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Yves-François Blanchet aux Communes (photo Presse canadienne) |
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Yves-François Blanchet aux Communes (photo Presse canadienne) |
Obfuscation (emprunt de l'anglais): énonciation d'une affirmation fausse ou imprécise de manière à dissimuler l'information pertinente.
L'ancien premier ministre québécois Robert Bourassa en était maître. On lui posait une question, puis on pouvait écouter sa réponse quatre ou cinq fois pour tenter d'en saisir le sens.
L'ancien président Richard Nixon avait lui aussi maîtrisé la technique de brouiller les messages parlés ou écrits. On avait même inventé le terme «nixonspeak» pour le caractériser.
Évidemment, que des politiciens pratiquent l'art de l'obfuscation ne surprendra personne.
Il n'en va pas de même pour les médias d'information. Ayant pour mission de rapporter et décoder les faits, une entreprise de presse qui les fausse, les obscurcit ou les cache commet un péché mortel.
Et pourtant, cela ne semble pas déranger les dirigeants de nos entreprises de presse ces jours-ci. Depuis plusieurs décennies dans certains cas...
Mais tenons-nous en au temps présent. Je lisais ce 9 juin un «mot de l'éditeur» sur le site Web Le Droit. Un texte qui commence bien mal, tenant compte qu'il n'y a plus d'éditeur au Droit. Le message est signé par le directeur général de l'organisation médiatique, François Carrier.
J'attendais cette communication depuis au moins quelques jours, sachant que la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie avait quitté l'équipe (pas de son propre gré) le 7 juin. Un départ médiatisé par Le Devoir, Radio-Canada et ONFR, mais pas dans les pages du Droit.
L'annonce du départ de Mme Lortie s'accompagnait de la révélation qu'elle ne serait pas remplacée, la rédactrice en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières devenant responsable de la rédaction du Droit en plus de la sienne. Cette nouvelle a été confirmée par M. Carrier et commentée par Mme Lortie, qui a parlé de «restructuration».
Le président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, Fabien Hébert, s'est inquiété de voir un poste de direction si important confié à une personne qui ne connaît pas l'Outaouais et l'Ontario. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec craint «un effet négatif».
La table était mise pour une défense par le siège social des Coops de l'information (à Québec) ou par le d.g. du Droit de ces décisions et de leur effet appréhendé: une explication du départ, de l'abolition du poste de rédacteur en chef, une réponse aux appréhensions exprimées par l'AFO, la FPJQ et, sans doute, une partie du lectorat.
Puis vint l'obfuscation...
Et voilà que paraît, enfin, le 9 juin, deux jours après le départ de la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie, un texte signé par le d.g. François Carrier sur le site Web du Droit (voir lien en bas de page). Pas un mot sur Mme Lortie. Pas d'explication. Pas de remerciement pour ses années de service. Pas de précision sur l'abolition du poste de rédacteur en chef ou une quelconque restructuration. Pas un mot sur la direction bicéphale confiée à la rédactrice en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières. Pas de réponse aux craintes exprimées par l'AFO et la FPJQ.
Le message du directeur général (présenté comme un texte de nouvelles par ailleurs) commence ainsi: «La production journalistique du Droit est fondamentale pour le développement de notre région et la santé de sa francophonie». Après avoir endossé des coupes draconiennes dans les effectifs de rédaction depuis des décennies, une telle déclaration de la direction du Droit suinte de cynisme.
Ce propos plutôt dénué de fondement (du moins pour le développement régional) sert de préambule à l'annonce de la création d'un poste de journaliste dans l'Est ontarien (la région entre Ottawa et la frontière du Québec au nord et au sud de la 417) et au rappel de la création en Outaouais d'un poste de rédaction dans «la région de Papineau», une appellation plutôt étrange pour un territoire qui couvre surtout la Petite-Nation.
Ce qu'on ne dit pas, c'est que ces postes existaient autrefois et qu'on les avaient abolis. C'est donc un retour et non une innovation. Le paragraphe se termine avec une prédiction aussi nébuleuse qu'optimiste: «D'autres (postes) devraient s'ajouter sous peu.» Combien? Quand? Où? Pour combien de temps? «Le Droit est là pour rester» assure M. Carrier. C'est bon de l'entendre, mais...
Ces «nouvelles recrues», lit-on, pourront compter «au cours des prochains mois» sur l'encadrement d'un ancien rédacteur en chef du Droit, Patrice Gaudreault. Une affectation temporaire, donc, durant laquelle il portera le titre bizarre de «chef d'équipe aux contenus du Droit». J'ai beau me gratter la tête, j'ai de la difficulté à comprendre ce que fera un «chef d'équipe aux contenus» quand on a déjà en poste un «coordonnateur à l'information» (autre titre nébuleux), Jean-François Dugas. Ce dernier a, en plus, un adjoint, Patrick Woodbury.
«C"est ce trio, dit M. Carrier, qui prendra l'ensemble des décisions rédactionnelles touchant l'actualité de l'Outaouais et de l'Ontario français». Voilà une affirmation qui mériterait éclaircissement. Leur mandat inclut-il la rédaction publicitaire, comme celle d'un magazine spécial pour le 50e anniversaire du Festival franco-ontarien (12 au 14 juin 2025) et de magazines subséquents en collaboration avec la Chambre de commerce de Gatineau?
Petit à-côté... Toutes ces gens qui ne jurent que par le numérique, qui ne s'ennuient pas de l'imprimé, ont décidé de produire une version papier du magazine sur le Festival franco-ontarien. On se demande bien pourquoi, tout en s'en réjouissant.
Notons enfin que le texte de M. Carrier est suivi d'un encadré intitulé «Soutenez l'information locale» remplie d'information fausse. «Le Droit, c'est une coopérative de solidarité appartenant à ses employés»: c'est faux, la coopérative Le Droit a été dissoute, comme celle des autres anciens journaux régionaux. Il ne reste qu'une coopérative nationale. On invite ensuite les lecteurs à faire «un don à notre coopérative (locale)», qui n'existe plus...
Misère...
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Lien au texte du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2025/06/10/du-nouveau-pour-emle-droitem-TPQ6JMNKOBAKVABJKKWN32PAV4/
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Photo publiée par la Chambre de commerce de Saskatoon |
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Gatineau et Trois-Rivières à la base du triangle isocèle, Clova (en rouge) au sommet! |
Au moment où je croyais qu'il était devenu impossible d'effectuer de nouvelle coupe sans éteindre les dernières braises de l'ancien quotidien Le Droit, l'impossible s'est produit!
En mars 2020, le journal papier de l'Outaouais et de l'Ontario français avait cessé d'exister en semaine. Le quotidien numérique a rendu l'âme en avril 2023. L'édition imprimée du samedi a publiée pour la dernière fois le 30 décembre 2023. Ne reste désormais qu'un babillard Web mis à jour en temps réel.
Jadis indépendant, Le Droit est passé à partir des années 1980 au hachoir des empires de presse (Unimédia, Hollnger, Power-Gesca). Menacé de disparition en 2014 par les frères Demarais, le journal a été acquis par Groupe Capitales Médias (avec cinq autres quotidiens régionaux) avant de se transformer en coopérative (en 2019) pour éviter une nouvelle fois la fermeture.
Tous ces chambardements s'accompagnant de coupes de personnel, y compris à la rédaction, l'organisation a fondu comme peau de chagrin. Le 22 mars 2023, Le Droit a cessé d'exister comme entreprise autonome, les six coopératives de CN2i s'étant fusionnées pour former une seule organisation nationale à but non lucratif.
Alourdie par une dette de six millions de dollars (selon Le Devoir), ne comptant plus que 250 employés à Gatineau, Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke, Saguenay, et Granby, la Coopérative nationale de l'information indépendante a annoncé le 1er mai 2025 un nouveau licenciement d'une trentaine de membres du personnel.
Au-delà de quelques lignes téléphoniques et d'une adresse (pour combien de temps?), il reste au Droit moins que le strict minimum requis pour remplir sa mission d'information. Une quinzaine de journalistes héroïques? Une poignée de représentants publicitaires dynamiques? Quelques membres d'une direction fatiguée?
Je ne l'aurais pas cru, mais on a trouvé le moyen d'amincir encore davantage les effectifs, et pas n'importe lesquels. On apprenait récemment par Le Devoir* (et non de CN2i) le départ - le 7 juin - de la rédactrice en chef du Droit, Marie-Claude Lortie, pas volontaire dit-on, accompagné d'une fusion des postes de rédacteur en chef du Droit et du Nouvelliste de Trois-Rivières.
Fallait y penser... Ce sera probablement une première au Québec, un seul patron de la rédaction pour ces deux anciens quotidiens. La question se posera évidemment: qui sera ce chef bicéphale? Où cette personne aura-t-elle son bureau? À Trois-Rivières? À Gatineau? Alternance de semaine en semaine entre l'Outaouais et la Mauricie? Tout diriger du site Web amiral à Québec?
Selon un suivi de Radio-Canada, publié le lendemain du texte du Devoir, «tout ça n'est pas encore ficelé», mais rien n'indique qu'on remplacera l'actuelle rédactrice en chef au Nouvelliste... Au Droit, on parle de «morosité», tandis que l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario) et la FPJQ s'inquiètent de la possibilité d'un patron ancré à Trois-Rivières, si éloigné du territoire de couverture du Droit.
La déclaration du directeur général du Droit, François Carrier, à l'effet que «tout ça» n'aura pas d'effet sur l'indépendance de la salle de rédaction ottavienne-gatinoise, s'inscrit dans une longue lignée de propos loufoques tenus au cours des dix dernières années. À chaque promesse de «pas d'effet» ou pire, d'amélioration, les conséquences ont toujours été les mêmes.
Alors, tant qu'à crapahuter au pays des merveilles, je me permets une proposition originale, étrange, mais faisable avec l'Internet satellite. Sur la carte, vous verrez que l'Outaouais et la Mauricie se touchent au 48e parallèle. Créez un triangle isocèle (voir image en haut de page) à partir de Gatineau et Trois-Rivières, et au sommet vous trouverez le hameau de Clova, techniquement en Mauricie mais tout près de la pointe nord-est de l'Outaouais.
À distance à peu près égale des Gatinois et Trifluviens, le village forestier serait l'endroit idéal pour la patronne ou le patron de journalistes qui, de toute façon, travaillent essentiellement de chez soi ou sur la route. Clova a même une valeur symbolique pour CN2i, toujours au bord du précipice.
En juin 2023, menacé de toutes parts par d'immenses feux de forêt, abandonné aux flammes par le premier ministre Legault, le village avait miraculeusement survécu, presque intact, grâce aux efforts des équipes de la SOPFEU et à la solidarité de ses quelques dizaines d'habitants.
Qui dit mieux? Dans un tel environnement, la nouvelle ou le nouveau patron des salles de rédaction du Droit et de Trois-Rivières saura s'inspirer du courage de ses concitoyens pour tenter de sauver de l'abîme ses bouts d'entreprise.
C'est drôle, mais c'est pas drôle...
Clova! Clova! Clova!
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Vue aérienne de Clova, photo Radio-Canada |
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* Lien au texte du Devoir - https://www.ledevoir.com/culture/medias/878083/journal-droit-retrouve-redacteur-chef
**- Voir aussi textes de Radio-Canada et ONFR -
et
https://onfr.tfo.org/le-droit-naura-plus-de-redaction-en-chef-a-ottawa-gatineau/