mercredi 1 novembre 2023

«Si vous ne comprenez pas l'anglais, c'est votre problème.» Et que fait-on?

capture d'écran du Journal de Montréal

Avez-vous lu l'histoire de cette dame de Longueuil, Mme Laurence L'Épicier, qui s'est butée - comme cela arrive de plus souvent un peu partout au Québec - à un employé unilingue anglais dans un restaurant McDonalds? Au-delà de la difficulté de se faire servir en français, c'est la réponse de la gérante de l'endroit qui m'a frappée: «Ici, c'est (le) Canada» et «si vous ne comprenez pas l'anglais, c'est votre problème».

Voilà, énoncé on ne peut plus clairement, le coeur de la problématique de notre dynamique linguistique. Les gouvernements - Québec comme Ottawa et les autres - ont beau adopter des lois pour protéger ou promouvoir la langue française, ce sont là des décisions collectives qui consacrent essentiellement des droits collectifs. Très souvent, trop souvent, ces textes de loi fondent comme neige au soleil dans les rapports individuels de la vraie vie.

L'immense majorité des citoyens francophones qui appuient la Loi 101, la Loi 96 et toute autre mesure du genre ne voudront pas se chicaner au travail ou dans un commerce pour faire valoir ces droits que les législateurs ont consacrés. Et les rares qui se décideront à rouspéter - au Québec du moins - seront plus souvent qu'autrement vus comme des malcommodes ou des fauteurs de trouble. J'en sais quelque chose. Mais un Franco-Ontarien qui agirait de cette façon serait admiré, voire louangé. Quelle est la différence entre lui et un Québécois, direz-vous? Excellente question...

Retour à la réponse de la gérante du McDo de Longueuil. Ici, c'est le Canada et si vous ne comprenez pas l'anglais c'est votre problème. De son point de vue, elle a raison. Que les Anglo-Québécois soient de souche britannique ou issus de l'immigration, ils se voient d'abord comme Canadiens. Or le Canada, c'est un pays où la grande majorité des habitants sont anglophones. Dans leur esprit, parler anglais, c'est normal, même au Québec. «Si vous ne comprenez pas l'anglais», dit-elle... Eh bien, derrière ce «vous» peut-être individuel, elle pointe son doigt accusateur vers nous tous! Vers ce «nous» francophone qu'on voit de façon si suspecte... ce «nous» dont on accepte en maugréant les sursauts législatifs, à condition qu'on ne vienne pas les affirmer à titre individuel, face à face, dans votre McDO ou Tim Hortons.

Les Canadiens français et Acadiens d'ailleurs au pays ne jouissent pas comme nous du soutien d'un Parlement où les francophones détiennent la majorité (pour le moment). Même quand ils parviennent à soutirer des protections aux majorités anglaises qui, tout au plus, les tolèrent, les droits qu'on leur reconnaît sont essentiellement collectifs: services gouvernementaux en français, écoles françaises et ainsi de suite. Mais dans la rue, dans les centres commerciaux, dans les milieux de travail, il n'y a rien qu'ils puissent invoquer pour concrétiser leur conviction d'avoir des droits de travailler ou d'être servis dans leur langue. On leur dira parfois: «rentrez donc au Québec

Quand j'étais enfant, à Ottawa, le dépanneur du coin, appartenant à la famille Bissonnette, est passé entre les mains d'un certain «Nick» qui ne parlait pas français. À ma connaissance, personne n'a protesté. À peu près tous ses clients étaient francophones, à l'image du quartier, et celà ne le dérangeait pas du tout de nous imposer l'anglais. Il était en Ontario, où l'anglais domine à 90% et plus. Ne pas comprendre le français c'était normal. Ce sont les Canadiens français unilingues (et il y en avait quelques-uns) qui auraient eu, à ses yeux, un problème. Un peu comme au McDo de Longueuil... et puis non, pas tout à fait...

L'an dernier, quand un restaurateur de Gatineau a évincé Jean-Paul Perreault, président d'Impératif français, parce qu'il insistait pour un service en français, les clients francophones dans la salle à dîner auraient pu faire autre chose que de baisser la tête et garder le silence. Ils étaient chez eux, au Québec, et pouvaient remettre ce restaurateur à l'ordre en lui rappelant que l'Assemblée nationale avait consacré le français comme seule langue officielle du Québec et que les lois et règlements québécois s'appliquaient même dans son établissement. Ils auraient pu au moins se lever et se montrer solidaires de M. Perreault. Mais non. Ils n'avaient sans doute rien contre la Loi 101 comme mesure collective, mais entre ça et intervenir comme individus pour défendre la langue française, il y avait un pas qu'ils n'étaient pas prêts à franchir. Comme la plupart d'entre nous...

Les personnes comme cette gérante de McDo sont sans doute vaguement conscientes de l'évolution législative du statut du français au Québec, mais n'en voient pas la différence dans leur quotidien, à la maison, au travail ou dans les commerces - surtout dans la grande région montréalaise et l'Outaouais. C'est l'anglais, au pire le bilingue, le Bonjour-Hi ou Hi-Bonjour ou tout simplement Hi! Demander à l'OQLF de jouer le rôle de policier de la langue dans des cas semblables ne fera qu'exacerber le problème, confirmant la conviction de bien des anglos que l'ensemble des francophones s'accommodent fort bien d'un Québec bilingue et même, au besoin (comme au McDO), unilingue anglais, et que Mme L'Épicier compte parmi les rares malcommodes. Tant que cela durera, nous sommes cuits.

«C'est votre problème» disait cette gérante à la cliente exigeant d'être servie en français. Elle a parfaitement raison. Tant que la majorité des francophones accepteront - dans leur vrai vécu de tous les jours - que la langue français soit traitée en inférieure au Québec, tant qu'ils passeront automatiquement à l'anglais quand le patron, le commis ou le serveur les aborde en anglais, les Anglo-Québécois ne comprendront pas et continueront de mépriser notre langue et notre culture, et à croire que c'est normal de nous imposer l'anglais au Québec. Si une douzaine de clients dans une file de McDO se portaient spontanément à la défense d'une Mme L'Épicier, la gérante de l'établissement battrait prudemment en retraite et tirerait quelques leçons utiles de l'incident. Mais ça, je n'ai jamais vu... et je trouve cela inquiétant.


2 commentaires:

  1. Je remarque qu'ils sont de plus en plus arrogants, même au Québec !!! Je me demande comment ma famille franco-ontarienne de Bourget, Limoges, Casselman, Embrun, etc vivent cette situation au jour le jour ???

    RépondreEffacer
  2. Vous avez raison, M. Allard, comme souvent. Le problème, c'est que le gens font parfois de grands écarts pour éviter les problèmes et les éclats. Ce que soulève le cas que vous mentionnez, c'est que les émigrants vivant à Montréal reçoivent le message qu'il est normal d'imposer la langue anglaise à une population majoritairement française. Ça fait penser à cet émigrant qui poussait à bilinguiser la Ville de Montréal, en se foutant bien que cela puisse favoriser l'assimilation. Qu'est-ce que ça peut bien lui faire? I faut impérativement choisir des immigrants qui parlent français dès leur arrivée ou qui ne se montrent pas automatiquement réfractaires à notre langue.

    RépondreEffacer