samedi 11 novembre 2023

Mon seul éditorial censuré...

capture d'écran de La Presse


Il y a dix ans, presque jour pour jour, le gouvernement péquiste de Pauline Marois sabordait son projet de loi 14 visant à renforcer la Loi 101 après un torpillage mortel des libéraux et de la CAQ. Le débat souvent acrimonieux avait duré près d'un an et si le PQ, minoritaire à l'Assemblée nationale, avait accordé les concessions demandées par la CAQ (les libéraux s'opposaient au principe même d'une réforme de la Loi 101), le projet de loi aurait été émasculé. La ministre responsable, Diane de Cours, a donc jeté l’éponge, le 9 novembre 2013. (Voir texte PC dans La Presse. Lien en bas de page).

Au cours et au coeur de l'affrontement, en avril 2013, alors que les anglos montaient leurs griffes, que les libéraux se faisaient apôtres d'un Québec bilingue et que la CAQ picossait un peu partout, j'étais éditorialiste au quotidien Le Droit et il m'apparaissait évident que le projet de loi 14 était au fond d'un cul-de-sac. J'ai donc proposé, pour l'édition du lundi 29 avril, un éditorial intitulé L'abandon et dont la première phrase se lisait ainsi: «Le projet de loi 14 est mort.»

C'était essentiellement une dénonciation des positions prises par les libéraux (Philippe Couillard et Marc Tanguay) et la CAQ (François Legault) avec une conclusion lapidaire: «Dette levée de boucliers de l'Opposition se profile une tendance, de plus en plus perceptible, vers l'abandon du projet historique d'un Québec français

En 11 années d'éditoriaux, on n'avait jamais censuré un de mes textes. Mais celui-là a été refusé. On m'a demandé de le modifier et j'ai refusé, ne voulant pas qu'il subisse un traitement projet-de-loi-14. Alors le texte a pris le chemin de la poubelle et de mon blogue, où je l'ai diffusé sans mentionner qu'il avait été proposé comme éditorial. Et dix ans plus tard, je le trouve toujours actuel.  

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Projet d’éditorial – édition du lundi 29 avril 2013

 

L’abandon

 

par Pierre Allard

 

Le projet de loi 14 est mort. Les libéraux contestent le principe même de cet effort de renforcement de la Loi 101, les caquistes projettent plutôt de l’édenter article par article, et le gouvernement Marois n’a pas suffisamment de députés pour en assurer l’adoption. À la fin, au rythme où vont les choses, seules survivront quelques vagues intentions sans conséquences. Et derrière cette levée de boucliers de l’Opposition se profile une tendance, de plus en plus perceptible, vers l’abandon tout court du projet historique d’un Québec français.

 

Dans une déclaration conjointe, le nouveau chef libéral, Philippe Couillard, et le porte-parole libéral pour la Charte de la langue française, Marc Tanguay, n’y vont pas de main morte. «Le bilinguisme, déclarent-ils, n’est pas une menace, mais un atout essentiel auquel tous les jeunes Québécois doivent avoir accès.» Outre le fait que MM. Couillard et Tanguay ne semblent pas comprendre la réelle différence entre un bilinguisme/plurilinguisme individuel enrichissant et le bilinguisme collectif comme signe d’assimilation d’une société, leur message est clair : l’anglais est «essentiel» et «tous» les jeunes Québécois francophones doivent l’apprendre…

 

Ce que le Parti libéral propose donc, si ses intentions se réalisent, c’est l’évolution vers un Québec carrément bilingue, où la notion du français langue commune perdra graduellement toute utilité. Pourquoi chercherait-on à promouvoir le français comme langue de travail, ou à l’exiger comme langue d’affichage, si tous les francophones peuvent bien se débrouiller en anglais? Et si tous les francophones du Québec apprennent un jour l’anglais comme le souhaitent MM. Couillard et Tanguay, qu’en concluront alors les allophones et anglophones québécois ? Qu’au fond, il n’est plus vraiment nécessaire de connaître le français… même au Québec.

 

Le chef de la Coalition Avenir Québec, François Legault, a beau sermonner les libéraux – avec raison – sur leur manque d’ardeur à défendre la langue française, son parti partage avec le PLQ un appui enthousiaste au projet d’anglais intensif à l’école primaire; le refus d’une remise en question du statut bilingue de certaines municipalités; l’opposition à la francisation obligatoire de petites entreprises; l’appui au droit des militaires francophones d’angliciser leurs enfants au Québec; et la protection de l’accès des francophones aux cégeps de langue anglaise, entre autres. De fait, après lecture de la liste de conditions posées par la CAQ pour un «appui» au projet de loi 14, il ne reste pas grand-chose du projet de loi 14.

 

L’argument avancé ici ne vise pas à défendre le libellé, ou même l’efficacité éventuelle des mesures proposées par le gouvernement de Mme Marois dans le projet de loi 14. Comme tout projet législatif, il mérite d’être scruté et peut sans doute être modifié et/ou amélioré. Ce qui inquiète, dans le refus catégorique des libéraux et dans l’opposition pointilleuse de la CAQ, c’est une perception de l’abandon de l’objectif de base, soit celui d’assurer la pérennité du français langue commune dans le seul territoire nord-américain où les francophones restent majoritaires. 


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L'abandon du projet de loi 14 en novembre 2013 a été diffusé dans les médias avec une relative indifférence, passant presque inaperçu. Comme un fruit trop mûr qui tombe de l'arbre...


Comme je n'avais vu aucun commentaire éditorial sur cet événement que j'estimais historique, et que j'étais toujours éditorialiste au quotidien Le Droit, j'ai proposé un texte de synthèse pour la page éditoriale du 20 novembre 2013 intitulé Le sabordage. Celui-là a été publié. Le voici:


Le sabordage

 

par Pierre Allard

 

Dans le fracas qui continue de marquer le parcours du projet de loi péquiste sur la laïcité et la neutralité religieuse de l’État, la décision du gouvernement Marois de saborder ce qui restait du du projet de loi 14 modifiant la Charte de la langue française est passée relativement inaperçue. Et c’est dommage, parce que la Loi 101, adoptée en 1977, charcutée par les tribunaux, usée par l’inaction, avait besoin d’une mise à jour.

 

Que l’on soit d’accord ou pas avec les mesures que la ministre Diane De Courcy avait présentées en décembre 2012 n’a jamais été le cœur du problème. Le différend entre les partis était bien plus profond. Il ne s’agissait pas de savoir s’il était opportun de renforcer la Loi 101, mais bien de s’interroger sur la justification même du projet. Et là-dessus, le Parti libéral du Québec (PLQ), et à un moindre degré la Coalition Avenir Québec (CAQ), ont répondu par la négative. Pour l’Opposition, essentiellement, la langue française n’est pas en danger au Québec.

 

Le parti de François Legault avait adouci sa position et permis au projet de loi 14 de faire un bout de chemin, mais en fin de compte, la CAQ aurait refusé de franciser les petites entreprises de 26 à 49 employés, de contester le statut bilingue des municipalités ne répondant plus aux critères de la Loi 101 et d’entraver l’entrée d’étudiants francophones dans les cégeps anglophones. Mme De Courcy aurait-elle dû étirer les pourparlers dans l’espoir d’un compromis ? Peut-être, mais les positions du PQ et de la CAQ sur ces questions paraissaient plutôt fermes.

 

Non, ce qui inquiète dans tout cet épisode, c’est la lecture de la situation sur le terrain par les partis politiques, y compris le PQ. Ce dernier a profité du débat sur le projet de loi 14 pour amorcer une réflexion sur le programme d’anglais intensif en sixième année, mais sans grande conviction. Le gouvernement Marois ne s’oppose toujours pas au principe de bilinguiser la dernière année du primaire francophone, en dépit des dangers que cela pose dans des régions comme l’Outaouais et Montréal, où l’anglais est omniprésent.

 

Les positions les plus préoccupantes sont toutefois celles du Parti libéral, qui s’est montré insensible aux avis d’experts sur l’érosion du français langue de travail et aux données du recensement de 2011, où se côtoient la fragilité de la francophonie et la robustesse de l’anglais. Selon le chef du PLQ, Philippe Couillard, c’est une « idée pernicieuse » de présenter le bilinguisme « comme une menace à notre société », alors que partout ailleurs dans le monde, le fait d’être bilingue ou même trilingue constitue « un atout indispensable ». Tous les jeunes Québécois doivent avoir accès à cet « atout essentiel », dit-il.

 

Au-delà de l’inexactitude de cette affirmation, la vaste majorité de la planète étant unilingue, cette notion du bilinguisme ne tient pas compte de la situation particulière du Québec, îlot francophone dans une mer nord-américaine anglophone et unilingue. Dans les pays européens où bilinguisme et plurilinguisme sont répandus, et à l’occasion majoritaires, la langue nationale n’est pas menacée comme langue commune et les répercussions identitaires sont à peu près nulles. Les Néerlandais et Suédois bilingues restent linguistiquement néerlandais et suédois.

 

En Amérique du Nord – et les minorités canadiennes-françaises et acadiennes peuvent en témoigner – la bilinguisation massive s’accompagne d’un glissement identitaire et d’une assimilation à l’anglais. Après quelques générations, une part importante des francophones devenus bilingues s’anglicise, et les descendants sont le plus souvent unilingues… anglais. Entre bilinguisme et plurilinguisme par choix, toujours souhaitable, et le bilinguisme imposé que nous subissons, il y a toute une différence. Il y a pertes d’identité.

 

Quand les politiciens auront compris cette mouvance, déjà aux portes du Québec, un nouveau projet de loi 14 franchira – avec les modifications qui s’imposent – toutes les étapes législatives.

 

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Lien au texte Français: faute d'appui de la CAQ, le projet est abandonné - https://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201311/14/01-4710787-francais-faute-dappui-de-la-caq-le-projet-de-loi-14-est-abandonne.php

 

1 commentaire:

  1. Vos deux textes montrent bien l'abîme existant entre un journaliste honnête et un gestionnaire convaincu que ce n'est pas la queue qui va branler le chien, un gestionnaire ambitieux et se cachant derrière des faux-fuyants. Il est si facile de renverser son proverbe favori: parfois le chien se fait un peu trop aller la queue et beaucoup trop la langue, sans discernement et sans se donner la peine de fouiller un peu. Il y a des limites à prendre les gens pour des imbéciles, ce n'est pas quelque chose qui peut longtemps tenir la route. Je vous souhaite la meilleure des fins de vie, M. Allard. J'ai appris à vous respecter avec le temps, malgré nos différences.

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