Je ne sais pas pour vous mais il m'arrive de chanter dans la douche. Pas à voix haute. Quelqu'un pourrait m'entendre. Parfois ce ne sont que des bribes, quelques paroles, un refrain. Alors je cherche les mots qui manquent. Et c'est pire quand je ne me souviens pas du titre de la chanson... J'en ai fait l'expérience aujourd'hui.
En sortant de la salle de bain, vite à l'ordi pour tenter de raviver mes souvenirs lointains car je sais qu'il s'agit d'une comptine qui remonte à mon enfance. Entre «sur la mer Mé-Mé-Méditerranée», «au bout de cinq ou six semaines» et d'interminables «Ohé! Ohé!», il n'y avait que des «la-la-la» dans ma tête. En un rien de temps, à l'écran, le mystère fut résolu: il s'agissait de la chanson Il était un petit navire, que je n'avais sûrement pas écoutée au complet depuis très, très longtemps.
L'histoire se serait terminée là si je n'avais pas décidé de lire les 16 couplets de cette comptine que nos mamans nous chantaient sans doute innocemment, passant de génération en génération les airs que nos ancêtres avaient apportés du vieux pays depuis le 17e siècle. Celle-là, du moins les paroles, était connue des marins bretons de l'époque. Elle s'appelait alors La courte paille et l'histoire qu'elle raconte est horrifiante à tous points de vue.
Comment a-t-on pu transformer en comptine enfantine une chanson qui parle de cannibalisme? Car c'est de cela qu'il s'agit. Le «petit navire», après cinq ou six semaines en mer, manqua de vivres et on en vint à tirer à la courte paille pour savoir quel membre de l'équipage servirait de repas aux autres... On nous chantait sur un ton jovial les délibérations des marins sur la façon d'apprêter leur camarade:
«L'un voulait qu'on le mit à frire,
L'un voulait qu'on le mit à frire,
L'autre voulait-lait-lait le fricasser,
L'autre voulait-lait-lait le fricasser»...
Maman ne nous expliquait pas qu'on allait tuer un marin, le dépecer et le faire cuire pour sauver la vie des autres. Quelle horreur. Et le sort voulut que ce soit le plus jeune qui tire la courte paille. Sans doute un enfant. Et cela arrivait dans la vraie vie. Quand les marins parlaient de «la question délicate» ou de la «coutume de la mer», ils comprenaient ce que cela signifiait. Quoiqu'il en soit, le petit mousse grimpa au mât et pria la Sainte Vierge de le sauver:
«Empêche-les-les de-de me manger,
Empêche-les-les de-de me manger»...
Évidemment, comme toute bonne comptine, l'histoire apporte une conclusion heureuse. La Vierge exauce les prières du marin et des milliers de poissons sautent dans le navire, prêts à frire. Et le mousse fut sauvé de justesse.
Reste qu'on nous chantait une véritable histoire d'horreur, correspondant au terrible vécu d'une époque révolue.
Je vais bientôt être arrière-grand-père. Si j'ai la chance de tenir mon arrière-petit-fils Louis dans mes bras, je m'assurerai de ne pas lui chanter Il était un petit navire... Partons la mer est belle? Peut-être mais c'est aussi une histoire marine aux accents sombres. Tiens... Au clair de la lune, ou quelque chose d'aussi inoffensif fera l'affaire. Encore mieux, Mets ta tête sur mon épaule des Cowboys fringants...
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