lundi 25 septembre 2023

Il était une fois...

Les anciens quartiers canadiens-français d'Ottawa. De gauche à droite, en bleu, St-François d'Assise-Mechanicsville, la Basse-Ville (au centre) et Vanier (à droite). Les secteurs en jaune indiquent une forte présence francophone, pas nécessairement majoritaire.

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Ce 25 septembre, Jour des Franco-Ontariens, je songe à l'ancien quartier canadien-français d'Ottawa où j'ai grandi et qui habite toujours mes tripes, mais dont il ne reste guère plus que l'imposante église Saint-François d'Assise, trop souvent vide... La plupart des maisons de l'époque ont survécu. Quelques-unes des rues ont même conservé leur allure des années 1950. Mais nos gens n'y sont plus. Il n'y a plus d'âme.

Nos deux paroisses comptaient quatre écoles franco-ontariennes. J'en ai fréquenté trois - St-Conrad, St-François d'Assise et Notre-Dame-des-Anges. La plus grande a été intégrée à un projet de condos, une seconde démolie pour une tour d'appartements. Une seule reste ouverte en 2023. La communauté croate d'Ottawa occupe depuis les années 1980 la plus petite des deux églises, Notre-Dame-des-Anges. Et on n'entend plus de français dans les rues...

J'aurais pu jadis me consoler en arpentant l'un des autres territoires francophones d'Ottawa, mais eux aussi ont subi le sort des miens. Le bastion franco-ontarien de la capitale, la Basse-Ville, qui remonte aux origines de la ville, n'est plus qu'à 20% francophone, charcuté par une «rénovation urbaine» suspecte dans les années 1970. Le secteur Vanier et sa vitrine sur le chemin Montréal ont aussi succombé. Nos écoles et nos églises fermées, vendues, abandonnées.

Pire, au cours du dernier demi-siècle, TOUS les vieux quartiers urbains de l'Ontario français - Cornwall, Sudbury, Welland, Windsor - ont connu le même sort. Ces dernières décennies, la grappe de villages canadiens-français situés à l'est de la capitale a été engloutie par une marée citadine à forte majorité anglophone. À Ottawa, les résidences pour personnes âgées, comme celle où vivait ma mère jusqu'à sa mort récente, semblent être devenues les ultimes refuges d'une population franco-ontarienne vieillissante et éparpillée.

On peut aujourd'hui trouver en ligne d'anciens annuaires de la capitale où les noms sont publiés dans l'ordre alphabétique des rues. J'ai consulté celui de 1923 (100 ans exactement) et retrouvé le nom de mon grand-papa Joseph Allard, qui vivait sur la rue Forward avec sa jeune famille de trois enfants. Ma grand-mère Alexina était enceinte de son quatrième - mon père - qui naîtrait en 1924. J'en ai fait une capture d'écran (ci-dessous) puis parcouru les autres rues du quartier avec les mêmes résultats - des noms français à 80 ou 90%.


Quand je suis né en 1946, la composition du quartier n'avait pas beaucoup changé. En 1950, ayant jeté un regard sur la francophonie ottavienne, le patriarche franco-ontarien Séraphin Marion lui prédisait un brillant avenir. Puis en quelques décennies, tout s'écroulait. C'étaient des quartiers pauvres, proies faciles pour des gouvernements et des constructeurs désireux de «moderniser» la capitale. Plusieurs résidants ont traversé la rivière vers Hull et Gatineau. La plupart se sont éparpillés dans les quartiers anglais. L'assimilation et la chute brutale de la natalité ont fait le reste.

Avec une pyramide démographique en voie d'inversion et l'absence de territoires urbains, la majorité des jeunes Franco-Ontariens des villes sont au mieux bilingues, voire carrément anglicisés. Ce matin, le Conseil national des conseils scolaires francophones (hors Québec) faisait savoir aux parlementaires qu'en Ontario, «près d’un élève sur deux dans les écoles de langue française de l'Ontario, soit 44%, est issu de l’immigration.» Comme le nombre de francophones est stagnant depuis 50 ans en terre ontarienne, on assiste donc à l'effondrement démographique et identitaire de l'ancien Ontario français que j'avais connu dans ma jeunesse.

On comprend un peu mieux pourquoi les conseils scolaires et les organisations représentant les collectivités francophones hors Québec insistent tant pour une augmentation dramatique de l'immigration de langue française. L'existence d'écoles, de paroisses, d'institutions sont en jeu. Je ne m'en étais pas vraiment rendu compte avant le décès de ma maman, fin juillet, à l'âge de 99 ans, mais la majorité du personnel soignant au 4e étage du seul hôpital de langue française d'Ottawa, l'hôpital Montfort, avait des origines africaines ou haïtiennes. Comme le curé de la paroisse d'Orléans, comme le personnel que nous avons rencontré à la Caisse Desjardins d'Orléans. Que feraient ces institutions sans l'apport essentiel d'une immigration francophone? Que ferait l'Ontario français?

Mais le problème reste entier. Ces nouveaux arrivants ne vivront pas dans des quartiers francophones et seront assujettis aux mêmes forces d'anglicisation que mes anciens compatriotes de St-François, de la Basse-Ville et de Vanier. Sans territoire bien à elle, la francophonie urbaine de l'Ontario finira un jour par agoniser. Il reste bien 100 000 francophones à Ottawa, mais ils sont éparpillés dans des quartiers où partout, la langue de la rue est l'anglais. Le véritable territoire majoritairement franco-ontarien se rétrécit tous les ans et se limite aujourd'hui à la moitié est de l'Est ontarien, Hawkesbury en tête, et à quelques villes et villages du Nord ontarien dont le coeur bat désormais à Hearst.

Mommy, Daddy...*

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* Lien à la chanson de Dominique Michel et Marc Gélinas - https://www.youtube.com/watch?v=2cAFl50qhpg


1 commentaire:

  1. Lors de la pandémie, j'ai fait quelques quarts de travail à une caisse populaire de l'est d'Ottawa (chemin Cyrville) et plusieurs employé-e-s étaient d'origine étrangère, dont une Ivoirienne et une Béninoise qui, étrangement, ressemblait comme deux gouttes d'eau à ma deuxième fille. C'était sidérant: même gabarit, même visage, même chevelure, etc. Une autre fois, lors d'une entrevue à la Cité collégiale, il y avait une Africaine qui était originaire du Bénin, plus précisément de Cotonou. Elle était bouche bée quand je lui ai parlé de sa ville natale et des différents quartiers qui s'y trouvent. Elle ne s'attendait absolument pas, lorsqu'elle s'est levée ce jour-là, à entendre un vieux monsieur blanc lui parler de minuscule quartiers d'une ville faisant partie d'un tout petit pays d'Afrique occidentale...

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