samedi 15 avril 2023

Faut-il taire notre passé catholique?


Cette déclaration de François Legault, comme le texte de Mathieu Bock-Côté qu'elle commente, sont bien intentionnés et comportent une part de vérité. Mais l'une et l'autre sont incomplets et peuvent porter à confusion. Dans un contexte où la laïcité est lancée comme une grenade, à gauche et à droite, devait arriver ce qui arriva. Boum!

S'il reste de chaque côté de la clôture des gens qui cherchent à comprendre plutôt qu'à louanger ou condamner, je propose de retourner au vécu d'une époque dont j'ai connu la fin. Je n'ai pas grandi au Québec mais je crois que la vie collective dans mon petit îlot francophone d'Ottawa ressemblait de bien des façons à celle d'un quartier urbain de la région montréalaise. Même langue, même religion, repères culturels similaires, mêmes valeurs transmises.

Veut, veut pas, à peu près tout le monde était catholique. Pas tous pratiquants mais baptisés. Enfant, dans les années 1950, je récitais des prières tous les jours. Je fréquentais l'école paroissiale, très catholique bien sûr. J'allais à la messe avec mes parents tous les dimanches, comme mes amis et leurs parents. J'ai été servant de messe pendant trois ans (j'ai dû servir près de 1000 messes). J'ai toujours mon vieux missel. On se rendait à l'église en soirée pour le mois de Marie (le mois de mai). On devait interrompre les jeux quotidiennement pour dire le chapelet à 7 heures du soir. 

Les rues étaient décorées et les maisons pavoisaient pour la procession annuelle de la Fête-Dieu et pour la St-Jean-Baptiste (fête religieuse et nationale). Le sous-sol de l'église, principal lieu de rencontre des associations paroissiales canadiennes-françaises, accueillait les danses, les bingos et autres activités communautaires. Il y avait des crucifix dans tous (ou presque tous) les foyers. On devait écrire JMJ (Jésus-Marie-Joseph) dans les marges de nos cahiers scolaires et les bons devoirs étaient récompensés par un petit ange collé sur la page.

On baignait dans la religion catholique, jusque dans notre langage. À ma première visite en Floride, où j'étais allé seul, en voiture, à l'âge de 25 ans, je me promenais dans le stationnement d'un centre commercial de St. Petersburg, m'ennuyant un peu, quand j'ai entendu au loin des «câlisse de tabarnak». Des Québécois! Des gens de chez nous. Les jurons profanent souvent ce qu'un peuple a de plus sacré. Je n'ai jamais aimé sacrer, mais tout autour de nous, on dépeçait avec enthousiasme les autels de ces églises dont les clochers marquaient notre empreinte collective depuis des siècles.

Mais rien de tout cela ne concerne la théologie. Ces phénomènes relèvent plutôt de la sociologie, du vécu national, de la société canadienne-française catholique devenue québécoise laïque. Le fait que je sois tombé dans la marmite religieuse quand j'étais petit n'a pas fait de moi un croyant ou un pratiquant (tout au plus un espérant), mais je porte toujours en moi la mémoire du vécu, les valeurs humaines transmises, les repères communs, le langage partagé, les anciennes solidarités. Quand nous, Québécois, nous rencontrons, à Gaspé, Gatineau, Montréal, Paris ou Venise, nous nous reconnaissons. Nous sommes de la même grande famille culturelle. Et nous nous sommes laïcisés côte à côte. Ensemble. 

Voilà, je pense, ce que voulait exprimer le gazouillis de François Legault et la chronique de Mathieu Bock-Côté*. Si on veut discuter des mérites de la théologie catholique ou du rôle tantôt libérateur, le plus souvent oppressif qu'a joué l'Église catholique au Québec et au Canada français, allons-y. J'aurai tendance à être sévère et rien ne pourrait ébranler aujourd'hui mes convictions laïques. Mais l'héritage socioculturel qu'a transporté au fil des siècles notre vie autour des clochers de l'Église catholique a contribué à façonner la nation, à faire de nous ce que nous sommes. Et comme l'histoire de chaque peuple est unique, la nôtre nous distingue en effet à l'échelle continentale, comme l'affirme M. Legault. À l'échelle planétaire, aurait-il pu écrire.

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* Mathieu Bock-Côté, Éloge de notre vieux fond catholique, Journal de Montréal, 7 avril 2023 https://www.journaldequebec.com/2023/04/07/eloge-de-notre-vieux-fond-catholique


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