Parmi les hommages à Jean-Pierre Ferland que j'ai lus, vus ou entendus ce dimanche 28 avril 2024, personne n'a évoqué la chanson qui m'a non seulement fait découvrir et aimer son répertoire, mais qui constitue pour moi le chaînon essentiel entre le Ferland d'avant Charlebois et celui d'après Jaune. Une chanson qui, dans sa version originale, n'a été produite qu'en 45 tours puis incluse dans une compilation de 1972, et dont le nom est mal épelé sur l'un et l'autre*...
Je m'en souviens comme si c'était hier. C'était à l'automne 1969 et avec l'arrivée récente du Charlebois chevelu et de sa bande, je commençais à m'intéresser aux radios de langue française. J'étais Franco-Ontarien, accro des stations rock et rhythm and blues américaines, mais aussi indépendantiste, vibrant aux offrandes des Gilles Vigneault, Claude Léveillée, Claude Gauthier, Pauline Julien et Georges Dor. Les chansons de Jean-Pierre Ferland, pas rock du tout et le plus souvent apolitiques, n'avaient rien pour m'attirer.
Puis, un bon matin, j'entends sur les ondes de la radio locale (CKCH? CJRC?) une mélodie accrocheuse avec juste assez de guitare électrique, de basse et de batterie pour m'inciter à poursuivre l'écoute. «Les arbres ont-ils de quoi mentir? Le ciel est-il plus haut qu'ailleurs? À Sainte-Adèle, PQ. La montagne a-t-elle un sourire et la rivière, quelques pleurs? À Sainte-Adèle, PQ. À Sainte-Adèle, PQ.» Ce n'était plus le Ferland des Fleurs de Macadam ni même celui du Je reviens chez nous de l'année précédente. Et pas encore celui de Jaune.
En 1968, on pressentait que le «chez nous» chanté par Jean-Pierre Ferland se situait quelque part dans le bassin du Saint-Laurent mais dans Je reviens chez nous les références géographiques sont françaises - Paris, Chamonix, la Seine, la Garonne... Avec Sainte-Adèle, P.Q., où son flirt avec le rock devient clairement matière à palmarès pour les radios pop, il est réellement revenu «chez nous», dans les Laurentides, «pour que je ne puisse passer un seul jour sans m'y retrouver», «pour que j'en parte sans partir, que je veuille tant y mourir».
Nos chansonniers avaient abondamment nommé le Québec, ses villes et ses villages dans leurs répertoires, mais il était inhabituel de voir une chanson portant le nom d'une petite ville québécoise concurrencer les Johnny Hallyday, Mireille Mathieu, Robert Charlebois et autres au sommet des palmarès de musique pop en 1969. Et ce martèlement des lettres «PQ» une dizaine de fois dans Sainte-Adèle, qu'on aurait traduit par «province de Québec» quelques années plus tôt, prenait une toute autre sonorité depuis la fondation récente du Parti québécois.
J'étais conquis. Cette chanson de Ferland incarnait parfaitement la nouvelle fierté qui façonnait le Québec d'après-Révolution tranquille, y compris la fierté de chanter ce que nous sommes, de nommer nos lieux en chanson à la face du monde, s'il le faut en déviant des sentiers battus comme l'a fait celui qui accoucherait d'un album encore plus novateur, Jaune, l'année suivante, en 1970. J'ai souvent fredonné Sainte-Adèle, PQ au fil des décennies, m'imaginant à chaque fois le Québec que j'espérais à mes 23 ans, vu des sommets et vallées de nos pays-d'en-haut, «la tête dans les cerisiers, en été, la tête dans les sapins verts, en hiver». Cette chanson trop souvent négligée conserve toute sa puissance en 2024.
Je ne sais pas ce que Jean-Pierre Ferland pensait de cette composition mais pour moi, ce fut une clef pour déverrouiller l'ensemble de son oeuvre, une porte ouverte qui me poussa à débusquer ses vieux albums Mono chez des disquaires d'occasion et à dévorer Jaune, Soleil, Les vierges du Québec et les autres par la suite. Si, à son décès, Jean-Pierre Ferland est allé un peu plus haut, un peu plus loin, son esprit rôde peut-être aux alentours de Sainte Adèle, P.Q. où «le ciel est plus haut qu'ailleurs».
Palmarès du 2 novembre 1969 dans «Le petit Journal» |
---------------------------------------------------
* Sur le 45 tours, on écrit Ste. Adèle au lieu de Sainte-Adèle, et sur le 33 tours on écrit St Adèle, au masculin... Et la version disponible sur Internet est une réédition où la basse électrique et la batterie sont absentes...
Que de merveilleux souvenirs ça me rappelle !!!
RépondreEffacer