la laïcisation aurait été intense avec une loi qui s'applique dans tous les organismes publics, mais la poussière serait vite retombée. Avec ce que propose la CAQ, les caméras, micros et stylos des scribes anglo-canadiens (et francophones) transformeront en martyrs chaque personne portant voile, kippa, turban ou croix qui se voit refuser un emploi d'enseignant. Ça ne finira jamais.

L'illogisme d'une laïcité partielle deviendra vite apparente quand le citoyen passera de l'école laïque à l'hôpital ou au bureau d'un ministère, où il pourra être servi par un personnel tout à fait libre de vous mettre sa religion (ou son athéisme) en pleine face. Cela dans un État qui se dit laïc...

Le volet identitaire

Maintenant la question identitaire. Il y a à peine soixante ans, on entendait encore couramment au Québec l'expression «la langue gardienne de la foi». Quoi? Jusqu'à la révolution tranquille, la religion faisait partie de notre identité nationale et aujourd'hui elle est remplacée par la laïcité? La réalité, c'est que notre identité comme peuple est fondée principalement sur la langue et la culture françaises, ainsi que sur 400 ans de vivre-ensemble. Pas sur la religion.

Jusqu'à la rébellion des Patriotes, le peuple savait envoyer paître les évêques quand il le fallait. Durant la grande noirceur intégriste qui a marqué le siècle suivant, le clergé catholique anglo-canadien a laissé clairement savoir aux francophones, et notamment aux Franco-Ontariens, que l'Église catholique ne serait jamais son allié identitaire. Et au cours du dernier demi-siècle, l'évacuation des religieux du domaine public s'est faite sans heurts, dans une continuité identitaire. La Loi 101 est devenue notre seul clocher.

Le combat mondial pour la séparation de l'Église et de l'État est en marche depuis des siècles et prend des formes particulières selon le continent, le pays, l'histoire et les valeurs. La laïcité ne fait pas partie des identités nationales. C'est plutôt l'identité nationale de chaque peuple qui façonne la laïcité sur son territoire, ou l'absence de laïcité selon le cas. L'évolution vers l'État laïc touche l'humanité entière.

Les sondages et les commentaires dans les médias et réseaux sociaux pan-canadiens indiquent d'ailleurs que la laïcité de l'État trouve des partisans dans une portion plus qu'appréciable de l'opinion anglo-canadienne. Si c'était la majorité, et ce le sera un jour, devra-t-on dire que la laïcité est devenue une composante identitaire de la «nation» canadienne-anglaise? Ou simplement une nouvelle avancée en terre nord-américaine d'une cause qui déborde largement pays et continents?

Alors quand le projet de loi 21 affirme que «la nation québécoise a des caractéristiques propres (dont) un parcours historique l'ayant amenée à développer un attachement particulier à la laïcité de l'État», il ouvre inutilement une boîte de Pandore et donne libre cours à l'hostilité de tous ces groupes qui contestent le droit de la majorité québécoise de se donner un pays à son image.

Trop tard pour reculer

Cela dit, il est trop tard pour reculer. Depuis plus de 250 ans, notre peuple n'a jamais été raciste. Il a été victime de racisme aux mains de l'occupant britannique, puis d'une majorité anglo-canadienne qui s'est toujours considérée supérieure et qui n'hésitait pas jadis à nous lancer des Speak White... Encore aujourd'hui, nos anciens Rhodésiens et les nouveaux arrivants qu'ils ont assimilés ne peuvent supporter d'obéir à la volonté des anciens porteurs d'eau et scieurs de bois.

Cette loi a beau demeurer faible et incomplète, elle a tout au moins le mérite d'édicter enfin le noble principe de la laïcité de l'État, et de l'appliquer. Là-dessus, il ne faut surtout pas céder!













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