Capture d'écran du texte d'ONFR+, publié le 26 août 2023 |
Face aux Autochtones, l'hypocrisie règne en maître au Canada. On avoue des torts, des injustices historiques sans avoir la moindre intention de les réparer. De vraiment les réparer... Les mots «vérité et réconciliation» qu'on brandit partout sont plus souvent qu'autrement vides de sens. Des mots. Rien que des mots.
Au printemps, je suis allé applaudir deux de mes petites-filles au spectacle de fin d'année d'une école de danse, présenté dans un théâtre municipal, à Ottawa. Avant même le début, la première personne à monter sur scène a annoncé au public que le concert se déroulait en territoire non cédé de la nation algonquine anishinaabe...
C'est comme ça à je ne sais trop combien d'événements ou de réunions dans la région de Gatineau et Ottawa où sévit la lourde empreinte du gouvernement fédéral. Voyez ci-dessous en capture d'écran le texte de présentation du Conseil des arts du Canada, situé à jet de pierre du Parlement canadien, sur la rue Elgin. Mais ça veut dire quoi?
Si le chef de cette nation algonquine se présente demain au 2e étage du 150 Elgin et déclare solennellement : «Vous êtes sur un territoire que nous n'avons jamais cédé, nous en reprenons possession. Veuillez évacuer les lieux!», que feront les dirigeants du Conseil des arts du Canada et leur personnel? Iront-ils monter des tentes de fortune sur les rives du ruisseau de la Brasserie à Gatineau, avec les itinérants?
Bien sûr que non! Personne n'a l'intention de rendre aux Autochtones les centres-villes d'Ottawa ou de Montréal, peu importe la valeur de leurs revendications historiques. Alors on se gargarise de belles paroles assorties d'un accès plus «généreux» au trésor public. Des milliards de dollars, qui ne semblent avoir réglé absolument rien. On achète la paix, ou du moins des sursis, sans aller au fond des choses.
Les élus se font bonne conscience en donnant des noms autochtones à des rues ou à des édifices, en ajoutant des images ou des symboles autochtones aux timbres, à la monnaie, et ainsi de suite. Et voilà qu'on parle même de réécrire les paroles de l'hymne «national» du Canada pour (aux dires d'une chroniqueuse d'ONFR+) le «décoloniser». (Voir lien en bas de page). Non mais où cela s'arrêtera-t-il?
Mettez ça dans le broyeur des réseaux sociaux, laissez mijoter jusqu'à ébullition, et pouf! Nouvelle crise, blocages de route, d'autres manifs, l'éventuel rapport d'une nième commission d'enquête, suivi sans doute d'une conférence de haut niveau où les tam-tams seront bien en évidence, assortie d'analyses et de hauts cris dans les médias et... nous revoilà probablement (encore une fois) revenus au point de départ.
Notre fixation sur le passé, sur l'attribution de blâmes et l'écoute d'excuses publiques ne mènera à rien. D'autant plus que ces futiles exercices se déroulent sur fond de vieux antagonismes anglais-français, gauche-droite, Québec-Canada, sans oublier le «racisme systémique» importé des USA et calqué, souvent gratuitement, sur nos réalités. On ne s'en sortira pas.
Si j'affirmais qu'historiquement, en Amérique du Nord, la coexistence entre Canadiens français et Autochtones était différente (et meilleure) que celle des Autochtones face aux porte-étendards de l'impérialisme britannique, j'aurais raison. Mais essayez d'avoir une discussion plus ou moins objective là-dessus dans la jungle «internettienne» où des hordes de trolls font taire de façon disgracieuse les débats sensés.
Dans cette ère de censure «wokiste», le simple recours à un texte historique peut vous mettre dans l'eau bouillante s'il contient des mots «bannis» par les bien-pensants du 21e siècle. Exemple? Cette phrase d'Alexis de Tocqueville, écrite en 1831 et tirée du livre Tocqueville au Bas-Canada: «Les Blancs de France, disaient les Indiens du Canada, sont aussi bons chasseurs que nous. Comme nous, ils méprisent les commodités de la vie et bravent les terreurs de la mort. Dieu les avait créés pour habiter la cabane du sauvage dans le désert.»
Ouache!!! Indiens et sauvage dans le même paragraphe! Le fait que ces mots étaient couramment employés à l'époque, et que sauvage signifiait alors vivant à l'état sauvage (et non savage comme en anglais) aurait peu d'importance pour les oreilles délicates de 2023, qui ne comprendraient pas non plus le sens du mot désert, terme que Tocqueville employait pour désigner les territoires où l'influence des Européens était plus ou moins inexistante. Et ce n'était pas péjoratif.
Cette frilosité à l'endroit de textes d'autres époques, combinée au besoin obsessionnel de les réécrire en licorne, finit par mener à des autodafés (comme récemment en Ontario) ou à l'interdiction de la mention même du titre de certains livres, comme Nègres blancs d'Amérique de Pierre Vallières. Que dirait-on si se remettait à faire la promotion du livre Nigger de l'activiste noir antiraciste Dick Gregory?
Les hymnes nationaux tombent dans la même catégorie. Les paroles sont des clichés historiques, illustrant le monde dont ils sont issus à un moment précis de l'histoire. Allez lire les paroles de La Marseillaise, composée durant la Révolution française à la fin du 18e siècle, et vous frémirez d'horreur: «Entendez-vous dans les campagnes mugir ces féroces soldats? Ils viennent jusque dans vos bras égorger vos fils, vos compagnes.» Rien à voir avec la France d'aujourd'hui...
L'hymne des États-Unis a été composé durant le bombardement du fort M'Henry (près de Baltmore) par des vaisseaux de guerre britannique en 1814. «And the rocket's red glare, the bombs bursting in air»... Depuis longtemps maintenant, Américains et Britanniques sont de proches alliés. Faudrait-il donc effacer de la mémoire collective ce texte qui rappelle une guerre où les Britanniques ont incendié le Capitole et la maison du président des États-Unis en août 1814?
Mais revenons aux «territoires non cédés» du Canada. Faudra-t-il, dans l'air du temps, «décoloniser» les paroles du «Ô Canada» comme certains tentent de le faire avec la version anglaise? Le simple emploi du mot «décoloniser» démontre une méconnaissance de l'histoire de cet hymne et se sa portée. Comment peut-on même songer à décoloniser un hymne national qui était celui d'un peuple colonisé (les Canadiens français du Québec) affirmant son droit d'exister face à l'impérialisme anglo-britannique? L'hymne EST décolonisateur.
L'hymne a été composé par Calixa Lavallée et Adolphe-Basile Routhier en 1880 à la demande expresse du lieutenant-gouverneur du Québec. Il était perçu comme un hymne national canadien-français, et ces Canadiens français étaient ceux du Québec si on se donne la peine de lire le second couplet d'Ô Canada: «Sous l'oeil de Dieu, près du fleuve géant, le Canadien grandit en espérant.» Pas en Acadie (nation distincte), pas en Ontario ou dans l'Ouest, et pas en anglais. Le fait qu'on l'ait chanté pour la premier fois un 24 juin, à l'occasion des fêtes de la Saint-Jean-Baptiste, ne relève pas du hasard. Si le Québec était devenu un pays en 1880, son hymne national aurait été l'Ô Canada...
L'hymne devenu pan-canadien immortalise un moment dans l'histoire de la nation canadienne-française devenue québécoise. Comme le Star Spangled Banner aux États-Unis. Comme La Marseillaise en France. Cela s'appelle: «ne touche pas!»
Retour aux Autochtones. Après des centaines de plates excuses et de cérémonies au rythme des tam-tams, de milliers de reconnaissances verbales et écrites de «territoires non cédés», finira-t-on un jour par s'associer véritablement aux nations autochtones pour régler les problèmes de fond qu'ELLES jugeront plus criants? Protection de leurs territoires, amélioration des conditions de vie, des services d'éducation et de santé, développement économique, renaissance et promotion des langues et coutumes ancestrales, partenariats constitutionnels?
Dire sans faire, c'est de l'hypocrisie.
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Lien vers l'article d'ONFR+: https://onfr.tfo.org/this-is-indian-land-vers-une-decolonisation-de-lhymne-national-du-canada-in-english-et-en-francais/
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