vendredi 3 mai 2024

Heureusement qu'on n'était pas en 1755...

PETIT RAPPEL HISTORIQUE ESSENTIEL...

En juillet 1755, à Halifax, lors de rencontres avec les Acadiens, le gouverneur britannique Charles Lawrence presse leurs délégués de prêter un serment d'allégeance inconditionnel au roi Georges II de Grande-Bretagne. Devant leur refus, il les enferme et donne l'ordre fatidique de la déportation.

Des soldats rassemblent des civils terrifiés, les expulsent de leurs terres, brûlent leurs maisons et leurs cultures. Sous la supervision de l'officier Robert Monckton, ces Acadiens sont entassés dans des bateaux et déportés. La tentative de génocide est en marche. En récompense, Monckton est nommé lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse...

(Extraits de l'Encyclopédie canadienne, 2015 et Wikipédia)

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René Arseneault - Capture d'écran de ParVu (Chambre des Communes)

RETOUR VERS LE PRÉSENT...

Le 10 avril 2024, un député acadien, René Arseneault, s'est levé à la Chambre des Communes pour voter en faveur du projet de loi C-347 dont il est le parrain, visant à permettre enfin aux députés fédéraux de siéger sans avoir à prêter serment au roi de Grande-Bretagne.

Le député libéral de Madawaska-Restigouche porte toujours en mémoire le sort cruel réservé  à ses ancêtres, et la cicatrice collective de la déportation reste vivement ressentie en Acadie, ainsi qu'au Québec et dans les collectivités francophones ailleurs au Canada. 

Près de 270 ans après «le grand dérangement», permettrait-on enfin aux députés acadiens (et les autres) de pouvoir jurer fidélité au pays sans se faire enfoncer Charles III dans la gorge? Etait-ce trop demander pour mettre un baume symbolique sur les crimes de guerre infligés jadis à son peuple par les «habits rouges» britanniques?

La réponse est simple. NON! M. Arseneault savait que les députés monarchistes gémiraient d'horreur mais il pouvait espérer un soutien des quelque 80 francophones siégeant aux Communes, alliés naturels, et des collègues anglophones qui préfèrent la suprématie citoyenne à la génuflexion coloniale devant un roi étranger. Il a finalement été trahi!

Et la trahison est venue de l'intérieur, de son propre parti. Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, qui ose se dire «fier Québécois», a donné l'ordre à tous les membres de son conseil des ministres - y compris les francophones - de s'opposer au projet de loi Arseneault, et ainsi maintenir l'exigence du serment à Charles III pour pouvoir occuper un siège aux Communes.

La réaction du député franco-ontarien Marc Serré, ne s'est pas fait attendre. Le député de la circonscription nord-ontarienne de Nickel Belt est allé jusqu'à demander publiquement «quel francophone» pourrait bien s'objecter à ce projet de loi. Faudrait qu'il pose la question à Justin Trudeau. Sans l'ordre de solidarité ministérielle, tous les membres francophones de son cabinet (et probablement quelques anglos) auraient voté contre l'obligation du serment monarchique.

Mais le geste le plus honteux du premier ministre est d'avoir obligé ses deux ministres acadiens, Dominic LeBlanc et Ginette Petitpas Taylor, ainsi que Diane Lebouthillier (qui représente les Acadiens des Îles-de-la-Madeleine) à enfiler les «habits rouges», le temps d'un vote, et à honorer la mémoire des Lawrence et Monckton devant leurs collègues acadiens René Arseneault, Darrell Samson et Chris d'Entremont...

Les comptes rendus médiatiques que j'ai lus ne font pas état de commentaires de ministres, et notamment des Acadiens, obligés de se positionner du côté sombre de la force. Alors j'ai voulu voir en consultant les enregistrements vidéo du vote sur la deuxième lecture du projet de loi C-347. Ce n'est pas édifiant.

Les caméras des Communes n'offrent pas (ou très peu) de plans rapprochés des députés qui votent, mais ils permettent de voir l'ensemble de la salle qu'avaient désertée la majorité des députés, y compris les collègues libéraux de René Arseneault. Les sièges réservés aux membres du cabinet Trudeau étaient largement vides...

J'aurais voulu examiner les expressions des Joly, Champagne, Rodriguez, Duclos, Guilbeault, Saint-Onge, LeBlanc, Boissonneault et autres alors qu'ils s'agenouillaient devant Charles III à la face de M. Arseneault. Mais ils s'étaient pour la plupart absentés des Communes, se contentant d'enregistrer un vote électronique à distance. Justin n'y était pas. Ginette Petitpas Taylor, députée de Moncton-Riverview-Dieppe, s'est cependant levée en personne pour rejeter, sourire aux lèvres, le projet de son collègue acadien...

Je me demande ce que ces ministres francophones ont ressenti, si effectivement ils ont ressenti quelque chose, quand un groupe de députés anglophones (conservateurs je crois, la caméra ne les montrait pas) s'est levé pour entonner le God Save the King. Tiens, Arseneault, prends ça!!! Si ces députés avaient été là en 1755, ils auraient probablement déporté les Arseneault de l'époque...

Les faux-fuyants de Justin Trudeau pour s'opposer à C-347 ne tiennent pas la route. Le Parlement canadien reste maître de sa procédure et a parfaitement le droit de modifier le serment d'entrée en fonction de ses députés sans avoir à entamer des négociations constitutionnelles. L'Assemblée nationale du Québec a supprimé le serment d'allégeance au roi l'an dernier, modifiant unilatéralement l'AANB de 1867, parce que sa procédure et ses rapports avec la monarchie relèvent de sa compétence. Il en va de même à Ottawa.

Je soupçonne que les motifs du gouvernement avaient plutôt tout à voir avec la position des libéraux dans les sondages et leur désir de ne pas donner de bois d'allumage à Pierre Poilievre. C'était un mauvais calcul. Piétiner des principes tout en humiliant de nouveau l'Acadie à la face du monde leur collera à la peau comme une tache... permanente.


1 commentaire:

  1. La traitrise a un nom, souvenons-nous des collabos en France !!! Aucune fierté !!! Quel honte !!! Et les gens votent pour ça !!! Incroyable !!!

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