mardi 28 mai 2024

Les faux francophones…

Capture d'écran du site Internet de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario

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La semaine dernière, un certain nombre de députés libéraux non francophones (unilingues anglais, de fait) se sont inscrits à l'Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) pour gonfler les rangs de ceux et celles qui favorisaient le maintien de leur collègue franco-ontarien Francis Drouin à la présidence de la section canadienne de l'APF. On sait pourquoi...

Ce recours à de faux francophones comme levier stratégique a été dûment noté par la presse de langue française parce qu'il était flagrant. Mais ce stratagème n'est pas unique au milieu parlementaire. Dans un pays où les francophones sont minoritaires partout à l'extérieur du Québec, le dénombrement revêt un caractère essentiel. Pour obtenir des écoles, des services, pour faire respecter des droits, rien ne remplace en bout de ligne la force du nombre.

Le problème, évidemment, c'est que le français décline partout, même au Québec. Les recensements fédéraux en font état avec une précision chirurgicale à tous les cinq ans. Dans l'univers du «là-où-le-nombre-le-justifie» des francophones hors Québec, une chute des effectifs met en péril tout l'appareil de soutien à la francophonie. Il ne reste qu'une issue aux organisations de langue française: mentir, ou tout au moins dissimuler! Inventer des milliers de francophones là où il n'y en a pas. C'est plutôt facile dans un pays où à peu près personne - même au sein des médias - ne lit les colonnes de chiffres des recensements.

On en a eu la preuve dans le récent débat autour du brouhaha récent au Parlement après que le député libéral franco-ontarien Francis Drouin eut traité d'extrémiste et de plein de marde un témoin québécois au comité des Langues officielles, Frédéric Lacroix, pour avoir affirmé un lien de cause à effet entre fréquenter un collège ou une université anglais et la probabilité de travailler et de vivre en anglais.

Seulement deux organisations de la francophonie hors Québec, l'AFO (Franco-Ontariens) et l'ACFA (Franco-Albertains) sont intervenues par voie de lettre publique, celle des francophones de l'Ontario au comité fédéral des Langues officielles, celle de la francophonie albertaine au chef du Bloc québécois. Aucune des deux lettres n'abordait le fond du débat, c'est-à-dire le rapport entre étudier en anglais et vivre en anglais (voir liens en bas de page).

Mais il ne s'agit pas de décortiquer l'argumentaire ici. Ce sont plutôt leurs affirmations concernant l'importance de la minorité de langue française dans leur province respective. L'AFO se disait porte-parole de 795 760 Franco-Ontariens, pendant que l'ACFA évoquait l'existence de 261 000 «Albertains d'expression française». Quand on songe au fait que Statistique Canada n'a dénombré en 2021 qu'un million de personnes de langue maternelle française dans les neuf provinces et trois territoires anglo-dominants, on se demande quoi faire des prétentions de l'AFO et de l'ACFA, qui se proposent comme porte-parole à elles seules de près de 1 060 000 francophones...

Les journalistes de 2024, aux prises avec une heure de tombée immédiate depuis que les partisans du tout numérique ont relégué l'imprimé à l'arrière-plan, ont généralement moins de temps pour vérifier l'information reçue et le chef des nouvelles qui veut mettre un texte en ligne avant les concurrents ne verra pas d'un très bon oeil son scribe en train de fouiller dans les labyrinthes de Statistique Canada pour savoir s'il y a ou non 800 000 Franco-Ontariens. Il prend le plus souvent la parole de l'AFO comme vérité d'évangile et va au plus pressé. Avec des résultats prévisibles.

Selon le recensement le plus récent (2021), environ 525 000 Ontariens se disent de langue maternelle française (première langue apprise et encore comprise), et à peine 292 000 ont le français comme langue d'usage (langue la plus souvent parlée à la maison). Cette dernière étant considérée comme le meilleur reflet de la réalité, nous sommes très loin de 800 000 Franco-Ontariens. Même chose pour l'Alberta, où l'on trouve environ 75 000 personnes de langue maternelle française, et près de 28 000 francophones selon le critère de la langue d'usage.

D'où vient le chiffre de 261 000 avancé par l'ACFA? Il inclut tous les Albertains anglophones et allophones capables de s'exprimer en français. Sur son site Web, l'ACFA avoue entendre par «francophone» toute personne parlant français. Elle ajoute donc à la colonne des francophones près de 200 000 anglophones bilingues qui ne devraient pas y figurer. Pensez-y un instant. Si les anglos imitaient l'ACFA, ils incluraient comme anglophones tous les Franco-Albertains capables de s'exprimer en anglais (plus de 95%). Selon cette méthode, du point de vue des anglophones, il ne resterait dans la colonne des francophones que les 3 000 unilingues français... Ça n'a aucun sens!

L'organisme franco-albertain refait le coup, à un moindre degré, avec la langue de travail, le sujet qui l'oppose au chef du Bloc Québécois. Ce dernier avait malheureusement déclaré que seulement les profs de français travaillaient en français en Alberta. Une erreur que l'ACFA s'est empressée de dénoncer avec des chiffres pas très clairs. Elle parle de «25 000 personnes qui travaillent au quotidien en français» en Alberta. Selon Statistique Canada, c'est plutôt 22 000, et de ce nombre,  à peine 6 000 travaillent uniquement ou surtout en français. Les autres utilisent le français «à égalité» ou «régulièrement». Et de ceux qui utilisent surtout le français à l'ouvrage, plus de la moitié proviennent du secteur de l'enseignement. Ainsi, il serait utile de savoir que près de 14 000 des 22 000 travaillent surtout en anglais...

Je ne blâme pas les dirigeants des organisations francophones hors Québec de s'armer de cohortes de faux francophones pour impressionner des médias qui, le plus souvent, manifestent envers eux une indifférence coupable. Les combats qu'is mènent pour protéger et promouvoir la langue française dans des milieux hostiles relèvent de l'héroïsme. Mais il y a des limites. Même un journaliste peu informé devrait voir la contradiction entre l'affirmation de la vitalité et du dynamisme d'une collectivité dont les taux d'anglicisation dépassent parfois les 60%, et comprendre les différences entre les collectivités francophones hors Québec et les organismes qui parlent en leur nom.

Dans ce fol effort de propulser des nouvelles à toute vitesse sur Internet, nos salles de presse de plus en plus dégarnies ont tendance à devenir trop souvent des courroies de transmission.

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Liens

La lettre déshonorante de l'AFO - https://lettresdufront1.blogspot.com/2024/05/la-lettre-deshonorante-de-lafo.html

Lettre de l'ACFA au chef du Bloc québécois - https://acfa.ab.ca/lettre-ouverte-de-la-presidente-de-lacfa-au-chef-du-bloc-quebecois/


2 commentaires:

  1. Il faut mettre les points sur les « i » et cesser de manipuler les chiffres..... et les gens !!!

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  2. Les organisations francophones hors Québec sont fortement subventionnées par le fédéral. Et vous connaissez certainement le principe suivant: on ne mord pas la main qui vous nourrit. D'ou le fait que ces organisations souvent répètent la propagande du fédéral.

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