mardi 14 novembre 2023

Pour les beaux yeux de René Lévesque???

capture d'écran du site Web du Devoir

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Je ne comprends pas comment Le Devoir a pu présenter comme «reportage» le texte Défendre le français grâce à une bonne politique économique1 (édition papier du mardi 14 novembre 2023). J'ai peine à croire que les metteurs en page du Devoir ne l'aient pas lu et scruté avant publication. Or le texte a franchi cette étape ultime de correction et d'approbation en transgressant certaines règles de base du journalisme.

D'abord de quoi s'agit-il? Dans le débat sur le déclin du français au Québec, les statistiques des recensements fédéraux sont toujours abondamment utilisées, le plus souvent pour confirmer ce déclin mais parfois, par certains, pour le contester ou tout au moins le nuancer. La tête d'affiche de ces derniers, Jean-Pierre Corbeil, ancien maître-d'oeuvre de l'analyse des données linguistiques à Statistique Canada, vient de co-diriger un recueil collectif d'essais intitulé Le français en déclin? Repenser la francophonie québécoise

L'argumentaire des co-directeurs Corbeil, Victor Piché et Richard Marcoux est connu, du moins de ceux qui suivent de près ce débat. Que l'on soit ou non d'accord avec leurs thèses (que je trouve intéressantes mais que je ne partage pas) n'est pas en cause ici. C'est le texte publié. Le auteurs du livre peuvent bien affirmer que le français est utilisé «de façon régulière» par 94,4% des travailleurs québécois et que cette proportion a peu changé depuis 2006. Ça fait partie du développement de leur argument. Mais quand le journaliste ajoute, de son propre chef, «Vous en conviendrez, nous sommes loin de la disparition!», il exprime une opinion. Ce n'est plus un reportage. Il accrédite l'argument des co-auteurs.

Dans le paragraphe suivant, on lit: «Le spectre du bilinguisme gagne, oui, du terrain.» Le choix du mot «spectre», signifiant une apparition effrayante, n'est attribué à personne. Et le texte poursuit: «Est-ce la faute de la culture américaine? De la difficile grammaire française? un caprice? Que nenni!» Encore une fois, ce sont des propos non attribués qui pourraient sembler émaner du signataire du texte, plutôt que de la personne qu'il interviewe. Plus loin, après le sous-titre Un bilinguisme motivé par le portefeuille, l'auteur de l'article écrit: «Les immigrants n'étudient donc pas le français pour les beaux yeux de René Lévesque.» Avoir laissé passer une telle phrase, non attribuée, dans Le Devoir dépasse les bornes. Si l'auteur du texte citait le démographe interviewé, il aurait dû l'indiquer. Et si c'était un élan du signataire, le pupitreur du Devoir aurait dû le biffer.

Je ne veux pas tout énumérer ce que je considère des fautes graves mais en voici deux autres. Parlant du français langue de travail, on peut lire: «La partie semble gagnée, pour l'instant.» Rien, dans l'article du Devoir, ne permet d'arriver à une telle conclusion, gratuite en l'occurrence. Plus loin, les auteurs-démographes déclarent que «le plurilinguisme ne représente pas une réelle menace (au français)». De son propre chef, le signataire de l'article renchérit: «Les statistiques confirment cette prémisse», écrit-il sans citer de source.

Et comme si la lecture de l'article ne suffisait pas à s'interroger sur la démarche du rédacteur et des correcteurs du Devoir, on indique en bas de page ce qui suit: «Ce reportage bénéficie du soutien de l'Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada», suivi du logo «Canada» avec une feuille d'érable coiffant le dernier «a»... C'est le bouquet...

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Lien au texte du Devoir - https://www.ledevoir.com/economie/801876/langue-defendre-francais-grace-bonne-politique-economique



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