jeudi 29 mai 2025

Comment créer de toutes pièces 1 700 000 francophones hors Québec...


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Que diriez-vous si le Québec Community Groups Network (QCGN), organisme parapluie des Anglo-Québécois, affirmait représenter plus de 50% de la population du Québec, parce qu'au moins 4 300 000 des 8 400 000 Québécois sont «anglophones»? 

Après un moment d'incrédulité, vous diriez que ces gens sont tombés sur la tête, et vous auriez raison. Selon le plus récent recensement de Statistique Canada, celui de 2021, le nombre de personnes considérées comme anglophones au Québec se rapproche de 1 100 000, soit 13% de la population.

Pour arriver à plus de 50% d'anglophones au Québec, il faudrait inclure tous les francophones et allophones capables de s'exprimer en anglais. Ce qui n'a aucun sens, évidemment. Selon ce principe, si un francophone est bilingue, il est compté comme anglo. Ce qui ferait de moi, Pierre Allard, un Anglo-Québécois... 

Aucun média digne de ce nom ne tomberait dans un tel panneau... au Québec. Il en va autrement pour la francophonie hors Québec où la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA) utilise cette méthode de calcul pour prétendre qu'elle représente environ 2 800 000 francophones dans les neuf provinces et trois territoires à majorité anglophone.

Et nos bons journalistes, le plus souvent mal informés en matière de francophonie, utilisent ce chiffre fantaisiste dans leurs textes de nouvelles sans cligner de l'oeil (voir exemple ci-haut)...

En réalité, à l'extérieur du Québec on compte un peu plus d'un million de francophones selon les calculs les plus optimistes de Statistique Canada. En utilisant le critère de la langue d'usage à la maison, on frise les 700 000. Donc, pour arriver à 2 800 000, il faut compter tous les anglophones et allophones qui connaissent le français. Ce qui n'a aucun sens!

La capture d'écran du texte publié sur le site Web Le Droit (image ci-haut et lien en bas de page) n'a rien d'exceptionnelle. On brandit le chiffre gonflé de 2 800 000 sur toutes les plates-formes. La FCFA doit savoir que tout cela est ridicule. Mais elle le fait tout de même. Et dans un monde médiatique où les recherches sont parfois superficielles, ça passe comme lettre à la poste.

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Lien au texte du Droithttps://www.ledroit.com/franco/2025/05/27/liane-roy-reelue-a-la-tete-de-la-fcfa-pour-un-troisieme-mandat-QUJAR6SE7FAW7JF3SQ5IVTB4MM/ 


mercredi 28 mai 2025

Le Discours du Trône, la langue française et la culture québécoise: cumulonimbus à l'horizon...



Au-delà des cumulonimbus constitutionnels, politiques, économiques et culturels qu'il a largués sur l'horizon québécois, le Discours du Trône Mark-Carney-Charles-III constitue par ses erreurs et faussetés parfois mensongères une claque en pleine face pour les francophones du Québec, et même ceux du Canada tout entier.

Je n'ai pas pris le temps de mettre tout ça dans l'ordre, vu que je dois écrire ce texte à chaud. Mais allons-y tout de même.

Commençons par la fin.

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Ci-dessus, vous voyez un extrait de la traduction officielle en français des paroles de conclusion du Discours du Trône prononcées par Charles Windsor. Lisez bien: on précise qu'il s'agit de «l'hymne national», pas d'une traduction française (louche par ailleurs) de la version anglaise. C'est donc pour Mark Carney le seul hymne national du Canada. Le «L'» le dit bien.

Dans l'Ô Canada anglais, on chante: «With glowing hearts we see thee rise, the True North strong and free!». En français, nous entendons depuis toujours «Car ton bras sait porter l'épée, il sait porter la croix». Même dans la version bilingue officielle (oui, il existe une version fédérale bilingue du Ô Canada), on ne dit pas «the True North strong and free!»... 

A-t-on laissé aux services de traduction, ou pire au personnel politique du premier ministre, le soin de rendre officiel en français le «True North strong and free»? Ou est-ce tout simplement une erreur? Une grosse erreur. Ce n'est pas banal. La plupart des francophones du Québec (et peut-être même hors Québec) ne connaissent pas vraiment les paroles de l'Ô Canada anglais, Y compris moi!

Alors quand on propose aux quelque huit millions de «sujets» franco-canadiens de Charles III un passage de l'hymne national qui évoque «le Grand Nord fort et libre», ils vont chercher longtemps, en vain, pour le trouver. Avez-vous pensé à ça, M. Carney?

Par ailleurs, traduire «True North» par «Grand Nord» me semble plus que louche. Le Grand Nord, c'est le Nunavik, le Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest, le Yukon, à la limite les extrémités nordiques des provinces de l'Ouest. Au sud du 55e parallèle, où réside probablement plus de 95% de la population du Canada et du Québec, on est loin, très loin du Grand Nord. 

J'ai cherché des exemples de «True North» traduits en français et j'ai vu «vrai Nord», «Nord réel», «Nord magnétique», «Nord véritable» et occasionnellement Grand Nord. Même, une fois, «pays du Nord», que je trouverais bien acceptable.

Alors malmener la version officielle française du Ô Canada, modifier ses paroles avec une traduction louche, pour en faire la grande conclusion d'un Discours du Trône majeur, je considère cela comme une gifle. Pire, je semble être l'un des seuls. Dans les textes que j'ai lus ou les commentaires que j'ai entendus, personne n'a relevé cette erreur de fond. On en a même fait, sans précision, la manchette du journal Le Devoir. Misère...

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Passons à quelques autres horreurs.

«La langue française et la culture québécoise sont au coeur de l'identité canadienne. Elles définissent le pays que les Canadiens, les Canadiennes et moi aimons tant.» Cette déclaration nous emmène directement au pays des merveilles tant elle est contraire à la réalité historique et actuelle du Québec et du Canada.

J'ai bien aimé le commentaire de la politologue de l'Université Queen's, Stéphanie Chouinard, qui y voyait un moment «lunaire» du Discours du Trône. Une définition pertinente du Robert: «qui semble étranger au monde réel». Victime d'injustices et de persécutions depuis la Confédération, la langue française est encore aujourd'hui malmenée dans cette fédération anglo-dominante. Au Canada anglais, on aime un bilinguisme de façade, à condition que tout se passe en anglais. Alors quand Mark Carney parle, via Charles III, de cette langue et culture que «les Canadiens et moi aimons tant», j'ai la nausée. «Pincez-moi, quelqu'un», disait plus poliment Mme Chouinard sur X-Twitter.

Au-delà de ce gros mensonge, il y a cette affirmation que la langue française et la culture québécoise soient «au coeur de l'identité canadienne». Celle-là est épeurante, du moins au regard de la culture québécoise. Non satisfait d'avoir réduit le Québec au statut de province, d'un sur dix (sur 11) au sein d'une fédération sur laquelle il n'exerce aucun contrôle, voilà que le premier ministre du Canada attaque de front la souveraineté culturelle du Québec, un domaine où il n'a aucune compétence constitutionnelle.

La culture québécoise rayonne à travers le Canada, la France, la francophonie et la planète comme une entité originale, identifiable, reconnaissable, unique, indépendante du Canada anglais. Et voilà qu'on veut la réduire, aux yeux du monde, à simple composante d'une «identité canadienne» définie par Ottawa. Politiquement, un sur 10, culturellement, un sur trois... Toujours minoritaire... Cela augure mal pour les années qui viennent.

Bon. Assez pour aujourd'hui. Je reste cependant déçu de n'avoir vu ou entendu de commentaires sur ces aspects que je juge fondamentaux de de Discours du Trône. Peut-être ai-je mal regardé, mal entendu, mal vu? Ou pas...

mardi 27 mai 2025

Les francophones hors Québec et la monarchie...

«Les francophones hors Québec plus attachés à la monarchie que les Québécois»? Ce titre en page A4 du Devoir du lundi 26 mai m'a fait sursauter. Si j'avais lu «Les francophones hors Québec moins hostiles à la monarchie que les Québécois», j'aurais moins sursauté...

Ayant passé les 29 premières années de ma vie en sol ontarien, à Ottawa plus précisément, j'ai passé en revue mes souvenirs de cette époque sans y redécouvrir d'«attachement» à la Couronne britannique. Fascination, curiosité, jalousie peut-être devant ces aristocrates bijoutés d'un univers inatteignable pour le commun des mortels, mais aussi l'incarnation de cette domination anglo-britannique qui avait fait payer très, très cher aux Franco-Ontariens leurs luttes pour conserver la langue et la culture françaises.

Si je me fie au titre du Devoir, le monde hors Québec que j'ai connu serait révolu. «Le Canada anglais que je connaissais quand j'étais jeune n'existe plus. C'est terminé tout ça», affirme sans offrir de preuve l'historien franco-manitobain Philippe Mailhot, rappelant sa jeunesse plutôt anti-monarchique alors que les anglophones «s'enveloppaient dans la Couronne».

Avoir été historien, j'aurais étayé mon argument à l'aide d'exemples: recherches personnelles, études bien documentées, quelques sondages d'opinion, etc. Si ce type d'information existe, il aurait été mentionné dans l'article de journal, mais M. Mailhot n'en fait pas état. Il faut donc conclure que l'opinion de l'historien est fondée sur son expérience personnelle et professionnelle, au Manitoba. Rien n'autorise à en tirer une conclusion pour l'ensemble de la francophonie hors Québec.

Un autre historien, Damien-Claude Bélanger, de l'Université d'Ottawa, va plus loin que son collègue franco-manitobain dans son appréciation des sentiments de la diaspora canadienne-française envers la monarchie. «C'est sûr, dit-il, qu'historiquement parlant, il y a eu plus d'attachement à l'égard de la couronne chez les francophones hors Québec qu'au Québec en tant que tel

Ah, la certitude, ennemi mortel de l'information. «C'est sûr...» Cet historien québécois, spécialiste des rapports des Canadiens avec la monarchie, n'offre toutefois aucun exemple, aucun fait susceptible de justifier cette certitude.  À sa place, j'aurais immédiatement ajouté: voyez ce qui s'est produit ici, là, consultez telle étude démontrant les écarts d'attitude entre la francophonie québécoise et hors-Québec. Non. Rien.

La seule tentative de démontrer effectivement des gestes d'appui ou de soutien envers la monarchie se limite à un paragraphe, dont on ne sait trop s'il doit être attribué à M. Mailhot. On y lit: «Certains groupes francophones hors Québec (lesquels?) montrent depuis plusieurs années leur soutien à la monarchie. Lors du décès de la reine en 2022, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario avait demandé que les drapeaux franco-ontariens soient mis en berne

J'avoue mon ignorance ici. Je n'ai pas entendu ou lu d'information sur un soutien quelconque d'organismes canadiens-français ou acadiens pour la monarchie britannique. J'ai cependant la conviction qu'on ne peut interpréter des drapeaux en berne comme un soutien à la monarchie, et que les motifs de l'AFO lors du décès d'Elizabeth ont probablement plus à voir avec la rectitude politique qu'un quelconque loyalisme envers la royauté de la mère-patrie des anglos.

Je ne conteste pas la possibilité que les francophones hors Québec soient davantage attachés à la monarchie que les Québécois. Compte tenu de leur taux d'anglicisation catastrophique, il est même probable que ces collectivités adoptent des comportements et attitudes qui les rapprochent de la majorité anglophone. Mais de là à l'affirmer sans preuve, notamment dans une manchette de journal, il  y a un pas que les professionnels de l'information ne doivent pas franchir.


samedi 17 mai 2025

En 2050, les francophones seront minoritaires à Gatineau!

Une nouvelle identité dévoilée en juillet 2024 par la ville de Gatineau... Éloquent...

D'ici l'an 2050, au train où vont les choses, les francophones seront minoritaires à Gatineau, quatrième ville du Québec. À Montréal aussi, vous dites? Sans doute. À Laval aussi? Sans doute. Mais je vis à Gatineau. Je vois donc de plus près ce qui se passe ici, au royaume de la peur et du vivre à genoux. Et ce qui se passe, du moins sur le plan linguistique, n'est rien de moins que dramatique!

Les données du recensement fédéral de 2021 montraient déjà une anglicisation accélérée de la porte d'entrée du Québec en Outaouais. Mais les résultats de l'étude Situation des langues parlées au Québec de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ), publiés en mai 2025,  fondés sur une enquête réalisée en 2024, annoncent la catastrophe pour qui espère assurer la pérennité du caractère français de Gatineau.

Remarquez, on n'a pas vraiment besoin d'études et de recensements pour flairer le vent. Il suffit de tendre l'oreille vers la rue, le centre d'achats, le supermarché, le resto... J'étais au RONA la semaine dernière, dans l'est de la ville, et j'ai croisé dans le stationnement un groupe d'élèves de l'école secondaire du Versant (adjacente) marchant vers un casse-croûte à l'heure du lunch. Ils jasaient... en anglais. Et le personnel de RONA chargé de livrer chez moi le barbecue que nous venions d'acheter ne parlait pas français... Ce ne sont pas des cas isolés...

Mais revenons au rapport récent de l'ISQ, dont j'ai appris l'existence par le bulletin télé régional de Radio-Canada (Le Droit, à ma connaissance, n'a rien écrit là-dessus). L'étude de l'ISQ nous informe qu'en 2024, 62,9% des Gatinois parlent «le plus souvent» le français à la maison. En soi, cela ne signifie pas grand chose. Jusqu'à ce qu'on sache qu'il y a moins de 20 ans, au recensement de 2006, la proportion de personnes indiquant le français comme langue d'usage à la maison était de 80,7%...

Dans le vieux Hull, au coeur du centre-ville de Gatineau, francophone à 90% il y a un demi-siècle, la proportion d'anglophones et allophones frise désormais le 40%. Au rythme actuel, il suffira d'une décennie additionnelle de nouvelles tours d'habitation et de démolition de vieilles maisons allumettes pour minoriser la population de langue française et éteindre ce qui restait de notre présence avant l'invasion fédérale des années 1970.

L'arrivée massive d'Ontariens anglophones qui traversent la rivière des Outaouais pour des motifs économiques, l'augmentation constante d'immigrants portés à s'angliciser, se voyant davantage Canadiens que Québécois, et la présence d'un maxi-employeur, l'administration fédérale, où l'anglais est généralement la langue de travail, érodent sans répit la langue et la culture françaises à Gatineau. Et n'allez surtout pas trop en parler sur la place publique: au-delà des l'occasionnels sondages ou déclarations vides sur le caractère primordial du français, le sujet est véritablement tabou.

Le conseil municipal de Gatineau n'a que faire de la langue et la culture françaises. On laisse le soin de récriminer aux méchants séparatistes, que les masses dociles varlopent à chaque élection. Ou à l'ex-président d'Impératif français, Jean-Paul Perreault, qui a fréquemment mauvaise presse, même dans les médias de langue française. Les anglos arrivent à pleine porte comme s'ils étaient dans une banlieue d'Ottawa et les bons Gatinois majoritairement bilingues les accueillent dans leur langue. Pas question de leur faire savoir qu'au Québec, c'est français...

L'étude de l'ISQ peint un tableau sinistre de la francophonie à Gatineau: seulement 48% des personnes de 15 ans et plus travaillent à peu près uniquement en français (50% en anglais ou en bilingue); dans une ville qui abrite moins de 20% d'anglophones, 38% des gens naviguent sur Internet en anglais seulement; 63% des Gatinois regardent en anglais les films ou les séries sur les plateformes de diffusion en continu; la moitié de la population écoute des chansons en anglais seulement; etc. etc. (voir lien en bas de page)

Ici, face aux cinq ponts qui relient Gatineau à l'Ontario, les défenseurs d'un Québec français se sentent bien seuls. Je vous laisse sur un poème d'Omer Latour (lien 2 ci-dessous), auteur franco-ontarien qui devait joindre les rangs du FLQ en 1963 avant de revenir en Ontario où il devint enseignant. Ce poème évoque la situation désespérante des francophones de Cornwall, sa ville natale. On pourra adapter ce texte vers 2050 pour sonner le glas du français à Gatineau :

«Je n'ai rien inventé.

Ce n'était pas nécessaire.

Dans les relations franco-anglaises de cette ville, la réalité dépasse la fiction.

Dieu merci le combat est presque fini.

L'assimilation totale apporte enfin le repos

et la paix à tous ces gens obscurs qui ont

lutté dans un combat par trop inégal.

Vous me demandez pourquoi ils sont morts?

Je vous demande comment ils ont fait

pour résister si longtemps.»

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1 - Lien à l'étude Situation des langues parlées au Québec en 2024 - https://statistique.quebec.ca/fr/document/situation-langues-parlees-quebec-2024

2 - Omer Latour, Une bande de caves, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1981

jeudi 15 mai 2025

Assermentation anglaise et monarchique du cabinet Carney



Le texte français de la cérémonie d'assermentation

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Si jamais on cherchait une démonstration éloquente du peu d'égards réservé par Ottawa à la langue française, il suffisait de regarder, ce 13 mai 2025, la très monarchique cérémonie d'assermentation des membres du cabinet du premier ministre libéral Mark Carney.

Les médias francophones, trop occupés à annoncer et décortiquer les nominations, ou tellement habitués à voir la langue française piétinée qu'ils n'y portent plus attention, ne semblent pas avoir relevé l'unilinguisme anglais du début de la cérémonie et de près de la moitié des ministres et secrétaires d'État nommés par M. Carney.

Devant sa patronne incapable de s'exprimer en français, le secrétaire de la Gouverneure générale, Ken McCullough, qui s'est présenté en anglais, a expliqué en anglais seulement le cérémonial de la lumière en cours, présidé par un Inuit du Nunavut. J'attendais la traduction française (c'est toujours une traduction...) mais elle n'est pas venue.

M. McCullough a ensuite présenté en français (une courte phrase...) l'aînée algonquine Verna McGregor pour le récit d'un mot de bienvenue. Cette dernière a alterné entre l'anglais et sa langue autochtone pendant quelques minutes. Un peu de français à part le «Bonjour tout le monde», juste pour la forme? Non... et il m'est apparu que cela ne dérangeait personne...

Vint ensuite l'interminable procession de ministres et de secrétaires d'État appelés à jurer ou déclarer leur «sincère allégeance à Sa Majesté le Roi Charles III, Roi du Canada, à ses héritiers et successeurs». Pour les nouveaux membres du cabinet, s'ajoute un deuxième serment de fidélité à la royauté. Suivis, laïcité écarte-toi, de l'optionnel «ainsi Dieu me soit en aide»...

Des 38 membres et demi-membres du conseil des ministres, pas moins de 12 ministres et 6 secrétaires d'État (en italiques) ont prononcé leur serment d'allégeance monarchique en anglais seulement: 

- Jill McKnight

- Heath MacDonald

- Rebecca Alty

- Joanne Thompson

- Shafqat Ali

- Rebecca Chartrand

- Mandy Gull-Masty

- Tim Hodgson

- Eleanor Olzewski

- Gregor Robertson

- Maninder Sidhu

- Evan Solomon

- Buckley Belanger

- Stephen Fuhr

- Wayne Long

- Stephanie McLean

- Randeep Sarai

- John Zerucelli

Deux assermentés, un ministre (Joël Lightbound) et une secrétaire d'État (Nathalie Provost) se sont exprimés en français seulement; les autres (19) en bilingue, souvent l'anglais en premier. Et toutes ces bonnes gens ont posé pour ls photos de circonstance avec M. Carney et la représentante du roi Charles III, la très anglophone Mary Simon qui, heureusement, n'a pas eu à parler.

Il faut aussi noter que la cérémonie avait lieu à la Résidence de la Gouverneure générale et non, comme cela se fait au Québec, au Parlement. Les députés fédéraux ne jurent pas allégeance au peuple (sauf Gregor Robertson, avec quatre petits mots en français); chacun, comme le dit le texte du serment d'allégeance, est un «fidèle et loyal serviteur de Sa majesté le roi Charles III»...

Cette cérémonie a une grande valeur éducative pour les francophones du Québec. On leur apprend que leur langue n'est pas la bienvenue ici, quoiqu'on dise dans les traductions des discours officiels. Seulement deux des neuf membres québécois du cabinet élargi ont prêté serment en français uniquement. Six en bilingue et une (Mme Gull-Masty) en English only. Ça fait dur!

On y apprend aussi que la monarchie occupe ici la place centrale et qu'on ne peut imaginer voir à Ottawa, dans un avenir prévisible, la possibilité de jurer fidélité au peuple plutôt qu'à un roi colonial et chef religieux d'outre-mer. Après avoir entendu prononcer «Sa Majesté Charles III» une soixantaine de fois en une heure et demie, on souffre d'indigestion...

Ce qui fait de nous ce que nous sommes, cette nation québécoise, sa langue, ses valeurs, n'a pas sa place à Ottawa. Le gouvernement Carney, fidèle au serment d'allégeance, combattra les velléités anti-monarchiques du Québec, sa laïcité, ses plus fortes mesures de protection du français, jusque devant ses juges de la Cour suprême. Avec l'aide de ses collabos...



mercredi 14 mai 2025

Pèlerinage en francophonie minoritaire...



Comment peut-on sérieusement présenter dans certains de nos médias des textes de demi-fiction sur l'état de la francophonie hors Québec sans au moins une vérification élémentaire de leur contenu?

J'étais stupéfait après lecture, ce 11 mai 2025, d'un article intitulé La francophonie minoritaire se diversifie, s'affranchissant du Québec sur le site Web Le Droit (voir lien en bas de page).

On y traite notamment des tensions qui se sont manifestées entre francophones des provinces à majorité anglaise et ceux du Québec depuis la montée du mouvement indépendantiste dans les années 1960.

En réalité, il s'agit d'une entrevue d'une journaliste de l'agence Presse canadienne, Samira Ait Kaci Ali, avec un doctorant de l'Université de Montréal, Justin Labelle.

Si l'une et l'autre possèdent une connaissance quelque soit peu approfondie de l'histoire et de l'évolution démolinguistique de la francophonie pancanadienne, ils n'en font pas état ici.

Ce que M. Labelle a choisi de faire pour mieux saisir la réalité des Canadiens français et Acadiens en situation minoritaire, c'est de visiter sept villes de l'Ontario et de l'Ouest canadien pour écouter les voix des «francophones ordinaires».

Projet fort louable. Trop peu de Québécois (M. Labelle est de Rouyn-Noranda) s'intéressent au vécu des francophones ailleurs au pays. Les 54 entrevues qu'il a réalisées en cinq mois (avril-août 2024) à Ottawa, Sudbury, Hearst, Winnipeg, Saskatoon, Regina et Edmonton portent sans doute en elles une mine d'information.

Les synthétiser permet à M. Labelle de tisser un bel exposé de ses aventures chez les francos du Canada anglais, et à un journaliste de les offrir en résumé aux lecteurs et auditeurs québécois, mais cela n'autorise pas de conclure à un savoir scientifique ou historique.

La toile de fond, essentielle pour une compréhension de la situation des parlant français hors Québec, repose dans les données des multiples recensements et études réalisées par Statistique Canada au fi des décennies. On y trace avec une précision chirurgicale le déclin et l'agonie de la langue française un peu partout, sauf l'Acadie du Nouveau-Brunswick et certains coins de l'Est et du Nord ontariens.

Chercheurs et journalistes y verront des taux d'anglicisation dépassant souvent les 50% au sein des minorités francophones, et ce, dans les zones urbaines en particulier. Ils apprendront que la majorité de ces francophones écoutent la télé et la radio surtout en anglais, naviguent en anglais sur Internet, échangent en anglais avec commerces et institutions publiques, parlent très souvent l'anglais à la maison...

Ignorer ou faire abstraction de ces réalités pour suggérer une francophonie vibrante et diversifiée de l'Ontario à l'Alberta, «s'affranchissant» même de la tutelle québécoise, se dépouillant presque de son statut de «minoritaire» en se dotant d'organisations «par et pour» les francophones, cela tient du «pays des merveilles»...

Erreurs et faussetés

Évidemment, dans un texte médiatique, il est difficile de savoir si erreurs ou faussetés proviennent de l'intervieweur ou de l'interviewé. Au début de l'article, on fait état d'un sentiment d'indignation envers les Québec au sein des minorités francophones, «qui s'est installé vers la moitié du XXe siècle». Plus loin, on parle de «fracture causée à partir des années 1950». 

Une erreur de date plutôt fondamentale, puisque la montée de l'indépendantiste moderne est apparue dans les années 1960 et que le moment de «fracture», s'il existe vraiment, s'est produit à l'occasion des États généraux du Canada français en 1967. Ça commence mal.

La journaliste rapporte ensuite les paroles de Martin Théberge, président de la Société nationale de l'Acadie (une région où M. Labelle n'est pas allé): «Durant cette période (le milieu du 20e siècle), le Québec a "bâti un mur" autour de la province pour protéger la langue française fer affirmer son indépendance, causant une fracture avec les autres francophones du pays».

Un historien s'arracherait les cheveux. Dans les années 50, et même jusqu'à 1976 (élection du PQ), libéraux et unionistes, solidement fédéralistes et opposés à la souveraineté (sauf peut-être les pirouettes de Daniel Johnson), gouvernaient le Québec et ne bâtissaient aucun mur... Les indépendantistes étaient bien visibles, très visibles même, mais ils n'étaient pas au pouvoir.

L'auteur de l'article de la Presse canadienne poursuit en affirmant que les francophones des sept villes visitées par M. Labelle représentent plus de 900 000 Canadiens. Une autre erreur. Ces sept «villes» (Hearst c'est un gros village) comptent tout au plus - et je suis généreux - 250 000 personnes de langue maternelle française. En utilisant le critère de la langue d'usage à la maison, beaucoup plus précis, le nombre de francophones oscille davantage autour de 150 000. Des nombres qui diminuent de recensement en recensement...

L'article de la PC revient à quelques reprises sur «les tensions historiques» entre les collectivités franco-canadiennes minoritaires et le Québec. Il y a effectivement eu et il existe toujours des tensions, mais elle proviennent uniquement de l'extérieur du Québec (la plupart des Québécois ignorant à peu près tout des francophones ailleurs au Canada) et visent essentiellement le projet de souveraineté, vu comme un rejet de la francophonie pancanadienne.

Une autre erreur, de fond aussi, tient à croire - et à écrire - que les commentaires des élites franco-canadiennes sont représentatifs de l'ensemble des collectivités. Ce n'est pas en parlant à une poignée de dirigeants d'associations, de professeurs, d'artistes et autres personnes en vue (ou pas) que l'on peut se croire au diapason de l'ensemble de «la francophonie hors Québec». L'immense majorité des Franco-Ontariens n'a jamais (ou très rarement) entendu parler de l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario).

Les appellations identitaires découlent bien davantage de l'évolution sociodémographique des collectivités que d'orientations voulues par les minorités elles-mêmes. Peu de sondages ont demandé aux Franco-Canadiens des provinces anglaises de définir eux-mêmes leur identité culturelle ou nationale. Dans les années 1990, un sondage Léger auprès des francophones d'Ottawa avait découvert que les plus vieux (65 ans et plus) se disaient surtout Canadiens français, pendant que les générations suivantes préféraient Franco-Ontarien, et enfin, que les plus jeunes adultes se voyaient davantage comme des «bilingues»...

Sans doute l'apport de l'immigration francophone a-t-elle changé la donne, tant pour les effectifs que les appellations. Selon M. Labelle, l'immigration est devenue «essentielle à la survie» des collectivités de langue française en situation minoritaire. Façon de dire que laissés à eux-mêmes, les Canadiens français et Acadiens de souche sont condamnés, plus tôt que tard, à la disparition. Il aurait été intéressant d'inclure dans la discussion les recherches qui démontrent que ces immigrants francophones s'anglicisent au même rythme que les Canadiens français après une génération ou deux...

Le doctorant de l'Université de Montréal, selon le texte de la PC, indique par ailleurs que les nouveaux arrivants sont peu enclins à «s'approprier l'héritage franco-canadien», et donc à «reproduire les conflits du passé». Reproduire les conflits du passé? Mais les conflits linguistiques sont tout à fait actuels et ne sont liés au passé que dans la mesure où l'histoire du pays permet de comprendre leur origine et leur évolution au fil du ans. Question facile; pourquoi y a-t-il un Commissaire aux langues officielles au gouvernement fédéral???

Récemment, Le Droit a publié un autre texte (voir lien #2 ci-dessous) évoquant «une francophonie vibrante» dans la ville de Cornwall, Ontario. Je ne doute pas de l'intensité des efforts déployés par les francophones engagés pour protéger et promouvoir la langue française, mais selon les recensements fédéraux, la proportion de francophones à Cornwall est en chute libre, tant sur le plan des pourcentages que des chiffres absolus. Le taux d'assimilation oscille entre 50 et 60%... Sur les près de 10 000 francophones de langue maternelle (pop. totale de Cornwall - 47 000), seulement un peu plus de 4000 parlent surtout le français à la maison... Que restera-t-il d'ici quelques générations?

Et dire que ces textes feront partie des archives médiatiques que des chercheurs du siècle prochain iront consulter...

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