vendredi 2 décembre 2022

Laissez-les entrer! Tout de suite!



L'affaire du serment d'allégeance pour les députés se simplifie de jour en jour. Quand il est question, comme on l'a cru au début, d'obligations constitutionnelles découlant de l'AANB de 1867, d'amendements à ces soi-disant obligations, et d'éventuels projets de loi, tout devient compliqué. Les juristes ne s'entendent pas et la collectivité journalistique, trop souvent rétive devant des tas d'arides textes constitutionnels et législatifs, nous a proposé un méli-mélo d'information qu'on peine à déchiffrer.

S'il y a une chose que j'ai apprise après un demi-siècle de journalisme, c'est de se méfier des experts juridiques. Ils ont fréquemment raison mais parfois, ils ont tort. Je ne suis ni avocat ni professeur de droit mais je sais lire et je crois pouvoir comprendre ce que je lis. Et une fois que je trouve une réponse fondée sur une recherche que j'espère solide, je n'ai pas peur de l'exprimer publiquement. Et si je me trompe? Tant pis. J'aurai appris de l'exercice.

Cette fois, devant le refus des trois députés péquistes de jurer fidélité au roi Charles III, et constatant le caractère approximatif des reportages dans la presse écrite et électronique, je suis allé aux sources. Et soudainement, tout m'apparaissait très clair. J'en ai tiré le raisonnement suivant, que j'estimais relever du gros bon sens:

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1. Charles III est le roi du Québec.

2. Le lien entre Charles III et le Québec est direct. Il ne fait pas de détour par Ottawa.

3. Le Québec est seul maître de sa constitution.

4. Son rapport avec le roi Charles III relève de sa constitution.

5. La Loi sur l'Assemblée nationale prescrit un seul serment de fidélité, au peuple québécois.

6. Le serment de fidélité au roi prescrit dans l'AANB de 1867 contredit le serment de fidélité au peuple dans la loi québécoise.

7. Le Québec, étant constitutionnellement maître de ses rapports avec son roi, a le droit de rédiger son propre serment d'allégeance. Ce qu'il a déjà fait en 1982.

8. Ce serment québécois, prescrit dans la Loi sur l'Assemblée nationale, rend donc inopérant le serment de l'AANB.

9. Les députés qui jurent fidélité au roi après avoir juré fidélité au peuple violent donc l'esprit et la lettre de la Loi sur l'Assemblée nationale.

Échec et mat.

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Pour ceux et celles qui n'ont pas déjà quitté ce texte de blogue, je reprends ici le cheminement depuis l'annonce, le 1er novembre, de la décision du président sortant de l'Assemblée nationale, François Paradis de confirmer l'obligation «constitutionnelle» du serment au roi Charles III pour pouvoir occuper son fauteuil de député.

Un reportage de TVA Nouvelles citait la décision de M. Paradis: «Dans ce contexte, la présidence n’a pas le pouvoir de dispenser un député d’une obligation constitutionnelle et elle ne peut juger recevable une motion qui permettrait de passer outre à cette obligation». Cette soi-disant obligation est contenue dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (AANB), aussi appelé Loi constitutionnelle de 1867, et n'a jamais été modifiée.

Ce que personne ne mentionne, c'est que la portée de l'AANB pour ce qui concerne les constitutions des provinces a été considérablement modifiée par le Comité judiciaire du Conseil privé de Grande-Bretagne (ancêtre de la Cour suprême fédérale) durant le premier demi-siècle de la Confédération. Et il avait été clairement établi que tout ce qui touche la constitution du Québec était à l'abri des interventions d'Ottawa, et qu'ainsi le rapport entre Québec et le roi ou la reine était direct. Pas de détour par Ottawa ou son gouverneur général...

Ainsi, les rapports entre Québec et son monarque, Charles III en l'occurence, relèvent de la constitution québécoise. Comme, jadis, l'existence ou pas du Conseil législatif (l'ancien Sénat du Québec), toujours présent dans l'AANB mais aboli en 1968 par simple projet de loi du Québec, sans nécessité d'amendement constitutionnel. Depuis ce temps, l'Assemblée nationale (qui remplace l'appellation «assemblée législative» dans l'AANB) exerce tous les pouvoirs octroyés jadis par la Grande-Bretagne et les Pères de la Confédération au Conseil législatif.

Je ne comprends pas pourquoi François Paradis, sans doute épaulé par des avocats en droit constitutionnel, a mis de l'avant la possibilité de la nécessité d'un amendement constitutionnel, devenu quasi impossible depuis la Charte imposée de 1982. La nouvelle présidente de l'Assemblée nationale, Nathalie Roy, semble avoir repris l'argument de son prédécesseur avec un bémol: «Pour atteindre ce but (liquider le serment au roi), dans l'hypothèse où une modification constitutionnelle complexe ne serait pas requise, il faudrait au minimum une loi du Parlement québécois qui modifierait en ce qui regarde le Québec l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867.»

Sans abandonner la possible nécessité d'un amendement constitutionnel, elle ouvre la porte à l'adoption d'une simple loi du Québec qui modifierait la portée de l'AANB, un peu à la sauce «Loi 96» qui a inséré dans la Loi constitutionnelle de 1867 la mention du français comme langue commune et officielle du Québec. Le premier ministre Legault semble avoir passé le premier élément à la guillotine. En annonçant un projet de loi pour rendre facultatif l'allégeance à Charles III, il a clairement écarté l'éventualité d'un amendement constitutionnel. Cela ne concerne que le Québec et sa propre constitution.

Ça règle, dans mon raisonnement, les articles 1 à 4 (voir ci-haut).

Arrivera donc un projet de loi. La question que je pose se résume en un mot: pourquoi? Si un projet de loi suffit pour annuler le serment au roi, il existe déjà. Il s'appelle Loi sur l'Assemblée nationale et a été adopté en 1982. Dans ce projet de loi, il est stipulé à l'article 15 et l'Annexe 1 que pour siéger, un député doit jurer fidélité au peuple québécois et à la constitution du Québec. Rien d'autre. On n'évoque pas le serment exigé par l'AANB, de la même façon qu'aucune mention n'était faite de l'AANB dans le projet de loi sur l'abolition du Conseil législatif et de la création de l'Assemblée nationale. Ce n'était pas nécessaire. Québec ne faisait qu'occuper un champ de compétence qui lui revenait en exclusivité. Toute disposition de la Loi constitutionnelle de 1867 à cet égard devenait inopérante sans même qu'on modifie le texte de 1867.

C'est ce Québec a fait en 1982 avec l'adoption de la Loi sur l'Assemblée nationale. Le serment unique que cette loi contient ne fait pas que rendre optionnel le serment de 1867 au roi. Il l'élimine. La loi québécoise impose un serment d'allégeance au peuple québécois. L'ancien serment, en affirmant la fidélité à un monarque de droit divin, chef religieux par surcroit, est contraire à l'affirmation de la primauté du peuple québécois. Il la contredit, de fait. Je ne suis pas avocat, ni constitutionnalisée, mais il me semble qu'on ne peut, du même souffle, jurer fidélité à une loi et à son contraire. Jurer fidélité au roi, c'est trahir le serment de fidélité au peuple. N'est-ce pas?

Ce que dit la Loi sur l'Assemblée nationale de 1982


Reste ma dernière question: que contiendra ce nouveau projet de loi? Que pour siéger, il n'y a que l'obligation de 1982 du serment d'allégeance au peuple et à la constitution du Québec contenu dans la Loi sur l'Assemblée nationale? Mais c'est ce que dit déjà la Loi sur l'Assemblée nationale. Le dire une seconde fois, c'est mieux? Peut-être ajoutera-t-on que l'on n'est plus lié par le serment au roi de l'AANB. Pourquoi? On n'a pas écrit dans la loi, en abolissant le Conseil législatif en 1968, que le Québec n'était plus lié par les dispositions de l'AANB (la Loi constitutionnelle de 1867). L'adoption de la loi québécoise suffisait. Comme celle de 1982 suffisait pour le serment d'allégeance au peuple québécois.

En ce qui me concerne, l'affaire est déjà réglée depuis longtemps. Depuis 1982. On n'a pas besoin de modifier la constitution. On n'a pas besoin d'un projet de loi. La présidente de l'Assemblée nationale n'avait pas le droit d'interdire aux députés du Parti québécois l'accès au Salon bleu. Ils s'étaient conformés aux exigences de la loi existante. Exigences qu'on ne fera que réitérer dans un nouveau projet de loi. Inutilement.

Laissez-les entrer! Toute de suite! Avec des excuses!


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