dimanche 26 novembre 2023

Ridley Scott et la «vermine» de France...


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Quiconque porte le moindrement en soi l'héritage de la France, que ce soit par la culture ou par le sang, aura les tripes en chamaille après avoir visionné le film de Ridley Scott sur Napoléon Bonaparte. Cette oeuvre de destruction du premier empereur des Français est sans merci, au point de susciter pour Napoléon des moments de sympathie même chez ceux qui, comme moi, ne l'ont jamais tenu en odeur de sainteté.

L'arrogance des têtes couronnées de l'Europe et de leurs nobles de service est bien résumée quand, vers la fin de ces deux heures et demie interminables devant le grand écran, le duc de Wellington affirme que l'erreur la plus grave des adversaires de l'empereur fut de laisser «cette vermine» en vie à l'île d'Elbe en 1814.

«Vermine.» Le mépris est palpable envers cet usurpateur du sang royal, issu de la Révolution française et charriant le vécu de 1789 avec ses troupes à travers une Europe où le virus républicain est craint comme la peste. Pire, par les images répétitives d'un peuple dépeint en troupeau sanguinaire et violent, aux moeurs pour le moins décadentes, la France de la république et de l'empire devient à l'écran une «vermine» que les braves et bons monarques du continent européen sont justifiés mettre au pas sans pitié.

Le début du film donne le ton avec les derniers moments de Marie-Antoinette, transportée de sa prison à la guillotine, la foule criant son approbation lorsqu'on sort sa tête ensanglantée du panier. Pas un mot, bien sûr, du luxe obscène dans lequel Louis XVI et Marie-Antoinette vivaient à Versailles, où des milliers d’ouvriers et artisans étaient morts à l’ouvrage pour construire les opulents jardins et appartements de celui et de celle qui les opprimaient. Ne cherchez pas trop les contextes et les nécessaires nuances dans cette oeuvre de Scott.

Sauf pour l'épisode vite oublié de 1793 où Bonaparte libère Toulon de l'occupation anglaise, le film peint un Napoléon plutôt tyrannique et conquérant, vainqueur à Austerlitz, détruit à Moscou, promenant les armées françaises d'un pays européen à l'autre. Nulle part ne voit-on qu'à l'arrivée de Bonaparte, c'est la France révolutionnaire qu'on attaque de toutes parts. En 1800, Napoléon, alors consul, avait négocié la paix avec l'Angleterre, l'ennemi le plus coriace, mais la «perfide Albion» re-déclencha les hostilités quelques années plus tard, assemblant contre Bonaparte devenu empereur des coalitions qui obligeaient la France à combattre hors de ses frontières contre une vieille Europe liguée qui voulait venger Louis XVI et liquider l'empire. Il n'y a rien de cela dans la saga de Ridley Scott.

On ne ressent rien du charisme qu'a dû exercer Napoléon sur le peuple français et, en particulier, sur ses armées. La scène où l'empereur déchu revient de l'île d'Elbe en 1815 et rallie à sa cause les soldats envoyés par le roi Louis XVIII pour l'arrêter manque singulièrement d'émotion. Le simple fait de l'avoir finalement ostracisé à l'île Sainte-Hélène, à 8000 km de la France au large de l'Afrique du Sud, suggère à quel point les têtes couronnées redoutaient sa présence en sol français. Cet attrait devait se rendre bien au-delà des frontières de l'Europe. Au Bas-Canada puis au Québec, en dépit des remontrances d'un clergé tout puissant, nos habitants ont longtemps persisté à donner le nom de Napoléon à leurs garçons.

Quant à la relation cahoteuse entre Bonaparte et Joséphine, elle occupe de grands pans du film, évoluant en parallèle aux guerres et autres faits d'armes, et ne présente à peu près jamais Napoléon sous son meilleur jour. À la fin j'avais l'impression d'avoir suivi deux vécus différents, l'un nuisant au récit de l'autre, contribuant l'un et l'autre à dénigrer le personnage principal. On me jugera sans doute injuste mais quand je suis sorti du cinéma mes tripes me disaient que j'avais assisté à «une job de bras» d'un réalisateur britannique contre un vieil ennemi de l'Angleterre: Napoléon Bonaparte. Et par extension, contre la république française et son peuple. J'ai vu le film en français. Je n'ose même pas imaginer ce que cela doit donner en anglais...

Remarquez, si on avait demandé à Pierre Falardeau de réaliser un film biographique sur John Colborne, que nous avions surnommé le «vieux brûlot» lors de la rébellion des Patriotes en 1837, il l'aurait sûrement savonné au grand écran. Avec raison, de notre point de vue. En passant, Colborne avait combattu aves les armées britanniques contre la France napoléonienne. C'est même lui qui commandait les troupes lancées contre la Garde impériale à la bataille de Waterloo en 1815... Le vieux brûlot aurait aurait été un excellent figurant dans l'assaut cinématographique de Ridley Scott...

1 commentaire:

  1. Continuez d'écrire, M. Allard, et je continuerai de vous lire avec plaisir, même si nous n'avons pas nécessairement toujours les mêmes opinions.

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