Pauvre Francis Drouin (député libéral franco-ontarien)! Un héros l'an dernier quand il accusait ses collègues députés du West Island de mener un «show de boucane» de désinformation linguistique... Un zéro cette année quand il traite de «pleins de marde» et d'extrémistes des chercheurs québécois faisant état, à partir d'études de Statistique Canada, de liens très réels entre la fréquentation de collèges et universités anglaises et l'anglicisation des étudiants.
Dr Jekyll et Mr Hyde? Sans doute pas. Plutôt un député soupe-au-lait qui ne semble pas avoir lu ses dossiers, qui a écouté des témoignages d'une oreille tellement distraite qu'il n'en a pas saisi le sens, a attaqué sans prendre le temps de comprendre, lancé de façon irréfléchie le mot «extrémiste» puis, piqué au vif par la réplique du chercheur, qui lui demandait s'il s'agissait d'un langage «parlementaire», est sorti de ses gonds devant les caméras du Parlement.
Si le député Drouin avait été attentif, il aurait reconnu dans les interventions de MM. Frédéric Lacroix et Nicolas Bourdon des arguments qu'emploient, exactement pour les mêmes motifs, les groupes franco-ontariens depuis plus d'un demi-siècle pour tenter de s'assurer que les jeunes francophones puissent étudier dans des collèges et des universités «par et pour» les francophones. Non, il s'est lancé dans de délirantes diatribes contre le Bloc québécois et le PQ, auxquelles se sont associées avec une ignorance stupéfiante le ministre des Langues officielles Randy Boissonneault et le premier ministre Trudeau.
Je me permets de citer à l'attention de M. Drouin cet extrait d'un mémoire présenté en avril 1970 par l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO) au Groupe de travail sur le bilinguisme à l'Université d'Ottawa, dans lequel l'association parapluie des Franco-Ontariens réclamait la francisation complète de l'université :
«Pourquoi une minorité, qui a besoin de toutes ses énergies pour survivre et vivre, devrait-elle se payer le luxe d'une université bilingue dont le coût serait peut-être une assimilation lente mais certaine? À moins de posséder intégralement son institution de haut savoir, le groupe francophone fortement minoritaire ne peut absolument pas se développer normalement dans un environnement anglophone où se côtoient deux cultures différentes.
«À titre d'exemple - parmi les centaines d'exemples possibles - citons les observations d'un étudiant en maîtrise qui distribuait, pour fin d'enquête, un questionnaire rédigé dans les deux langues. Quels ont été les résultats du côté linguistique? 30% des francophones fréquentant les facultés de langue anglaise préférèrent répondre en anglais. Si on ne déduit pas de ce fait une preuve d'assimilation, c'est-à-dire une preuve qu'il est impossible à un étudiant de conserver indéfiniment sa langue et sa culture dans un milieu linguistique différent du sien, toute lutte devient inutile et injustifiable. La paresse mentale s'installe et rapidement, peu s'en faut, pour que cet étudiant, pense, parle, écrive et vive en anglais.»
Cette constatation plutôt artisanale a été faite à une époque où les pressions vers l'anglais étaient moins intenses qu'aujourd'hui, dans une université bilingue où les francophones formaient une mince majorité, bien avant que la grosse machine de Statistique Canada se mette en marche et déploie des moyens beaucoup plus costauds pour qu'on puisse en arriver à des conclusions similaires, même au Québec, au 21e siècle. Les études du mathématicien Charles Castonguay, gourou de la démographie linguistique canadienne et québécoise, brossent un tableau encore plus dramatique des transferts linguistiques vers l'anglais chez les francophones et les allophones.
Le député Drouin représente une circonscription ontarienne (Glengarry-Prescott-Russell), située à la frontière du Québec, où l'assimilation grignote chaque année une proportion appréciable de la majorité francophone en rétrécissement. Il a vécu la lutte désespérée menée depuis 2012 - sans succès - par les organisations étudiantes franco-ontariennes du collégial et de l'universitaire pour obtenir une gestion «par et pour» les francophones des études post-secondaires en français dans sa province. Il a assisté à la disparition du seul collège agricole de langue française de l'Ontario, situé dans le village d'Alfred (dans sa circonscription). L'argumentaire linguistique présenté par les chercheurs québécois au comité des langues officielles aurait dû résonner comme un écho familier de son propre patelin, où les conséquences d'étudier en anglais se vivent au quotidien.
Mais à entendre ses réactions à froid, le lendemain de l'incident «plein de marde» au Parlement, M. Drouin semble vraiment avoir échappé le fond de l'affaire, un fond qui, par surcroit, niche désormais au coeur même de la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles. Piqué à vif par la présentation des deux chercheurs québécois, Francis Drouin semblait avoir compris que l'anglicisation au Québec était causée par la simple présence d'universités comme McGill ou de collèges comme Dawson. Ce que MM. Lacroix et Bourdon n'avaient pas prétendu, d'ailleurs. Et pourtant, 24 heures plus tard, il reprenait la même trame, n'ayant sans doute pas relu le mémoire des chercheurs québécois ou réécouté les enregistrements de leur présentation aux députés.
«Imagines-tu si on était en train de dire que le collège La Cité, l'Université d'Ottawa* (sic) ou l'Université de l'Ontario français sont en train de franciser Toronto (sic)? Ça n'a pas de bon sens ce discours-là. C'est pour ça que j'ai perdu patience», déclarait le jour suivant M. Drouin. Effectivement ça n'a pas de bon sens, et personne ne l'aurait dit sans se couvrir de ridicule. Le député de Glengarry-Prescott-Russell semble avoir perdu de vue qu'au Québec comme en Ontario, la seule langue menacée est le français. L'existence du collège La Cité (à Ottawa, et non à Toronto) ne francise rien en Ontario. Il protège la langue française en milieu collégial dans une province où l'anglais exerce une omniprésence écrasante. Il existe pour empêcher les jeunes Franco-Ontariens de s'angliciser à l'école, comme cela arrivera aux Québécois francophones qui fréquentent Dawson, McGill ou Concordia.
Au lieu de dénoncer une «machine péquiste» imaginaire lancée à ses trousses dans le sillage de cette affaire, le député Drouin devrait se renseigner davantage sur les liens entre la fréquentation d'un collège ou d'une université en anglais et l'anglicisation, notamment auprès des organisations franco-ontariennes qui mènent dans ce domaine des combats le plus souvent infructueux depuis plusieurs décennies. Il leur doit des excuses tout autant qu'à MM. Lacroix et Bourdon. Avez-vous d'ailleurs noté le silence à peu près total des dirigeants de la francophonie hors Québec dans l'affaire des «pleins de marde»? Y a-t-il un seul journaliste qui ait sollicité leurs commentaires, sur le fond de la question mais aussi sur leurs relations à peu près constantes avec le Bloc québécois qui, quoiqu’en dise Justin Trudeau, ne cesse de s'intéresser et d'intervenir en faveur des francophones partout au Canada?
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* L'Université d'Ottawa est une institution bilingue, pas française, et la proportion d'étudiants francophones oscille autour de 30%. Ce n'est pas un milieu de francisation, mais un lieu d'anglicisation. M. Drouin devrait aller y faire un tour...
J'espère que Francis Drouin lira ce texte attentivement et comprendra !!! Au fait, parle-t-il français à la maison ??? Ma mère étant née à Bourget est fière franco-ontarienne !!!
RépondreEffacerC'est triste à dire, mais le seul parti sur lequel les Franco-ontariens peuvent compter pour nous défendre est le Bloc Québécois comme la lutte pour la préservation de l'Hôpital Montford à démontrer. Nos deux députés libéraux de l'époque, Don Boudrias et Mauril Bélanger étaient plutôt discret pour utiliser un terme poli. Alors la réaction de M. Drouin n'est pas surprenante, bien au contraire.
RépondreEffacerVous avez malheureusement raison !!!
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