L'église St-François d'Assise, à Ottawa |
Ma mère, Germaine Jubinville-Allard, est décédée le 28 juillet, le jour de ses 99 ans. Rebelle à ses heures mais surtout traditionnelle, elle avait souvent insisté pour que je conserve après sa mort les bulletins Contact publiés par son ancienne paroisse (la mienne itou), qu'elle avait accumulés entre janvier 1941 et l'été 1953.
Pourquoi y tenait-elle tant? Parce que son nom apparaissait au tableau d'honneur de la 11e année de l'école St-Conrad dans le tout premier numéro et que le mien, ainsi que celui de mon frère Robert, figuraient à ceux des écoles St-François d'Assise et St-Conrad douze années plus tard? Peut-être un peu, mais je crois plutôt qu'elle voulait ici faire oeuvre d'historienne.
Il fallait plus que tout préserver des documents témoignant de la vie communautaire intense qui animait la communauté canadienne-française (aujourd'hui disparue) de près de 6000 âmes - c'est ainsi qu'on les appelait à l'époque - regroupée autour des deux clochers de l'imposante église Saint-François d'Assise, rue Wellington, dans l'ouest de la capitale fédérale.
Ce quartier d'Ottawa où le français était jadis la langue de la rue s'est effrité depuis les années 1960 et ne vit guère ces jours-ci que dans la mémoire de quelques vieux, ou encore dans des groupes Facebook où à peu près tout se passe en anglais. Ma mère avait dans les tiroirs de son appartement la preuve imprimée de l'existence de cet ancien village urbain francophone, aujourd'hui oublié et à peu près inconnu des chercheurs universitaires qui s'intéressent au passé des Canadiens français de la capitale.
Elle avait grandi sur la rue Hinchey, entre la voix ferrée du Canadien Pacifique et la rivière des Outaouais, avait fréquenté les écoles du quartier, y avait complété ses études secondaires, courtisé mon père durant la Deuxième Guerre mondiale, s'y était mariée et y avait élevé sa marmaille jusqu'à ce que la famille déménage, dans les années 60, dans des maisons neuves en banlieue.
Les bulletins Contact des Pères Capucins avaient consigné sur papier l'esprit de l'époque, la vie du quartier, et des centaines de noms d'élèves et de paroissiens. Les résultats des concours scolaires, les mariages, naissances, décès, les listes d'associations paroissiales, les efforts de défense du français, la fondation de la caisse populaire, sans oublier les horaires des messes et les conseils spirituels qui feraient sourire aujourd'hui mais que l'on prenait alors très au sérieux.
Dans le premier bulletin, celui de janvier 1941, on propose des statistiques paroissiales: 1145 familles, 5295 âmes, 4378 communiants, 917 non-communiants (des enfants?); quatre écoles catholiques franco-ontariennes (St-François, St-Conrad, Sacré-Coeur et St-Antoine) regroupant près de 1200 élèves, 38 enseignants dont 15 laïcs, 9 Frères du Sacré-Coeur et 14 Soeurs grises de La Croix; 133 baptêmes, 56 mariages et 41 sépultures.
On y mentionne le «collège séraphique» situé à côté de l'église, où l'on formait une centaine (!!!) de candidats à la vie franciscaine. Imaginez, 100 nouvelles vocations religieuses, dont une dizaine issues de la paroisse St-François. Une pépinière de Capucins dont plusieurs iraient en mission en Inde. L'an dernier, à l'Ermitage au Lac-St-Jean, le jeune Capucin qu'on a rencontré était originaire de l'Inde. Il était venu s'occuper des Capucins d'ici, presque tous vieillards.
La liste d'associations paroissiales est étonnante et témoignage de la marmite religieuse dans laquelle nous vivions comme peuple il y a 80 ans : la St-Jean-Baptiste, la Jeunesse ouvrière catholique, la Jeunesse étudiante catholique, les Scouts, la St-Vincent-de-Paul, le Tiers-Ordre, le régiment de Zouaves, la Chorale, les comités d'action catholique, les Enfants de Marie, la Fédération des femmes canadiennes-françaises, l'Association du Rosaire perpétuel, l'Adoration nocturne, l'Oeuvre des Tabernacles, les Patronesses de l'hôpital St-Vincent et j'en passe...
On note enfin que durant l'année 1940, 4350 messes ont été célébrées et 150 000 communions données à l'église St-François d'Assise! Alors qu'aujourd'hui, de nombreuses églises catholiques ne célèbrent qu'une messe le dimanche devant des bancs très souvent vides, l'église St-François d'Assise de 1941 proposait aux paroissiens sept messes le dimanche matin, entre 5 h 30 et 11 heures, dont une grand-messe. Et il y avait cinq messes tous les jours de semaine, entre 5 h 30 et 8 heures. Il y avait aussi une messe à l'autel de St-Antoine tous les mardis.
Pour la Semaine sainte de 1941, on annonce dans Contact qu'il y aura adoration du Très Saint Sacrement en soirée et toute la nuit, le Jeudi Saint. Jusqu'à 10 heures du soir, la «garde du T. S. Sacrement est confiée aux dames et aux demoiselles». Après 22 h, jusqu'à 5 heures du matin, la garde est assurée par les «hommes et jeunes gens», qui se relaient d'heure en heure, les résidants d'un bloc de rues assurant une présence pour une heure. Par exemple et je cite: «3 à 4 h du matin: les rues Bullman, Grant, Hinchey, Oxford, Pinehurst»... et ainsi de suite.
Enfin, si les paroissiens se rendent à l'église, les Pères Capucins visitent aussi chaque année toutes les résidences. La fameuse visite paroissiale qui, à lire Contact, avait quelque chose d'intimidant. Voici quelques conseils aux paroissiens qui verront un Capucin frapper à leur porte: «Dans chaque maison, le ménage est fait, les meubles rangés et soigneusement époussetés. Tous les membres de la famille doivent, autant que possible, se faire un devoir d'être présents. Le prêtre est accueilli avec joie. Le Père doit être mis au courant de l'état spirituel de chacun des membres de la famille...»
Connaissant ma mère et son esprit indépendant, cette discipline n'avait rien pour lui plaire. Mais c'était l'époque. On a peine à imaginer que ces choses ont existé. Mais ma maman aurait été la première à dire qu'elles ne doivent pas être oubliées. L'église St-François d'Assise reste un fier monument de ce qui fut et qui n'est plus. La vibrante communauté canadienne-française qui l'entourait il y a 80 ans fait désormais partie de l'histoire. On en revit quelques chapitres dans la petite revue Contact que ma mère n'a jamais mise à la poubelle.
Avis aux chercheurs et historiens de l'Université d'Ottawa: c'est une mine d'or!
Votre chronique d'aujourd'hui me rappelle une phrase de Jean-Paul Desbiens, le frère Untel, dans une de ses chroniques du journal La Presse, vers 1980-85 :
RépondreEffacer« On disait que la langue était gardienne de la foi. On voit aujourd'hui que c'est plutôt la foi qui a été gardienne de la langue. »
Je crois qu'il n'avait pas tort. Nous ne serions sans doute pas sur le point de succomber à l'anglicisation si nous étions restés de fervents catholiques. Mais rester sous l'emprise de l'Église comme c'est encore le cas de la plupart des Latino-Américains, c'était un prix bien cher à payer, trop cher sans doute, surtout pour nos femmes.