En 2021, avec sa décision sur la taxe carbone, la Cour suprême a sapé les bases du fédéralisme canadien, renforçant un régime où Ottawa, en bout de ligne, possédera toujours un net ascendant sur les États fédérés (eh, que je déteste le mot province). En février 2024, avec leur plus récente décision sur les «DPJ autochtones»1, les juges d'Ottawa ont asséné un autre solide coup de masse au vieil édifice constitutionnel où le Québec avait réussi, tant bien que mal, à protéger quelques niches depuis 1867.
Dans cette «fédération» tout croche où la majorité anglo-canadienne, avec ses francophones de service à Ottawa, peut nommer seule les arbitres judiciaires suprêmes qui auront à trancher ses différends avec le Québec, on ne fait plus dans la dentelle. Surtout depuis que l'élan souverainiste se soit fracassé contre deux référendums. Flairant la bête blessée, le gouvernement fédéral a désormais entrepris - avec la complicité de ses juges - de détruire sans pitié les fondements constitutionnels des visées autonomistes de la nation québécoise.
Les coups de boutoir s'accumulent depuis le début du millénaire. Avec la Loi sur la clarté en 2000, la majorité anglaise du Canada s'est arrogé le droit de nous dicter une question référendaire et de décider de la majorité requise pour une victoire du Oui... En 2011, les juges de la Cour suprême ont presque invité Ottawa à s'immiscer dans le domaine «provincial» des valeurs mobilières, ce qu'il n'a pas hésité à faire en 2014. Plus récemment, la Loi 96 (langue française) et la Loi 21 (laïcité) se frayent un chemin peut-être sans issue dans le déchiqueteur fédéral. Et voilà que la Cour suprême défonce un autre pan de mur avec sa décision carrément politique (Trudeau lui-même aurait pu l'écrire) sur les services à l'enfance chez les Autochtones.
Sur le fond, à peu près tout le monde s'accorde pour reconnaître aux nations autochtones l'autonomie requise pour exercer «un contrôle effectif sur le bien-être de leurs enfants». Mais dans le vrai monde, ce contrôle doit s'accorder avec les institutions des populations avec qui elles partagent les territoires. Ici, l'échafaudage politique est parfois tortueux. Constitutionnellement et historiquement, les «Indiens» relèvent du gouvernement central, mais les services sociaux et les services de santé sont dispensés par les États fédérés, le Québec en l'occurrence dans la cause actuelle. Pour des motifs sans doute complexes, les Autochtones ont choisi de s'allier (de se soumettre?) à Ottawa (jadis l'auteur des infâmes pensionnats où leurs enfants kidnappés avaient été assimilés de force, en anglais surtout) contre les voisins qu'ils côtoient et avec lesquels se développaient depuis au moins un demi-siècle des rapports de nation à nation.
Politiquement, on peut comprendre cette alliance. Le gouvernement fédéral occupe des positions de force sur l'équipier constitutionnel et, sous les libéraux du moins, baigne dans un océan de multiculturalisme qui ne peut que favoriser la reconnaissance des droits internationaux des populations autochtones. Pourquoi alors s'associer à un Québec français vaincu, battant constamment en retraite, incapable de se dresser contre un appareil judiciaire taillé sur mesure pour toujours le remettre à sa place sur le plan de l'autonomie, de la langue, de la laïcité et, de plus en plus, dans des domaines qui lui étaient exclusifs comme la santé et les services sociaux? Le résultat, c'est cette décision du 9 février 2024 de la Cour suprême et à Ottawa, on a dû sabler le champagne pendant quelques nuits... pendant que Québec, penaud sous la CAQ, «prend acte»...
Agissant en conformité avec la Loi constitutionnelle de 1982 que le Québec n'a jamais entérinée tout en la subissant depuis plus de 40 ans, les juges d'Ottawa ont reconnu la validité d'une loi fédérale (Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis) qui crée littéralement un troisième ordre de gouvernement, inféodé à Ottawa mais supérieur aux provinces. Une loi que les suprêmes encensent et qualifient d'«innovante». En matière de services à l'enfance et à la famille, cette loi permet aux nations autochtones de prendre leurs propres décisions, de légiférer, et stipule qu'il «est entendu que les textes législatifs d'un groupe, d'une collectivité ou d'un peuple autochtones l'emportent sur toute disposition incompatible d'un texte de loi provincial». Une gomme à effacer des statuts et règlements du Québec sans qu'Ottawa ait à lever le petit doigt... On expédie les Autochtones au front contre la nation québécoise, armés du pouvoir constitutionnel de 1982... On peut comprendre pourquoi le gouvernement du Québec a contesté cette loi fédérale. Mais en Cour suprême les dés étaient pipés...
En 2021, dans la cause sur la taxe carbone, la Cour suprême des fédéraux avait reconnu qu'Ottawa avait le droit de décréter qu'un enjeu constitue une question «d'intérêt national» (quelle nation?) et que «l'effet de la reconnaissance en tant que matière d'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement (fédéral) sur cette matière». Entre le droit illimité de dépenser et les tronçonneuses offertes en cadeau par ses juges, le gouvernement de la majorité anglo-canadienne a maintenant en main tous les outils politiques et juridiques pour tailler en pièces les velléités d'autonomie du Québec. Et dans cette plus récente cause, le Parlement fédéral n'a même pas à se salir les mains. On envoie les Autochtones faire la «job de bras»...
Une observation en passant. Dans la décision de près de 100 pages des suprêmes fédéraux (celle du 9 février 2024)1, les mots «nation» et variantes (nationaux, nationales, etc.) apparaissent 272 fois ! À chaque mention d'une norme «nationale», on parle bien sûr de la nation Canadian. Puis on énumère des dizaines de «nations» autochtones et Métis, d'un bout à l'autre du Canada. Mais vous ne trouverez pas une seule fois, dans toutes ces pages, une référence à la «nation québécoise» dont l'existence est pourtant reconnue par le Parlement canadien. Ici, chez les juges suprêmes, les lois d'Ottawa sont «nationales» et les lois québécoises ne sont pas «nationales». Une majorité de juges anglais décide du sort de notre État français. Et le gouvernement de la nation québécoise ne s'en offusque pas.
Le gouvernement Legault se trouve aujourd'hui devant un cul-de-sac juridique et constitutionnel. Et n'a aucune stratégie, ayant exclu la souveraineté. Viendront bientôt les culs-de-sac de la laïcité et de la langue française. Quand décidera-t-on d'emprunter une voie qui nous mène ailleurs qu'à un mur de béton?
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1 - Lien au texte du Devoir du 9 février 2024 - https://www.ledevoir.com/politique/canada/806933/decision-cour-supreme-protection-enfants-autochtones
2- Décision du 7 février 2024 de la Cour suprême du Canada - https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/20264/index.do
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