Vous avez vu ces publicités de Desjardins qui roulent sans arrêt à la télé depuis au mois quatre mois? Celle du gars qui regarde un match à la télé avec un chien déguisé en joueur de hockey et sa conjointe servile qui change l'uniforme du chien sur demande? Ou la pub de cette femme qui lance «As-tu le jus de tomate?» à son chum éberlué et ses enfants pour les renvoyer au tohu-bohu du supermarché une seconde fois pendant qu'elle roupille dans sa voiture sur un fauteuil inclinable? (Regardez-les - les liens sont en bas de page).
Mas quel genre de public visent ces messages télévisés, apparemment liés à l'habitation? Desjardins nous prend-il, tous et toutes, pour des imbéciles? Poser la question, ces jours-ci, c'est un peu y répondre quand on voit notre grande coopérative fermer des centres de service et des guichets un peu partout sans même consulter les «membres», qu'on traite d'ailleurs comme des moins-que-rien en leur lançant un charabia d'excuses qui n'ont rien de très clair. Mais revenons à ces publicités...
Combien d'argent, pensez-vous, faut-il investir pour concevoir, réaliser et diffuser des milliers de fois ces messages publicitaires de gars-avec-chien-en-gilet-de-hockey-de-la-bonne-couleur et de femme-égoïste-et-sans-allure-dans-son-char? Je n'en ai aucune idée mais ça doit coûter pas mal plus cher que de conserver le guichet automatique de Luskville (en Outaouais) ou d'entretenir le centre de services de St-Fabien (Bas Saint-Laurent). On doit payer l'agence qui fera la conception des pubs, la maison de production et les «acteurs», et peut-être surtout, les innombrables heures de temps d'antenne nécessaires pour passer à répétition on ne sait trop quel message. La facture est-elle de 100 000 $? Plus? Bien plus?
Une chose est sûre. Notre historique mouvement coopératif, nos caisses jadis populaires se donnent des allures de banque. Tout ce qui a fait de nos caisses ce qu'elles étaient devenues est maintenant à la dérive, y compris - et surtout - l'esprit coopératif qui animait toutes ces gens qui, depuis plus d'un siècle, avaient travaillé d'arrache-pied pour créer dans nos villes et villages ces outils économiques indépendants des usuriers bancaires, qu'on ferme aujourd'hui avec un mépris total pour les plus de cinq millions de membres de Desjardins.
Je ne vis pas au 19e siècle. Je travaille avec des ordis et des tablettes depuis le début des années 1980 et je suis enthousiaste devant toutes les possibilités et la plus-value offertes par l'ère numérique. Mais je redoute aussi avec raison ses excès et sa prétention de remplacer le contact humain et la maniement d'objets physiques (guichet, argent comptant] par un recours quasi total à des cartes plastifiées ou des écrans de cellulaires, de tablettes et d'ordinateurs. On s'aperçoit déjà dans les écoles des dégâts causés par l'omniprésence des écrans. On finira aussi par le constater dans notre mouvement coopératif mais peut-être alors sera-t-il trop tard.
Desjardins vient d'annoncer une nouvelle ronde de fermetures de centres de service et de guichets, cette fois dans le Bas Saint-Laurent. Il y a quelques semaines, c'était le guichet du coeur francophone de la municipalité de Pontiac (Luskville) en Outaouais. Et partout on nous lance la même boue pour justifier la disparition d'une présence physique historique des caisses jadis populaires Desjardins. Les excuses qu'on nous offre sont dignes d'un ministre des Finances qui défend avec des arguments embrouillés les motifs d'impôts accrus ou de déficits imprévus. La meilleure, et celle-là on l'entend à chaque fois qu'on met des employés à la porte ou qu'on envoie au recyclage un guichet automatique: seulement 1% des transactions des membres sont désormais effectuées à la caisse même et 3% aux guichets... Mais ça veut dire quoi?
Ça, on ne le dit pas. Si j'utilise ma carte Visa Desjardins une soixantaine de fois par mois, que mes factures d'électricité, de câble, d'assurances, etc. sortent directement de mon compte, sans compter toutes les transactions diverses passant par Desjardins, mais que je me rends à la caisse en personne deux fois par mois et au guichet deux ou trois fois par mois, je suis dans le 1% et le 3% de la propagande des dirigeants de Desjardins. Combien d'autres font comme moi? Des pourcentages, ça ne dit absolument rien du nombre véritable de membres qui se rendent physiquement à la caisse jadis pop ou au guichet pour effectuer des transactions devant des humains ou pour obtenir de l'argent comptant. Ça ne dit rien de leur âge non plus.
Jusqu'à l'an dernier, j"avais un livret de caisse que je mettais à jour régulièrement au guichet ou parfois même à la caisse, devant le regard étonné du caissier ou de la caissière qui me rappelait que j'aurais pu aller au guichet automatique. C'est rendu difficile aujourd'hui de voir des humains, répondais-je, et pour pouvoir continuer à le faire, je dois aider à sauver votre emploi. J'appelle ça un petit morceau de l'esprit coopératif que Desjardins s'acharne à détruire. Aujourd'hui, je reçois par la poste un compte-rendu mensuel de mes transactions. Cela coûte le papier, l'impression, a manutention et le coût de l'envoi postal... Et l'abandon du livret a aussi pour effet de diminuer le nombre de fois où les membres ont recours aux services des guichets et des caisses. Un clou de plus dans le cercueil.
À chaque fermeture, on entend invariablement un innocent comme moi s'exclamer: mais voyons, les caisses sont censées appartenir à leurs membres. On ne m'a pas consulté... Là on touche au coeur du problème, au péché mortel de Desjardins. Dans mon ancienne paroisse, au début des années 1940, des centaines de personnes d'origine modeste s'étaient réunies pour fonder une coopérative d'épargne et de crédit pour se donner un levier économique (en français) indépendant des grandes banques. Les membres étaient attachés à leur caisse populaire de taille humaine, s'y rencontraient, l'encourageaient, assistaient aux assemblées. Comme partout au Québec et même ailleurs au Canada. C'était l'âme du mouvement, et c'est cette âme que Desjardins-se-donnant-des-allures-de-banque démantèle depuis des décennies en abolissant des caisses locales, en fusionnant le reste et en privilégiant le numérique au détriment de l'humain et du coopératisme.
Une coopérative ne se conçoit pas sans participation des membres, sans une vie coopérative. Au lieu d'éloigner les membres des centres de service, les caisses Desjardins devraient favoriser leur présence. Prévoir des locaux pour des activités (assemblées, conférences, colloques, etc.), utiliser les fonds à sa disposition pour animer l'esprit coopératif régional (fonder de nouvelles coops - alimentation, habitation, etc.). Desjardins donne des millions chaque année à des oeuvres de bienfaisance et c'est tant mieux. Mais combien les caisses investissent-elles dans le développement coopératif régional? Vous souvenez-vous de la dernière campagne publicitaire nationale pour vanter les mérites du coopératisme et en faire la promotion? Dans le contexte actuel, une telle campagne relèverait de l'indécence.
On me dire sans doute, comme depuis mon enfance, que je rêve en couleurs. Et je dirai, comme depuis mon enfance, merci! Le jour où j'arrêterai de rêver en couleurs, de me rebeller contre ce que je perçois comme l'injustice, de m'indigner contre le mépris qui nous entoure, ce jour-là on m'enterrera. Mais contrairement à ce Desjardins en voie de devenir monstre, je n'aurai pas perdu mon âme.
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Lien à la pub # 1- https://www.youtube.com/watch?v=oHKjEvQNJ-8
Lien à la pub # 2 - https://www.youtube.com/watch?v=kAxnS2bQSpQ
Les caisses pop sont de moins en moins populaires !!!
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