samedi 15 octobre 2022

Le venin de la presse anglo....

Vraiment, quand il s'agit du Québec, la presse de langue anglaise est trop souvent disposée à publier comme vérité d'évangile, sans se donner la peine de vérifier, toutes sortes de propos injurieux, diffamatoires, porteurs de préjugés tenaces qui frisent à l'occasion le racisme.

L'édition du samedi 1er octobre 2022 du Globe and Mail, le prestigieux quotidien national du Canada anglais, proposait à son vaste public l'analyse d'un chroniqueur montréalais connu, Justin Ling, qui présentait le premier ministre québécois François Legault sous les traits d'un tyran irrespectueux des droits et libertés des citoyens québécois.

Sous le titre Duplessis, Part Deux? (voir https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-francois-legaults-duplessis-turn-is-a-threat-to-quebecs-democracy/), M. Ling brouille tellement la ligne de démarcation entre les faits et ses propres opinions qu'un tel texte, s'il m'avait été remis pour approbation avant publication, aurait été rejeté sur-le-champ et balancé dans la corbeille ou la poubelle la plus proche. Mais au Globe and Mail, il est passé comme un couteau dans le beurre.

Quelques exemples?

L'auteur mentionne entre autres que M. Legault «shares some of Mr. Duplessis' habits - contempt for the rule of law, a willingness to ignore Quebeckers' civil liberties». Juste comme ça. Sans le moindre élément de preuve. L'évidence même, pourrait-on croire. Mais au-delà de son accusation de mépriser les règles de droit et de passer outre aux libertés civiles des Québécois, il y a pire: l'emploi du mot «habits», qui signifie un comportement usuel, acquis par répétition fréquente. On ne vise pas ici les seuls enjeux de la laïcité ou de la langue français; on cible la personne elle-même. M. Legault.

Quelques paragraphes plus tard, Justin Ling en remet, cette fois avec de la sauce. Parlant toujours du premier ministre, il écrit: «His odious Bill 21 has stripped citizens of their right to expression in the workplace, forcing women who wear the hijab out of the classroom, forbidding men who wear the turban from being police officers, and casting a pall over Québec's ethnic minority communities». J'ai peine à croire que même au Globe and Mail, quelque rédacteur (en chef ou pas) n'ait pas sourcillé en lisant des propos à ce point excessifs.

Il y a au départ l'emploi du qualificatif «odious» - odieux en français - collé à la Loi 21 comme si cela allait de soi, sans avoir avoir besoin de justification. Cela donne le ton. Cette loi, affirme-t-il a arraché (stripped) aux citoyens leur liberté d'expression en milieu de travail. Rien de moins. Depuis quand l'interdiction de porter des symboles religieux pour certaines personnes en situation d'autorité constitue-t-elle l'entièreté de ce qu'on appelle «liberté d'expression» au travail? Comme exagération, cela défie l'entendement.

L'idée que la laïcité de l'État puisse protéger les libertés et l'égalité des citoyens ne semble pas l'avoir effleuré. Le fait que le hijab soit perçu comme un symbole d'oppression et d'infériorisation de la femme ne semble pas l'avoir effleuré. Il se limite à «l'expulsion» des femmes coiffées d'un hijab des salles de classe, et encore là il se trompe. Cette interdiction se limite aux enseignantes et enseignants. Les étudiantes musulmanes peuvent fréquenter l'école avec leur hijab en toute liberté.

Le texte du Globe sous-entend par ailleurs l'emploi de formes de violence (pas physique) à l'endroit des minorités ethniques et culturelles par le gouvernement de M. Legault. La Loi 21, y lit-on, jette un «pall» sur ces communautés culturelles et ethniques. Eh bien, un «pall», en anglais, c'est un drap mortuaire. On met ça sur un cercueil. Pas besoin de faire un dessin pour soupçonner une allusion au génocide possible de ces communautés culturelles et ethniques. Et on laisse passer ça, même s'il s'agit d'une fausseté flagrante.

D'un paragraphe à l'autre, l'auteur en rajoute. Que les faits le contredisent ne semble pas le préoccuper. Ainsi son rappel de la célèbre question de l'animatrice Shachi Kurl lors d'un débat télévisé des chefs durant la campagne fédérale de 2021. Selon M. Ling, Mme Kurl avait demandé aux chefs politiques si la Loi 21 était discriminatoire, ce qui aurait rendu M. Legault furibond, extrêmement enragé (apoplectic). Corrigeons: d'abord la question s'adressait au chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, et Mme Kurl avait affirmé que les Lois 21 et 96 du Québec étaient discriminatoires, et qu'elles marginalisaient les minorités religieuses, les anglophones et les allophones. Quant à savoir si François Legault a fait une crise d'apoplexie...

Quand on pense que ça ne peut que s'améliorer, ça empire. «Yet Mr. Legault has attacked the very foundation of the Québec state himself. Quebeckers are guaranteed rights by the federal Charter of rights and freedoms, a document their state has never patriated as well as Quebec's own Charter.» M. Legault s'attaque aux fondations mêmes de l'État? Expliquez-moi ça! La Loi 21 donne à l'État des fondements plus solides en le libérant (un peu) de l'ingérence des religions. Et peut-être quelqu'un devrait-il expliquer à M. Ling que la Charte fédérale de 1982 a été imposée en cachette par le Canada anglais et qu'elle était en bonne partie dirigée contre le Québec, qui ne l'a jamais reconnue.

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capture d'écran du texte du Globe and Mail

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Le paragraphe ci-dessus, pris en entier, fera croire au lecteur peu informé que le Québec, sous M. Legault et la Loi 96, est devenu un État policier qui persécute les anglophones et les Autochtones. Il ne manque qu'une allusion à la croix gammée et à la Gestapo. On peut presque imaginer de pauvres immigrants sous la tutelle d'enseignants cruels leur enfonçant le français dans la gorge, des inspecteurs surveillant les milieux de travail pour museler l'anglais, des policiers de la langue armés de mandats fouillant les commerces et emportant des caisses de documents incriminants... Plus loin de la réalité que ça, on gambade aux côtés d'Alice, au pays des merveilles... En passant, je vous invite à vérifier le sens du mot ham-fisted dans un dictionnaire anglais...

De plus, les Lois 21 et 96 ont enchâssé la laïcité de l'État et le français comme langue officielle et commune du Québec. Cela, en français, me direz-vous, ne choque les oreilles de personne. Mais la façon de traduire ces concepts en anglais peut avoir un effet profond sur leur perception. Laïcité de l'État s'habille ici en state-imposed secularism. Et on ajoute que le français devient the language of integration in the Québec nation. Le mot commune a été remplacé par intégration. On a frôlé le mot inclusion, à la mode ces jours-ci. J'ai grandi et j'ai vécu 29 ans à Ottawa et je sais quel effet ce langage peut avoir sur des anglophones déjà méfiants à l'endroit du Québec. C'est un peu comme une coloration d'Halloween, pour faire peur un peu. Et pour ajouter un peu au frisson, l'auteur souligne que M. Legault s'adonne de façon constante à la diabolisation des étrangers (the demonization of foreigners).

Selon le chroniqueur, M. Legault serait convaincu que lui seul peut prendre les meilleures décisions pour les Québécois. Pas les chartes, pas les experts, les tribunaux ou même la science. La preuve? Tenez-vous bien: les couvre-feu imposés en 2021 pour contrer la pandémie de COVID-19. Selon l'auteur, Québec fut le seul territoire en Amérique du Nord à prendre une mesure «aussi dramatique», «dispatching police across the province to harass and ticket anyone caught outside of their home after dark. Youth, particularly racialized youth, found themselves saddled with hefty fines just for being outside.» Non, mais quelqu'un se souvient-il de l'envoi de policiers partout au Québec avec l'objectif de harceler des jeunes de races non blanches? Mon souvenir, c'est que le couvre-feu a été généralement bien accueilli et respecté comme moyen de prévenir les rassemblements susceptibles de propager la COVID, et que cet objectif a été atteint. Par ailleurs, le Québec ayant été le plus durement touché par la première vague au printemps 2020, il était raisonnable de croire que des mesures plus rigides seraient prises pour éviter une récidive. Harcèlement des jeunes racialisés d'un bout à l'autre du Québec? De la bouillie pour les chats!

Non seulement ce texte peint-il, dans son ensemble, un portrait erroné du Québec et de son premier ministre (non, je ne suis pas un partisan de la CAQ), mais il est imbu de ce ton moralisateur, supérieur, que nous sert le Canada anglais depuis plus de deux siècles. Eux comprennent la démocratie, pas nous. Eux respectent les libertés, pas nous. Eux respectent les étrangers, par nous. Comme le disait Lord Durham, c'est pour nous élever à leur niveau qu'ils veulent nous enseigner leurs valeurs... et la langue anglaise. À leurs yeux, les mesures contenues dans les Lois 21 et 96 ne relèvent pas du simple différend d'opinion. Ce sont des péchés, ce qui justifierait de diaboliser nos chefs politiques et nos mesures identitaires. Et cela paraît, même sous la plume de journalistes réputés, dans des journaux réputés. Le mal est très profond.

Je proteste, pour la forme. Une bouteille de détergent que je lance dans un vaste océan de déchets...


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