lundi 24 avril 2023

Très bientôt, il sera trop tard...

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Capture d'écran du ministère québécois de l'Éducation en juillet 2012...

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Jean Charest et Philippe Couillard doivent être aux anges... Ces éminents fossoyeurs du français ne peuvent en prendre tout le mérite mais ils ont, chacun à sa façon, contribué à accélérer le déclin de l'unilinguisme français au Québec.

En février 2011, John James Charest, qui n'avait jamais si bien porté ses prénoms, annonçait la mise en oeuvre graduelle d'une demi-année d'anglais intensif (voir liens en bas de page) dans toutes les écoles primaires françaises du Québec. En mars 2014, durant la campagne électorale qui devait sonner le glas du PQ de Pauline Marois, le chef libéral Philippe Couillard, grand défenseur de McGill quand cette université voulait imposer des cours de médecine en anglais à Gatineau, annonçait son désir de rendre complètement bilingue la prochaine génération de jeunes Québécois francophones (voir lien en bas de page).

Ces politiques suicidaires du tandem Charest-Couillard avaient pour effet d'angliciser davantage un Québec où la langue officielle, le français, était déjà mal en point, menacée de toutes parts. Ces traîtres (il n'y a pas d'autre mot...) peuvent aujourd'hui se réjouir en apprenant que la proportion d'unilingues français* au Québec a chuté de 62,5% à 47,3% de la population totale entre 1951 et 2021, et que plus de 40% de cette dégringolade a eu lieu durant leurs règnes (2003-2018). Par ailleurs, durant la même période, soit entre les recensements de 2001 et 2021, la proportion d'anglophones unilingues* qui avait chuté après l'adoption de la Loi 101 a repris son ascension, passant de 4,6% à 5,3% entre 2016 et 2021...

Dans son document Population selon la connaissance des langues officielles et la géographie, 1951 à 2021 (voir lien en bas de page), publié en mars 2023, Statistique Canada nous a également appris que la proportion de Québécois bilingues français-anglais* avait connu une hausse spectaculaire entre 1951 et 2021: de 25,6% à 46,4%. N'allez jamais croire les ragots colportés par la presse anglo-canadienne, le Québec a toujours été et demeure la province la plus «bilingue» du Canada. Même après l'adoption de la Loi 101 (la Charte de la langue française), la proportion de Québécois qui connaissent l'anglais et le français a poursuivi sa croissance au même rythme. 

Parenthèse ici... Retour rapide aux années 1960. André Laurendeau, coprésident de la Commission B-B (commission d'enquête fédérale sur le bilinguisme et le biculturalisme), croyait que l'avenir d'un véritable bilinguisme au Canada dépendait de l'existence de «deux groupes unilingues» (un français, un anglais). Le bilinguisme mur à mur des collectivités constituerait ainsi, selon Laurendeau, «une situation transitoire qui se solde par l'assimilation linguistique du groupe le plus faible et le moins nombreux». L'avant-dernier Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, exprimait lui aussi une opinion similaire en 2016 (voir lien en bas de page). Selon eux, et ni un ni l'autre n'étaient indépendantistes, le déclin et l'éventuelle disparition d'une majorité unilingue chez les francophones québécois entraînerait l'anglicisation du Québec et l'unilinguisme anglais au Canada. Ce déclin, et Statistique Canada le démontre clairement, est amorcé.

Évidemment, les données mises de l'avant par Statistique Canada, notamment pour le Québec, ont besoin d'être mises en contexte. Par exemple, sans rappeler l'exode massif d'anglophones après l'élection du Parti québécois en 1976 et l'adoption de la Loi 101 l'année suivante, on se demandera pourquoi le nombre d'«unilingues» anglais au Québec a chuté de 10,5% à 6,7% entre les recensements de 1971 et 1981. Si j'étais expert comme mon ami Charles Castonguay, je nagerais plus facilement dans les océans de données disponibles des recensements fédéraux pour pondérer les chiffres sur l'unilinguisme et le bilinguisme par groupes d'âge. On découvrirait sans doute que les jeunes générations de Québécois francophones connaissent l'anglais bien plus que les générations plus âgées. Et cela augure mal pour l'avenir du français au Québec (et au Canada pour ceux et celles qui y croient toujours). Enfin, il serait important de brosser un tableau territorial de l'unilinguisme et du bilinguisme. Si les francophones sont  majoritairement bilingues dans la région montréalaise et en Outaouais, le péril y est nettement plus grand qu'à Rimouski ou Saguenay. 

Depuis 2018, la CAQ est au pouvoir et sa défense du français langue officielle-commune est nettement plus énergique que celle des libéraux, que l'électorat francophone a carrément largués. Mais à part le grignotage de la Loi 96, pas grand chose n'a changé. L'anglais intensif au primaire poursuit son petit bonhomme de chemin, les cégeps de langue anglaise débordent de francophones et d'allophones, Québec surfinance les universités de langue anglaise et le gouvernement Legault continue d'accepter que nos lois linguistiques soient jugées par des tribunaux hostiles nommés par le premier ministre fédéral en vertu d'une constitution que le Canada anglais a imposée au Québec. 

Alors je suis prêt à parier que je pourrais ajouter au document fédéral les résultats anticipés des recensements de 2026, 2031 et 2036 sans trop me tromper dans les grandes orientations. En 2036, la proportion de francophones* unilingues au Canada oscillera autour de 9%, un seuil où le caractère bilingue des institutions fédérales sera de plus en plus remis en question. Au Québec, la part des francophones unilingues* aura chuté sous les 40% et à l'extérieur du Québec, il ne restera que quelques minuscules poches d'unilinguisme français dans la péninsule acadienne du Nouveau-Brunswick. Le bilinguisme collectif des francophones, au Québec et ailleurs au Canada, entraînera partout une accélération de l'assimilation. Et si le Québec n'a toujours pas réussi à se donner un statut souverain ou quasi, il sera trop tard. Too late...

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* précision sur les mots «unilingue» et «bilingue». On parle ici de la connaissance des «langues officielles» seulement. Ainsi, aux fins de la discussion, un citoyen qui ne connaît que le français et l'arabe devient unilingue français. La seule langue officielle qu'il connaît est le français. Celui ou celle qui ne parle qu'anglais et chinois sera classé unilingue anglais, selon le même raisonnement. Et celui qui connaît le français, l'anglais, l'espagnol, le portugais et l'allemand sera considéré bilingue français-anglais, au regard des langues officielles.

- lien à l'étude de Statistique Canada https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1510000401&pickMembers%5B0%5D=1.6&cubeTimeFrame.startYear=1951&cubeTimeFrame.endYear=2021&referencePeriods=19510101%2C20210101

- lien à mon éditorial «Fossoyeurs du français» dans le quotidien Le Droit, 25 février 2011 https://www.ledroit.com/2011/02/25/fossoyeurs-du-francais-226db8bcf25fe187f0df39f09b4c47e9/

- lien au texte TVA sur le discours inaugural de Jean Charest, 23 février 2011 https://www.tvanouvelles.ca/2011/02/23/une-quinzaine-de-promesses

- lien au dernier rapport annuel de Graham Fraser, ancien Commissaire fédéral aux langues officielles, 2015-2016 https://www.clo-ocol.gc.ca/fr/publications/rapports-annuels/2015-2016

- lien à mon texte de blogue sur le dernier rapport de Graham Fraser, 25 mai 2016 - https://pierreyallard.blogspot.com/2016/05/ou-sont-passes-les-medias.html

- lien aux propos de Philippe Couillard https://pierreyallard.blogspot.com/2014/11/un-quebec-de-moins-en-moins-francais.html

numérisation d'un texte du Devoir du 11 mars 2014


1 commentaire:

  1. Bravo, M. Allard, de dénoncer cette situation inqualifiable. Vous avez entièrement raison. L'introduction de l'enseignement intensif de l'anglais est une fausse bonne idée dont l'effet principal sera d'affaiblir le français à long terme (et c'est déjà commencé). Même si la CAQ ne va pas assez loin et se contente d'un autonomisme mal défini, elle fait preuve d'un nationalisme réel que n'a jamais eu le Parti libéral du Québec. Il faut espérer que le projet naîtra de faire disparaître cet enseignement intensif. Le problème, c'est qu'une telle chose est anathème pour les principaux médias d'information québécois, sagement fédéralistes. Je vais faire passer votre texte sur mon compte Twitter. Ce sera au moins cela de fait...

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