jeudi 6 octobre 2022

Les chemins d'été (11e jour)

Jeudi 14 juillet 2022

Au mois de juin 1971, j'avais visité le Saguenay-Lac-Saint-Jean avec un collègue journaliste du quotidien Le Droit, Pierre Martel, originaire du village de Laterrière (près de Chicoutimi). Or, le 4 mai 1971, un glissement de terrain avait emporté une partie de la municipalité de Saint-Jean-Vianney, sur l'autre rive du Saguenay, entraînant la mort de 31 personnes et la destruction de 42 maisons. La nouvelle avait fait le tour du monde et comme jeunes reporters (j'avais 24 ans), le lieu du sinistre devenait pour nous un détour incontournable.

Il est difficile de décrire ce que l'on ressent quand une rue bordée de maisonnettes se transforme d'un coup sec en immense crevasse de 0,3 km carré (voir photo ci-dessous, que j'ai prise en 1971). Avec nos cartes de presse, les policiers nous ont laissés aller à pied jusqu'au bord du précipice. Dans le canyon de débris, on fouillait toujours pour des corps qui n'ont jamais été retrouvés sous la coulée de boue et d'argile. Plus tard, les autorités ont décidé de relocaliser les maisons restantes et de fermer le village. Cinquante ans plus tard, le 14 juillet 2022, Claude, Jacqueline, Ginette et moi sommes partis à la recherche des vestiges de Saint-Jean-Vianney.

Empruntant la route 172 et suivant les instructions de Georgette-GPS, nous avons viré à droite sur le chemin Shipshaw où une petite affiche indique la direction de Saint-Jean-Vianney. Après avoir roulé un bon bout de temps et passé devant le cimetière de l'ancien village, il n'y avait toujours rien à voir, sauf des arbres et de la brousse. Et pourtant, selon le GPS, nous étions arrivés à destination. Décidément, après un demi-siècle, la nature avait repris ses droits là où auparavant se trouvaient des rues, une église, des magasins et des résidences.  Puis tout à coup, en quittant le chemin Shipshaw, nous nous sommes retrouvés devant le mémorial Saint-Jean-Vianney, une structure métallique où l'on peut lire, en lettres percées à travers le métal, le nom du village sinistré.


Claude et Jacqueline devant le mémorial

Sur les panneaux en zigzag, photos et textes montrent des scènes de Saint-Jean-Vianney, des débuts à 1970, ainsi qu'une image des maisons relocalisées dans un nouveau secteur de la ville de Saguenay. Un peu plus loin subsistent des marches de l'ancienne église. Mais c'est à peu près tout. Aucune trace de la municipalité où quelques milliers de personnes vaquaient jadis à leurs occupations. Il ne reste que la végétation. La sensation produite est aussi puissante qu'en 1971 devant le sinistre gouffre. C'est comme le village fantôme Val-Jalbert sans les maisons. Saint-Jean-Vianney est habité par des fantômes sans village. Le cimetière demeure bien entretenu cependant, et plusieurs tombes indiquent des décès survenus bien après le glissement de terrain.

Ginette au «centre-ville» de ce qui fut Saint-Jean-Vianney

Une des images sur les panneaux métalliques

Sans s'avérer aussi tragique qu'à Saint-Jean-Vianney, un nouveau glissement de terrain a retenu l'attention des Saguenéens à l'été 2022. Survenu à la mi-juin dans l'arrondissement La Baie, à l'extrémité est de la ville de Saguenay, l'affaissement avait emporté une maison et forcé l'évacuation de 76 familles (qui n'avaient toujours pas réintégré leur foyer à la mi-juillet). Et comme nous nous rendions tout près de là pour la représentation du méga-spectacle La fabuleuse histoire d'un royaume, un petit détour pour jeter un coup d'oeil au quartier sinistré paraissait un complément logique à notre exploration de ce qui fut autrefois Saint-Jean-Vianney.


On roulait sans trop savoir où on allait quand Ginette s'est exclamée: «C'est là!», attirant notre attention aux résidences derrière une clôture de broche, aux énormes blocs de béton qui interdisaient le passage entre les maisons, et à l'impressionnant affaissement de terrain en haut de la côte où quelques maisons frôlaient le précipice. Ayant garé la voiture, nous sommes restés là à décortiquer la scène, pensifs. J'essayais d'imaginer ce qu'avaient dû ressentir les résidents, obligés d'évacuer leur demeure avec quelques minutes de préavis sans pouvoir emporter plus que l'essentiel, campés dans des logements temporaires depuis un mois, se demandant si et quand ils pourraient rentrer chez eux... Je me compte chanceux d'être logé sur un terrain plat...


En fin d'après-midi, aux abords de la Baie des Ha! Ha! (voir parenthèse ci-dessous), nos regards se fixent sur la Verrerie d'art Touverre, où le réputé Giuseppe Benedetto prépare quotidiennement des oeuvres en verre soufflé, en plus de faire des démonstrations. La chance nous sourit. Nous arrivons au début de la fabrication d'une assiette multicolore, qui se vendra sans doute 400 ou 500 $ dans la boutique adjacente à l'atelier. Maniant avec grande expertise ses outils et matériaux devant des fours chauffés à 2000 degrés, sans se brûler, l'artisan québécois d'origine italienne a mis environ une heure à façonner sa magnifique assiette. Une impressionnante démonstration! Nous avons fait quelques achats sur place, mais dans une gamme de prix plus accessible...

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(Seule parenthèse)

Devant la Baie des Ha!Ha!

Le secteur La Baie de la ville de Saguenay, anciennement Port-Alfred et Bagotville, est situé à la limite sud de la Baie des Ha! Ha! (un prolongement de 11 km du fjord du Saguenay en zone urbaine). Le nom de cette baie m'a toujours intrigué, et l'explication n'a rien de comique. Voici ce qu'en dit Wikipédia: «Le terme Ha! Ha! ne relève nullement de l'onomatopée, mais probablement d'une altération d'un toponyme Innu qui signifie lieu où on échange de l'écorce. D'autres linguistes pensent à une possible dérivation du terme français haha qui signifie obstacle inattendu sur un chemin.» Vous ne rirez pas non plus si vous rencontrez un immense requin du Groenland, un des multiples poissons de mer qui rôdent dans les eaux salées de la Baie des Ha! Ha!.

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Après un copieux souper à l'excellent restaurant Opia (865 Victoria, secteur La Baie), le temps est venu de se joindre au millier de spectateurs qui se massent au théâtre municipal de Saguenay pour le seconde présentation estivale de «La fabuleuse histoire d'un royaume». On ne peut que commenter en superlatifs cette épopée du Saguenay-Lac-Saint-Jean, formée de fresques historiques parfois spectaculaires, avec effets visuels spéciaux, mettant en vedette des humains mais aussi des animaux, l'action se déroulant sur la scène ainsi que dans les allées du théâtre... Fêtant cette année son 35e anniversaire, «La fabuleuse» est devenue un événement de marque, populaire et encensé par la critique. Mettez-le à votre agenda pour l'été 2023!

Retour à Dam-en-Terre pour notre avant-dernière nuit en terre jeannoise avant de rentrer en Outaouais...


Demain: les Jardins Scullion et une soirée de théâtre.


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