lundi 7 novembre 2016

Radio-Canada… cible trop facile...

Hors Québec, et même hors Montréal, les émissions télé et radio de la Société Radio-Canada (y compris les bulletins de nouvelles) ont été et restent souvent la cible de critiques. Trop Québec-centrées pour les uns, trop Montréal-centrées pour les autres… Radio-Canada étant une société d'État, propriété publique donc, les citoyens-patrons ont bien le droit, quand ils le veulent, d'y mettre leur grain de sel ou, plus souvent, leur grain de poivre…

Le problème, c'est toujours de faire la part des choses… Il est facile, trop facile même, de garrocher des roches sans trop de retenue au réseau public de langue française sous prétexte qu'on n'y parle pas assez fréquemment de Sudbury, de Chéticamp, de Chibougamau ou de Matane… Mais qu'en est-il vraiment? À la passion que soulève de temps à autre toute discussion sur cette question, il semble exister un ressentiment profond, même une certaine exaspération face à Radio-Canada dans certains milieux.

Mais si je crois au vieil adage «pas de fumée sans feu», faute d'enquête exhaustive on n'a guère d'indices probants sur la gravité de «l'incendie»… Alors, partir de quelques émissions de RDI pour conclure à un «esprit de clocher», à un «ghetto québécois» et pire, affirmer que Radio-Canada «fait oeuvre d'acculturation, voire d'assimilation», il y a loin - très loin même - de la coupe aux lèvres…

C'est pourtant ce qu'a fait, ce lundi 7 novembre, en page éditoriale du quotidien Le Droit, l'auteur Paul-François Sylvestre, un commentateur respecté, militant franco-ontarien depuis une cinquantaine d'années, dans son texte intitulé Radio-Canada… ou Radio-Québec? (bit.ly/2fuPLUk). Avec plus de 500 partages Facebook dans les heures suivant sa publication, le texte fait rapidement le tour des réseaux, et les commentaires vus jusqu'à maintenant oscillent autour d'un appui sans réserve…

Je ne suis pas prêt à donner l'absolution sans confession aux artisans radio-canadiens, mais ils ne méritent pas d'être jugés, condamnés et pendus haut et court sur la place publique sans procès équitable. Je vais donc me risquer tout en restant critique, parce que j'estime parfois le réseau plutôt Montréal-centré, à me porter à la défense de notre société d'État malmenée… à partir ce ce que je sais, et en avouant qu'il y a plein de choses que je ne sais pas…

Puis-je commencer en affirmant, sans certitude absolue, que Radio-Canada est probablement à l'image de la grande nation francophone (québécoise pour la plupart, canadienne-française pour plusieurs, le débat n'est pas clos là-dessus) qui peuple divers coins du Canada mais qui se concentre principalement autour du grand bassin du Saint-Laurent, au Québec, depuis des centaines d'années. C'est là que bat le coeur de la nation. C'est là qu'habite l'immense majorité des gens pour qui le français reste la langue d'usage - ceux et celles qui vivent en français, travaillent en français, utilisent des outils culturels de langue française y compris les médias.

Radio-Canada a beau avoir une mission différente de celle des médias des secteurs privés, on sait que les cotes d'écoute déterminent souvent le sort des émissions, des stations et même des réseaux. Faut-il alors se surprendre que la programmation - surtout celle autour des heures de forte écoute - soit axée sur les milieux les plus susceptibles de s'y intéresser? Si plus de 90% des francophones du Canada (selon la langue d'usage) se concentrent au Québec, Radio-Canada ne peut en faire abstraction. Cela ne signifie pas que les auditoires minoritaires en Acadie, en Ontario ou dans l'Ouest ne soient pas précieux, mais ils ne sont pas nombreux, et ont tendance déjà à consommer des médias de langue anglaise.

Les bulletins de nouvelles nationaux, sans doute à l'image des autres émissions, ont été ciblés aussi par les critiques. Mais il reste que Radio-Canada - et c'est le seul réseau à le faire - s'est dotée de salles de nouvelles dans la plupart des régions du pays, du Pacifique à l'Atlantique - où se trouvent des concentrations de francophones. Elle diffuse des bulletins de nouvelles régionaux et je peux vous assurer que sur le Web, je n'ai vu aucun réseau privé ou public, électronique ou imprimé, qui propose une plus grande quantité d'information sur la francophonie hors-Québec. Est-ce suffisant? Doit-on y accorder plus de place dans les temps d'antenne «nationaux»? La question est posée.

J'ai oeuvré pendant des décennies au quotidien Le Droit, qui a subi (parfois avec raison, souvent à tort) plus que sa part d'injures de la part de nombreux Franco-Ontariens. Mais trop souvent j'ai eu la conviction - et la preuve - qu'un grand nombre de détracteurs du journal n'y étaient pas abonnés, et ne le lisaient même pas. Et pourtant, bon an mal an, le quotidien de la capitale publiait dix, cent fois plus de nouvelles sur l'Ontario français que ses concurrents de langue anglaise… J'ose espérer que les critiques à l'endroit de Radio-Canada proviennent toutes de gens qui l'écoutent et le regardent… comme c'est le cas, j'en suis sûr, pour Paul-François Sylvestre.

Par ailleurs le Québec, même s'il ignore trop souvent à peu près tout de la réalité des Franco-Canadiens vivant ailleurs au pays, situation que j'ai eu l'occasion de déplorer, n'est pas un ghetto. C'est une société vibrante, ouverte sur le monde, dynamique, et, sur le plan culturel, menacée comme l'ensemble de la francophonie nord-américaine. L'avenir de la nation s'y joue, y compris l'avenir des minorités francophones hors-Québec, qui ne pourront jamais survivre sans un Québec français en pleine possession de ses moyens. Ce qui s'y passe, et ce que Radio-Canada en montre, n'est pas étranger aux intérêts des Franco-Ontariens ou des Acadiens. Cela les concerne, en tant que francophones, même si c'est au Québec. Est-ce trop Québec-centré? Doit-on mieux doser? La question est posée.

J'ai beau pester à l'occasion parce qu'il me semble que les grands médias, y compris Radio-Canada, oublient parfois l'Outaouais et sa métropole, Gatineau, quatrième ville du Québec, j'ai la conviction que nous avons en Radio-Canada un excellent outil culturel et que ses artisans, en dépit d'obstacles de tous genres, politiques, bureaucratiques, économiques, font souvent des miracles avec les moyens qu'ils ont. Cela ne les met pas à l'abri des critiques, loin de là, mais on a fait de Radio-Canada, dans certains milieux, une cible trop facile.

J'aimerais bien qu'on décortique la réalité radio-canadienne (peut-être une telle enquête existe-t-elle déjà, et que je n'en ai pas pris connaissance…) et qu'on puisse brosser un tableau réaliste, susceptible d'accréditer ou écarter ces allégations de Québec-centrisme ou Montréal-centrisme, et d'apporter au besoins des correctifs qui, j'en suis sûr, ne satisferont jamais tous les détracteurs.

Entre-temps, tout au moins pourrait-on s'abstenir de prétendre abusivement que Radio-Canada, notre meilleur outil culturel public de langue française à l'échelle du pays, favorise l'anglicisation des Canadiens français… En 2010, une étude de Statistique Canada affirmait déjà que seulement un peu plus de 10% des Franco-Ontariens consommaient des médias exclusivement ou surtout en français. Croit-on vraiment que cela puisse être dû au contenu des émissions de Radio-Canada, ou bien davantage à l'influence d'une société anglo-dominante qui exerce une pression de plus en plus intense sur les minorités linguistiques…

Quoiqu'il en soit, je n'ai aucune certitude à l'endroit de Radio-Canada. Il semble que je sois un oiseau rare...




4 commentaires:

  1. Radio-Canada n'est certainement pas le seul facteur pouvant contribuer à l'assimilation des francophones hors-Québec mais il n'aide sûrement pas. Un réseau supposément national ou pan-canadien qui dégage une image de québécité à tout bout de champs n'a rien pour attirer la jeunesse franco-canadienne qui ne peut s'identifier à des CEGEP, des CLSC, ou tout autre acronyme du paysage québécois. Des bulletins de nouvelles nationaux qui parlent presque exclusivement d'actualité québécoise et parfois du Canada-anglais n'a rien pour attirer les Canadiens-français coast-to-coast. Il faut avoir vécu au sein d'une minorité toute sa vie pour le savoir. C'est au coeur d'une mer anglo-saxonne, en y vivant jour après jour, que l'on sait ce que c'est de se battre pour sa langue et sa culture et savoir ce qui va et ne va pas dans notre quotidien. Et ce qui ne va pas, entre autres, ce sont certains médias qui sont sensés nous desservir et qui ne remplissent pas adéquatement leur mandat. Comme Franco-Ontarien, je ne me sens pas interpellé par Radio-Canada. Certaines émissions me divertissent mais elles me semblent toutes conçues pour d'autres, pour des Québécois, mais pas pour moi. Je dois donc me tourner vers d'autres médias télévisuels lorsque MON médium ne me parle plus de ce qui me touche dans mon vécu quotidien. Je n'ai besoin d'aucune étude pour me le prouver; je le vis chaque jour. Et ça, c'est ma réalité.

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  2. Un oiseau rare en effet, du moins je l'espère. Je vous fais part d'une étude très exhaustive qui a été dirigé par l'Honorable Sénateur Pierre De Bané en 2012 et qui démontre jusqu'à quel point Radio-Canada/Montréal ne répond pas au mandat qui lui a été confié par le gouvernement du Canada dans sa Loi sur la radiodiffusion de 1991 et dont l'élément essentiel se lit comme suit : « La programmation de la Société devrait à la fois (à l'Article ii) refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu'au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions, et (à l'Article vi) contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales. »

    Le rapport de l'étude dirigé par le Sénateur De Bané et publié en trois parties en octobre 2012 est intitulé : « Les égarements de Radio-Canada ».
    Volume 1 : Les manquements de la Société Radio-Canada envers les Canadiens et les moyens pour remédier à la situation. 29 pages.
    Volume 2 : Radio-Canada : Refléter le Québec aux Québécois ou refléter le Canada, ses régions et sa diversité en français à tous les Canadiens? 272 pages
    Volume 3 : Analyse quantitative du contenu de Téléjournal de Radio-Canada. 99 pages très instructives.
    Résumé : Les égarements de Radio-Canada – Points saillants et Recommandations. 13 pages.

    L'étude démontre très clairement que Radio-Canada ne répond pas à son mandat, qu'il y a un manquement flagrant, que le poste au niveau national canadien est axé sur le Québec et les Québécois. Le résultat en est que les Québécois n'apprennent rien concernant les 1.1 millions de Canadiens français hors Québec (15% de la population Canadienne française et non 10%), ce qui contribue à faire croire aux Québécois les préjugés colportés par les séparatistes que nous sommes tous et toutes assimilés.

    C'est ce phénomène crucial qui semble vous échapper puisque vous n'en parlez pas dans votre chronique.

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    1. J'avais lu l'étude en question (je l'ai toujours) et sans nier sa pertinence, ni l'immensité de l'effort du sénateur, je préférerais une étude plus globale et plus objective (non politique).

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  3. Volume 3, l'analyse quantitative n'est pas objective? Elle est subjective? Elle est politique. Je suis déçu d'une telle objection injustifiable, pour ne pas dire illogique.

    Plus important encore, vous ne répondez pas à la partie la plus pertinente de mon intervention: les deux derniers paragraphes qui sont reliés au premier qui cite le mandat donné à Radio-Canada: "contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales". Au Québec, avec Radio-Canada, ce partage est un gros zéro. Il n'y a que du nombrilisme. Ce qui se passe hors Québec n'existe pas.

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