Le sabordage
par Pierre Allard
Dans
le fracas qui continue de marquer le parcours du projet de loi péquiste sur la
laïcité et la neutralité religieuse de l’État, la décision du gouvernement
Marois de saborder ce qui restait du du projet de loi 14 modifiant la Charte de
la langue française est passée relativement inaperçue. Et c’est dommage, parce
que la Loi 101, adoptée en 1977, charcutée par les tribunaux, usée par
l’inaction, avait besoin d’une mise à jour.
Que
l’on soit d’accord ou pas avec les mesures que la ministre Diane De Courcy
avait présentées en décembre 2012 n’a jamais été le cœur du problème. Le
différend entre les partis était bien plus profond. Il ne s’agissait pas de
savoir s’il était opportun de renforcer la Loi 101, mais bien de s’interroger
sur la justification même du projet. Et là-dessus, le Parti libéral du Québec
(PLQ), et à un moindre degré la Coalition Avenir Québec (CAQ), ont répondu par
la négative. Pour l’Opposition, essentiellement, la langue française n’est pas
en danger au Québec.
Le
parti de François Legault avait adouci sa position et permis au projet de loi
14 de faire un bout de chemin, mais en fin de compte, la CAQ aurait refusé de
franciser les petites entreprises de 26 à 49 employés, de contester le statut
bilingue des municipalités ne répondant plus aux critères de la Loi 101 et d’entraver
l’entrée d’étudiants francophones dans les cégeps anglophones. Mme De Courcy
aurait-elle dû étirer les pourparlers dans l’espoir d’un compromis ?
Peut-être, mais les positions du PQ et de la CAQ sur ces questions paraissaient
plutôt fermes.
Non,
ce qui inquiète dans tout cet épisode, c’est la lecture de la situation sur le
terrain par les partis politiques, y compris le PQ. Ce dernier a profité du
débat sur le projet de loi 14 pour amorcer une réflexion sur le programme
d’anglais intensif en sixième année, mais sans grande conviction. Le
gouvernement Marois ne s’oppose toujours pas au principe de bilinguiser la
dernière année du primaire francophone, en dépit des dangers que cela pose dans
des régions comme l’Outaouais et Montréal, où l’anglais est omniprésent.
Les
positions les plus préoccupantes sont toutefois celles du Parti libéral, qui s’est
montré insensible aux avis d’experts sur l’érosion du français langue de
travail et aux données du recensement de 2011, où se côtoient la fragilité de
la francophonie et la robustesse de l’anglais. Selon le chef du PLQ, Philippe
Couillard, c’est une « idée pernicieuse » de présenter le bilinguisme « comme
une menace à notre société », alors que partout ailleurs dans le monde, le fait
d’être bilingue ou même trilingue constitue « un atout indispensable ». Tous
les jeunes Québécois doivent avoir accès à cet « atout essentiel », dit-il.
Au-delà
de l’inexactitude de cette affirmation, la vaste majorité de la planète étant
unilingue, cette notion du bilinguisme ne tient pas compte de la situation
particulière du Québec, îlot francophone dans une mer nord-américaine
anglophone et unilingue. Dans les pays européens où bilinguisme et
plurilinguisme sont répandus, et à l’occasion majoritaires, la langue nationale
n’est pas menacée comme langue commune et les répercussions identitaires sont à
peu près nulles. Les Néerlandais et Suédois bilingues restent linguistiquement
néerlandais et suédois.
En
Amérique du Nord – et les minorités canadiennes-françaises et acadiennes
peuvent en témoigner – la bilinguisation massive s’accompagne d’un glissement
identitaire et d’une assimilation à l’anglais. Après quelques générations, une
part importante des francophones devenus bilingues s’anglicise, et les
descendants sont le plus souvent unilingues… anglais. Entre bilinguisme et
plurilinguisme par choix, toujours souhaitable, et le bilinguisme imposé que
nous subissons, il y a toute une différence. Il y a pertes d’identité.
Quand
les politiciens auront compris cette mouvance, déjà aux portes du Québec, un nouveau
projet de loi 14 franchira – avec les modifications qui s’imposent – toutes les
étapes législatives.
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