vendredi 28 mars 2025

Pourquoi appuyer le Bloc québécois?


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Les ténors fédéralistes nous cassent les oreilles sans interruption depuis le début de la guerre économique déclenchée par Trump et sa bande contre le Canada (et bien d'autres pays). Devant les agressions tarifaires et une multiplication de menaces d'annexion, on invite sans cesse les Québécois à soutenir le gouvernement fédéral pour présenter un front uni face à l'ami-devenu-ennemi en ce printemps 2025.

Les libéraux de Mark Carney (presque tous d'anciens libéraux de Justin Trudeau) se présentent comme un parti du changement (incroyable!) et veulent un mandat majoritaire pour gérer la crise. Pierre Poilièvre et ses conservateurs, convaincus jusqu'à récemment d'obtenir facilement une majorité aux Communes, veulent nous faire croire eux aussi que le Québec et le Canada peuvent résister avec plus de force à Trump en s'appuyant sur un parti majoritaire au Parlement. 

C'est de la bouillie pour les chats! Une variante des mêmes vieilles rengaines sifflotées par Chrétien, Harper et Trudeau depuis les années 1990 pour affaiblir le Bloc québécois et, par ricochet, le mouvement indépendantiste au Québec. Justin Trudeau a-t-il eu besoin d'une majorité aux Communes pour riposter avec beaucoup de fermeté aux taloches du gouvernement Trump entre janvier et mars? Non!

Et son successeur, que ce soit Carney ou Poilièvre, ou quiconque, sait qu'en face de Trump un gouvernement minoritaire n'aurait aucune difficulté à créer un front commun avec l'appui des partis d'opposition (sauf Maxime Bernier s'il est élu). Le Bloc québécois constitue l'une des formations politiques les plus anti-Trump et serait un allié sûr du Canada dans la mesure où les droits du Québec seraient respectés.

On nous dira, comme on le fait toujours, comme si cela allait de soi, que les Québécois ont avantage à élire un député du parti au pouvoir, plutôt qu'un député dans l'Opposition. Et comme le Bloc sera toujours par définition exclu du pouvoir à Ottawa, libéraux et conservateurs (et néo-démocrates) tenteront de nous convaincre qu'un vote pour le BQ est un vote gaspillé. Surtout en situation de crise existentielle.

Voilà l'un des mythes tenaces de l'histoire du Québec et du Canada. La réalité, la vraie, c'est que le Québec francophone forme 20% de la population du Canada, et que ce 20%, même en bloc, ne peut rien contre l'écrasante majorité anglaise. Le Bloc québécois n'aura jamais de pouvoir décisionnel au Parlement avec un potentiel de 50 à 60 députés. Mais ce ne sera guère mieux pour les Québécois élus sous les bannières Carney et Poilièvre, qui se retrouveront minoritaires dans leur formation et soumis à la discipline de leur parti.

Prenons un exemple opportun: la laïcité au Québec et, notamment, la contestation judiciaire du Projet de loi 21. Supposons pour un instant, même si cela apparaît improbable, qu'un candidat libéral soit sympathique à la démarche actuelle du Québec et au principe de laïcité de l'État. Il serait obligé de se taire durant la campagne électorale pour ne pas se désolidariser du parti, qui a déjà annoncé son intention de se joindre aux opposants de la laïcité en Cour suprême. Après son élection, il pourrait toujours faire valoir ses positions à huis clos au sein du caucus mais se ferait rappeler à l'ordre par une majorité hostile. Et on le réduirait au silence aux Communes...

Cette leçon vite apprise servirait à chaque fois (y compris face à Trump) que les enjeux du Québec sont à l'ordre du jour. La gestion de l'offre. L'aluminium. La francophonie. Le projet de loi 96. Les empiétements fédéraux. L'immigration. La liste est interminable. Les intérêts du Canada anglais seront toujours défendus par une députation majoritaire. Ces députés auront toujours le droit de décider, et aussi de faire taire leurs collègues québécois francophones de l'arrière-ban. Ces derniers devront écouter les ministres de leur parti attaquer le Québec en Chambre, baisser la tête... et même applaudir pour la forme. 

Un député du Bloc québécois, par contre, est libre de crier haut et fort son appui aux revendications québécoises. Son allégeance première ne va pas à Mark Carney-Mary Simon-Charles III ou à «l'identité canadienne» qui a maintenant son propre ministre au cabinet Carney, mais au peuple québécois dont il devient un porte-étendard au Parlement fédéral. Il exprimera sans réserve - et en français! - les positions et valeurs que Québec défendrait s'il exerçait souverainement les pouvoirs accaparés par Ottawa en 1867 et en 1982. Ces voix québécoises ne seraient jamais entendues à la Chambre des communes si la députation du Québec minoritaire était soumise à la discipline du Parti libéral, du Parti conservateur ou même du NPD.

On nous demande de voter pour des candidats de partis qui combattront la laïcité québécoise devant des juges fédéraux à la Cour suprême, de partis qui financent depuis plus de 50 ans les groupes anglo-québécois oeuvrant par tous les moyens au sabotage de la francisation de l'État et de la société québécoise, au lieu d'appuyer les alliés du Québec au Bloc québécois. On nous demande de voter pour des candidats qui, une fois élus, seront minoritaires au sein de leur formation et réduits au silence au Parlement, soit par solidarité ministérielle, soit sous l'autorité des responsables de la discipline du parti. La parole québécoise trahie et emprisonnée.

J'accepte - nous n'avons guère le choix - que nous soyons minoritaires à la Chambre des communes, à Ottawa. Démocratie et démographie font ici la loi. Avec raison. Alors s'il faut, en attendant l'indépendance, se soumettre à la majorité anglo-canadienne au Parlement fédéral, j'aime autant que nos élus soient libres de parler, libres de faire entendre en français au pays tout entier les voix de ceux et celles, qui, un jour, se donneront un pays à leur image et qui, entre-temps, resteront alliés indéfectibles au Canada anglais dans cet affrontement contre l'axe du mal qui règne à Washington depuis le 20 janvier 2025.


vendredi 14 mars 2025

Terroristes au pouvoir à Washington...

Le sénateur Bernie Sanders, du Vermont

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Ce qui se passe depuis le 20 janvier aux États-Unis me fait peur, mais ce qui ne s'y passe pas - du moins jusqu'à maintenant - me terrorise!

Je suis assez vieux pour avoir vu les jeunes générations des années 1960 ébranler le monde occidental. Pendant que les campus québécois carburaient au rêve d'un Québec indépendant, des foyers de contestation éclataient partout dans les universités américaines contre le racisme tenace qui empoisonnait le pays, et encore davantage contre l'intervention militaire au Vietnam.

Entre l'appel émouvant de Martin Luther King en 1963 devant plus de 250 000 manifestants à Washington et les protestations massives contre la guerre du Vietnam en fin de décennie - 400 000 personnes à New York en avril 1967 et 500 000 à Washington en novembre 1969 - la société américaine tout entière était en ébullition.

Des milliers de jeunes Américains brûlaient leur carte de conscription militaire, la télé retransmettait en direct à tous les jours les horreurs du bourbier vietnamien, des politiciens démocrates en vue (Eugene McCarthy, George McGovern, Robert Kennedy) montaient aux barricades, et une brutale répression policière s'intensifiait devant une presse aux aguets.

Dans la rue, sur les scènes et les ondes, des folk singers et des vedettes rock entonnaient les hymnes de résistance qui ont marqué leur époque - We shall overcome (Joan Baez), Masters of war (Bob Dylan), I ain't marchin' any more (Phil Ochs) et bien d'autres, sans oublier la prestation fracassante de Country Joe McDonald et l'hymne national guerrier de Jimi Hendrix devant des centaines de milliers de spectateurs au festival de musique de Woodstock (1969).

La mobilisation s'était étendue à toutes les strates de la société, entraînant dans ses vagues un président sortant (Lyndon Johnson) et l'ordre sociétal qui, jusque là, avait été la marque de commerce des États-Unis d'Amérique. En dépit du ressac accompagnant la victoire de Nixon en 1968, les mécanismes de contrepoids à son régime corrompu fonctionnaient à plein et Tricky Dick finit par tomber en 1974 au champ de déshonneur.

Les enjeux étaient certes existentiels à l'époque (droits civils, guerre au Vietnam, justice sociale), mais étant en mesure de comparer hier et aujourd'hui, les menaces que le président actuel fait peser sur les Américains et sur la planète entière me semblent bien plus graves: agressions territoriales imminentes contre des amis et alliés (Canada, Groenland, Panama), guerre économique mondiale sans provocation, rupture des alliances étrangères en force depuis le second conflit mondial, flirt avec les oligarques et dictateurs, déportation inhumaine de centaines de milliers d'immigrants, démantèlement de l'État et de toutes les protections réglementaires (éducation, environnement, programmes sociaux, aide humanitaire, etc.).

Alors que Trump accapare les pouvoirs des législateurs au Congrès, évoque un troisième mandat illégal et viole à tous les jours la Constitution qu'il a juré de protéger, la démocratie américaine titube au bord d'un précipice. Et pourtant, on n'assiste pas à un soulèvement général contre une oligarchie bien pire que les Johnson et Nixon des années 1960 et 1970. Les campus sont silencieux, les jeunes zombifiés (comme les 77 millions d'Américains qui ont voté pour Donald) par des années de désinformation sur leurs écrans de téléphones et tablettes, désormais greffés à leur âme.

Voilà ce qui me terrifie. La résistance contre la plus grande menace de l'histoire de nos voisins du Sud est présentement l'affaire d'un petit vieux de 83 ans, le sénateur Bernie Sanders du Vermont. Dieu merci qu'il soit là et en forme! Dans des circonscriptions acquises à Trump, il fait salle comble avec sa campagne Combattons les oligarques! Quand il accuse les plus riches de la planète (Musk, Bezos, Zuckerberg et compagnie) de s'enrichir davantage en privant les plus pauvres de soins de santé, d'éducation et d'aide alimentaire, il touche la cible au coeur et le public est réceptif.

Mais il est seul! Pendant qu'un président fou furieux sème la pagaille autour de lui (et partout au monde), où sont les membres du Congrès américain que Trump dépouille de leurs pouvoirs? Où sont les millions d'étudiants qui s'instruisent pour un monde que leur président est en train de détruire? Où sont les syndicats d'ouvriers (ceux qui restent) dont les emplois se font décapiter par centaines de milliers? Où sont les organisations de défense des droits de tous genres? Où sont les médias et les manifestants quand la Gestapo de Trump agresse des immigrants sans défense? Seuls les scientifiques (particulièrement visés par la bande d'ignorants au pouvoir) semblent ces jours-ci vouloir dresser quelques barricades...

Au Québec comme au Canada, nous sommes en état de guerre. On le sent. Les gens le disent. Ils se défendent comme ils peuvent. À l'épicerie, la clientèle lit les étiquettes. Produit des États-Unis? On cherche autre chose. On sent la menace et la crainte s'installe. On sait, au fond, qu'on ne peut vaincre la puissance militaire et économique américaine. Et que le jour où Trump ordonnera à ses troupes de franchir les frontières québécoise et canadienne, on lui donnera du fil à retordre mais seuls contre lui, l'issue est scellée d'avance.

Non, les seuls qui peuvent abattre Trump et sa bande de fous sans violence, ce sont les Américains eux-mêmes. Calvaire! Où sont-ils???


mercredi 26 février 2025

Charles de Gaulle. Des documents à conserver...

Le 29 décembre 1989, mon ancien quotidien, Le Droit (Ottawa et Gatineau), a fait un grand saut vers le virtuel en confiant à la rédaction et à ses écrans tout le travail qu'exécutaient auparavant les employés de l'atelier de composition, supprimant les emplois de ces derniers.

L'entreprise a aussi vendu sa bâtisse, construite au début des années 1950, ainsi que ses immenses presses offset (supprimant du même coup les emplois des pressiers) pour emménager comme locataire dans des locaux plus exigus. Un jour triste, déchirant, annonciateur de pire...

Avant et surtout après le déménagement, on a rempli bien des boîtes (et des poubelles?), y compris à la salle des nouvelles où l'une des principales victimes fut sans doute le centre de documentation créé au cours des premières décennies d'existence de ce journal fondé en 1913. Des milliers de documents précieux accumulés depuis plus d'un demi-siècle ont été détruits, sont disparus ou ont été entreposés on ne sait trop où....

J'avais cependant réussi à protéger d'un néant éventuel une douzaine de dossiers, dont ceux des élections québécoises (1966-1976) et du général Charles de Gaulle. Trente-cinq ans plus tard, le même dilemme se présente alors que mon épouse et moi nous apprêtons à troquer la maison familiale pour un appartement qui ne permettra pas de conserver plus de la moitié de mes livres et paperasses.

La une du Droit du mardi 25 juillet 1967...

En épluchant mes tiroirs de classeur à la recherche de matière pour le bac de recyclage, je suis tombé sur quatre chemises du Droit portant le nom «DE GAULLE, Charles» et les ai passées au peigne fin. Sans être très étoffés ces dossiers contiennent tout de même quelques pièces rares, voire uniques, méritant de ne pas terminer leur existence dans un camion d'ordures ou une usine de récupération...

Je donnerai comme premier exemple le document ci-dessous: six feuilles brochées datées du 5 juillet 1944 (entre le Jour J et la libération de Paris), provenant du «Centre d'information français» à Ottawa et destinées aux médias avant une visite officielle du général De Gaulle en Amérique du Nord. Ce texte immortalise un moment clé de l'histoire où De Gaulle incarnait les forces de combat et de résistance à l'extérieur et à l'intérieur d'une France toujours largement occupée par les armées hitlériennes.

On peut y lire notamment: «Sous la direction du général de Gaulle a maintenant une armée d'un demi-million d'hommes qui combat en dehors de France et une armée intérieure en France de plusieurs centaines de milliers qui combat de manière différente sous forme de guérillas, d'attaques à main armée, de sabotage.» Combien reste-t-il de copies de cette lettre aux médias? Est-ce la dernière?

Une des quatre chemises, davantage consacrée à la célèbre visite de juillet 1967 au Québec, conserve, en plus de coupures de presse, les textes originaux - dactylographiés - des deux journalistes, Marcel Pépin et Marcel Desjardins - que Le Droit avait affectés à la couverture en direct de l'arrivée du général à l'Anse-au-Foulon, de son trajet sur le chemin du Roy et de son discours devant le balcon de l'hôtel de ville de Montréal le lundi 25 juillet (voir photo ci-dessous).

Le premier feuillet du texte des journalistes Marcel Pépin et Marcel Desjardins envoyé à la salle des nouvelles du Droit par Telex le soir du 24 juillet 1967

Ces textes maison, en plus de rappeler la technologie rudimentaire de l'époque, mettent en lumière la robustesse d'une presse régionale capable de déléguer deux de ses meilleurs scribes à un événement qui a dû nécessiter de longues heures payées en temps supplémentaire. Ces journalistes ont quitté le quotidien de la capitale fédérale quelques années plus tard pour poursuivre de brillantes carrières.

Marcel Pépin, après des passages au Soleil et à La Presse, est devenu ombudsman de la Société Radio-Canada, vice-président la la radio française de la SRC et président de la Commission d'accès à l'information du Québec. Marcel Desjardins est passé à La Presse en 1970, avant d'être nommé directeur de l'information à Montréal-Matin en 1976 puis, en 1979, accède au poste de rédacteur en chef des nouvelles télévisées à Radio-Canada. À sa mort en 2003, il était vice-président et éditeur adjoint du quotidien La Presse.

Dans le dossier #3 de l'ancien centre de documentation, on retrouve une compilation de 126 pages de «nouvelles et commentaires de la presse anglophone du Québec et du Canada» au sujet du passage québécois du général de Gaulle en juillet 1967. On en lit des vertes et des pas mûres. Combien d'exemplaires de cette compilation de l'Office d'information et de publicité du Québec ont-ils survécu au cours des 58 dernières années? En tout cas, j'en ai toujours un...

Le texte présenté à la page 89 du dossier de la presse anglophone (texte du Ottawa Journal)


Enfin, la chemise #4 contient des cahiers spéciaux du quotidien Le Figaro de Paris (y compris les unes) annonçant la mort du général ainsi que les événements des jours suivants, les commentaires de partout et les biographies de circonstance. Là aussi, ce sont des documents précieux qu'on ne retrouverait plus très facilement... 

Bon, je reviens à ma question de départ. Je les ai sauvés de la poubelle. J'ai 78 ans et l'espace manquera bientôt. Que vais-je en faire?

mercredi 22 janvier 2025

«Une réalité du passé et de l'histoire»...

Numérisation des pp. 2 et 3 de l'édition Été 2024 de «Missionnaires ensemble»

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À sa mort en juillet 2023, ma mère m'a laissé sa collection de 12 années (1941-1953) du petit bulletin Contact, publié par les pères Capucins de la paroisse Saint-François d'Assise, à Ottawa. Au-delà des sermons religieux, le fascicule périodique de 4 à 8 pages constitue un trésor d'information sur une époque révolue où, dans mon petit coin franco-ontarien comme un peu partout au Québec, le catholicisme était omniprésent.

À côté de la majestueuse église à deux clochers située sur la «grand-rue» de la capitale fédérale, les Capucins avaient érigé un collège séraphique où étudiaient une centaine de candidats à la prêtrise, la plupart québécois. À cause du nombre élevé de vocations, plusieurs religieux étaient disponibles pour les campagnes d'évangélisation auprès des «païens» et «infidèles» vivant dans des terres lointaines. Aussi d'année en année, dans les années 40 et 50, Contact annonçait le départ de prêtres d'ici pour les missions catholiques en Inde.

Le sort aura voulu qu'en 2022, lors d'une tournée du Saguenay et du Lac Saint-Jean, je m'arrête à L'ermitage de Lac-Bouchette, une oasis spirituelle des Capucins devenue attraction touristique. Nous n'y avons vu qu'un seul père Capucin, originaire du sud de... l'Inde. La plupart des prêtres d'ici qui restent (et ils se sont rares) sont vieux, parfois malades, et les nouvelles vocations arrivent des missions que les générations précédentes de religieux avaient fondées et entretenues ailleurs dans le monde, notamment en Inde.

Dans le magazine Missionnaires ensemble, en 2024, un frère capucin de l'Inde, Sibin Balu, devenu «missionnaire» au Québec (tout un revirement depuis 1950), a livré un témoignage révélateur sur son expérience québécoise: «J'avais beaucoup d'attentes par rapport à la vie chrétienne dans un pays catholique, écrit-il. Mais les premiers mois de ma vie ici m'ont appris que l'attribut "catholique" faisait référence à une réalité du passé et de l'histoire.

«Pour quelqu'un comme moi qui venait d'un environnement où les églises étaient presque remplies même dans les jours ordinaires, il était littéralement choquant de célébrer la messe sans chorale, parfois même sans servants de messe, en outre de voir les églises avec beaucoup de sièges vides le dimanche.»

Ce prêtre de l'Inde avait compris en quelques mois ce que, sur nos perchoirs idéologiques, les «savants» débats au sujet de la «catho-laïcité» peinent à décortiquer. Que l'influence du catholicisme sur la société québécoise est désormais marginale, et que toute autre perception repose essentiellement sur la présence d'églises et de monuments et objets religieux, ainsi que des quelque cinq cents villes et villages portant le nom de saints de la religion catholique.

Les églises paroissiales agonisent, les curés qui prennent la relève viennent d'Afrique ou de Haïti, à peu près personne ne récite des prières quotidiennement, les communiants se font rares, les monastères et couvents qui ont survécu sont devenus des CHSLD pour personnes âgées, etc. Le paysage catholique québécois témoigne de ce que nous fûmes jadis. De notre histoire comme peuple. C'est un héritage à chérir, ayant désormais peu à voir avec la foi ou la pratique religieuse. 

On a beau apercevoir 100 clochers catholiques (ou plus) dans la métropole, on cherchera comme une aiguille dans une botte de foin les Montréalais issus de l'ancienne culture catholique qui arborent toujours un signe religieux ostentatoire. Les mosquées, synagogues et lieux de culte sikhs sont bien plus rares mais il arrive régulièrement de croiser une femme musulmane voilée, un Juif hassidique en tenue traditionnelle ou un Sikh portant turban. Voilà toute la différence!

Et ce prêtre capucin venu de l'Inde l'a compris en quelques mois. Alors fichez-nous la paix avec votre catho-laïcité sauce québécoise. Ce que nous faisons s'appelle laïcité tout court. Et nous n'avons par besoin de changer le nom du village L'Ascension de Notre-Seigneur ou du Lac Saint-Jean pour le prouver. Nous n'effacerons pas notre passé et notre identité pour calmer les saintes nitouches d'un multiculturalisme maladif...

De la revue Contact, 1951

De la revue Contact, 1950



jeudi 16 janvier 2025

Un an déjà! Je m'ennuie du papier!


En haut, l'édition du 24 mars 2020. En bas, celle du 30 décembre 2023.


Permettez-moi un bref retour sur les derniers jours de ce premier quart du 21e siècle... Le lundi 30 décembre 2024, cela faisait déjà une année, très exactement, que j'avais pu cueillir à ma porte le tout dernier exemplaire papier du journal qui avait marqué depuis plus d'un demi-siècle ma vie professionnelle et personnelle: Le Droit.

Le 24 mars 2020, pandémie de COVID-19 aidant, l'ancien quotidien de l'Outaouais et de l'Est ontarien avait cessé de publier son édition papier sur semaine, mais poursuivi l'impression d'un hebdo magazine le samedi. Sous un titre insultant et trompeur, MERCI ET À DEMAIN!, l'ultime offrande papier hebdomadaire a été livrée le samedi 30 décembre 2023 aux kiosques et au domicile des abonnés restants.

L'édition quotidienne numérique, qui avait survécu à la pandémie, a subi le même sort que l'imprimé le 18 avril 2023. Ne reste désormais que ce labyrinthe-babillard Internet où Le Droit épingle en temps réel des textes d'actualité et des chroniques provenant de son équipe amincie de journalistes et collaborateurs, ou transmis par les autres sites Web des Coops de l'information et les agences de presse.*

Il serait fort intéressant de connaître les chiffres réels de l'abonnement au site Web Le Droit en 2025, et de les comparer à ceux de la clientèle du journal imprimé avant que le passage au format tabloïd en 1988 ne vienne amorcer un cercle vicieux qui devait faire du produit une proie facile pour l'Internet et ses dérivés après l'an 2000. En mars 1986, alors que Le Droit était toujours un journal d'après-midi (le dernier au Québec), plus de 55% des foyers francophones d'Aylmer, Hull et Gatineau y étaient abonnés. On vendait en kiosque et on livrait à domicile tous les jours entre 45 000 et 50 000 exemplaires! 

S'ennuiera-t-on du papier un jour?

En ce début de 2025, les kiosques à journaux de mon patelin (Gatineau, 300 000 habitants, 4e ville du Québec) ne proposent à la clientèle francophone que deux quotidiens régionaux... de langue anglaise: l'Ottawa Citizen et l'Ottawa Sun. Pour acheter un journal imprimé en français, il faut se procurer Le Devoir ou le Journal de Montréal... Qualifier cette situation de scandaleuse serait un euphémisme!

Si encore on pouvait croire que les directions des quotidiens qui ont largué le papier l'avaient fait à contrecoeur, on aurait pu entreprendre un débat potentiellement fructueux. Mais non. Les autruches aux commandes ont couru droit vers le précipice numérique et sauté sans parachute... Plus question de fabriquer des journaux papier pour les vieux «nostalgiques». Marie-Claude Lortie, rédactrice en chef du Droit (une ancienne de La Presse), affirmait en ondes à Radio-Canada que les quotidiens imprimés ne servaient guère qu'à «allumer les feux de cheminée» ou tapisser «les litières de chats»...**

«On ne pense plus papier, c'est fini le papier depuis longtemps», avait-elle ajouté. Et on n'allait surtout pas s'ennuyer de l'imprimé... Au-delà de ces inepties, Mme Lortie fait ressortir le silence assourdissant des tribus journalistiques, la FPJQ en tête, en matière d'abandon des éditions papier de sept quotidiens québécois! À aucun congrès de la fédération professionnelle des journalistes n'a-t-on consacré ne serait-ce qu'un atelier de réflexion à l'importance de conserver et promouvoir les journaux imprimés dans cette ère où le numérique est devenu et restera incontournable.

Quand le mouvement vers l'abandon du papier par la presse écrite s'est accéléré dans la décennie 2010, certains prédisaient un sort similaire à l'industrie du livre. Or, en 2024, selon Le Devoir, les ventes de livres numériques plafonnent entre 7 et 10% de la production. Le public lecteur, même jeune, préfère l'expérience sensorielle, voire sensuelle, du livre imprimé. Le livre papier, comme jadis (et toujours) la presse papier, inspire confiance. «Ce qui est imprimé n'est pas fait pour les machines, mais pour l'humain», écrit Miguel Tremblay dans le plus récent numéro de la revue Liberté. Le troupeau journalistique québécois ne semble pas avoir compris que le bon vieux quotidien imprimé offre au lectorat un produit d'information unique que les écrans de téléphones et de tablettes, si perfectionnés soient-ils, ne peuvent espérer concurrencer.

Le journal qui aboutissait sur mon perron jusqu'à mars 2020 avait une existence physique. Pas besoin de réseau wi-fi ou d'abonnement Internet pour visionner un minuscule écran où l'on doit constamment faire défiler les textes et images vers le bas, en recommençant à chaque nouvelle page jusqu'à épuisement de l'index ou du majeur. On tenait le journal papier tout entier dans ses mains et si on le mettait de côté, on le retrouvait comme on l'avait laissé, sans qu'un inconnu n'ait tripoté des paragraphes ou des photos. L'ancien Droit présentait, en sections thématiques, un résumé quotidien de l'actualité politique, économique, sociale, sportive, artistique, etc. Il était plus facile à lire, on pouvait le toucher, le découper, le conserver, le recycler et, oui, même s'en servir pour allumer des feux de foyer ou tapisser la litière du chat...

Dans la ruée aveugle vers le numérique, on a oublié - même dans les milieux médiatiques - de s'interroger sur l'importance fondamentale du journal papier. Le résultat? La jungle de l'Internet. Une fragmentation inimaginable des sources d'information. La quasi-impossibilité, pour le grand public, de cibler avec certitude l'information fiable dans un univers de fake news. Une perte de confiance du lectorat, qui ira s'accélérant. Un public de plus en plus mal informé. Un terreau de plus en plus fertile pour la propagande. Une montée exaspérante des extrême-droites face aux go-gauches wokistes... Une perte des repères. Le règne des Trump, Musk, Zukerberg, Bezos...

Réponse au chroniqueur du Droit: «Oui, je m'ennuie du papier»! Et pour des motifs qui n'ont rien à voir avec le fait que je sois vieux...

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* Lien au texte Le supplice des mille coupures... https://lettresdufront1.blogspot.com/2023/12/le-supplice-des-1000-coupures.html

** Lien au textLe Droit papier: bon pour les feux de cheminée et les litières de chat? https://lettresdufront1.blogspot.com/2023/12/le-droit-papier-bon-pour-les-feux-de.html

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Vu sur Facebook en janvier 2025:



lundi 6 janvier 2025

Le temps d'un soir Radio-Canada devient Radio-Québec...

La publicité Bye Bye de Coca-Cola, hommage au Petit Roi de Jean-Pierre Ferland

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Mardi soir, 31 décembre 2024, vers 22 h... Mon épouse et moi quittons le domicile de mon frère à Gatineau pour rentrer à la maison, à cinq minutes en voiture, où nous poursuivrons l'écoute des émissions de fin d'année de Radio-Canada... En sortant de la ruelle d'accès à son bloc d'appartements, on arrive au boulevard Saint-René, une artère habituellement achalandée... Avant d'avancer, mieux vaut toujours jeter un coup d'oeil prudent à gauche et à droite... Mais surprise (ou pas?), aucune voiture en vue, aussi loin qu'on puisse voir!

Quand, le surlendemain, j'ai pris connaissance des cotes d'écoute préliminaires d'En direct du Jour de l'An, d'Infoman et du Bye Bye 2024, j'ai eu la confirmation de la justesse de mon pressentiment. Près de la moitié des Québécois (des francophones du moins) étaient agglutinés devant un téléviseur, branchés sur Radio-Canada pour assister à nos messes annuelles de la Veille du Jour de l'An.

Pensez-y! Au Québec, plus de trois millions de personnes ont vu en direct le Bye Bye... qui captait ainsi 91% de l'auditoire disponible! Des chiffres qui seront bonifiés avec les reprises télé et les visionnements Internet dans les jours suivants... Ce phénomène télévisuel assez unique doit faire baver les bonzes de la CBC, qui n'offre rien de tel au public anglo-canadien à la veille du Nouvel An et dont les cotes d'écoute laissent nettement à désirer.

Les commerçants, eux, ont fort bien saisi la portée de ces émissions spéciales de Radio-Canada. Les espaces publicitaires à 500 000 $ la demi-minute se sont envolés en quelques heures et plusieurs des annonceurs mijotent des pubs spéciales (clairement destinées au public québécois), au point où le contenu publicitaire est attendu presque autant que les émissions dans lesquelles il est diffusé. Le concours annuel des meilleurs publicités du Bye Bye attire un large public...

La publicité d'Air Canada, inspirée de La guerre des tuques

Même les entreprises pan-canadiennes, voire internationales, qui profitent de ces cotes d'écoute exceptionnelles mettent en ondes des messages publicitaires créés par et pour les Québécois. Songez à Air Canada, souvent critiquée pour ses services en français déficients, avec sa pub inspirée de La guerre des tuques, y compris la chanson tirée du film mythique, montrant un avion avec le titre Un air de chez nous... Ou Tim Hortons inventant un pipi-gate québécois parce que sa porte-parole Sarah-Anne Labrosse est arrêtée aux toilettes d'un Tim sans faire d'achat... Et que dire de Coca-Cola qui a rassemblé une brochette de vedettes québécoises de la chanson pour rendre un hommage émouvant au Petit Roi de Jean-Pierre Ferland...

Quant aux messages publicitaires en provenance du Québec, leur originalité et leur humour ciblent invariablement des environnements humains et physiques d'ici. Le petit chef-d'oeuvre de Mondou montrant un chien gagnant une course à obstacles parce qu'il a appris à manoeuvrer autour des cônes orange et clôtures des rues en réparation... Dans celle des Érables du Québec, un type suggère d'attendre que toute la tubulure d'une érablière pète avant de la réparer, citant ses 20 années d'expérience au service d'aqueduc municipal...  Sans oublier les sympathiques offrandes des producteurs de lait et de Metro, se déroulant autour de tablées typiques du temps des Fêtes...

La pub de Mondou, un clin d'oeil aux travaux routiers urbains...

Le contenu des émissions était lui-même enraciné dans le vécu québécois. L'En direct de France Beaudoin mettait en scène avec brio quatre personnalités artistiques et médiatiques du Québec, avec une présence surprise de plusieurs de leurs proches et amis, et en dépit de la présence irritante de musique anglaise, respirait le terroir du bassin du Saint-Laurent. Les émissions Infoman et Bye Bye, tout en ratissant beaucoup plus large, étaient aussi ancrées en terre québécoise. La valeur d'y participer n'échappe pas aux politiciens fédéraux qui savent se débrouiller en français. Le chef conservateur Pierre Poilievre, si prompt à dénoncer CBC, était tout sourire en déclarant que pour tout premier ministre canadien, une visite à Infoman restait incontournable.

La francophonie hors Québec, absente des heures de forte écoute la Veille du Jour de l'An, avait cependant sa propre offrande, Improtéine expose 2024, présentée à l'ouest du Québec (et en Outaouais) à 18 h, le 31 décembre, puis vers 1 h 30 pour le réseau complet dans la nuit du Jour de l'An après Les coulisses du Bye Bye. Faite avec peu de ressources, passée sous silence dans les textes médiatiques, l'émission de la troupe franco-ontarienne Improtéine propose un voyage pan-canadien un peu superficiel - faute de moyens j'imagine - mais réussit tout de même à traiter avec humour l'épisode «plein de marde» à Ottawa. Le périple se termine cependant au Québec, à Montréal, où l'équipe découvre que leur projet de fin d'année a été saboté par des membres de la CAHQAQ (Coalition des artistes hors Québec au Québec) qui veulent empêcher que d'autres francophones hors Québec viennent les concurrencer à la télé québécoise...

Le temps d'un soir, Radio-Canada était devenu un Radio-Québec rassembleur et personne - ni le public (au Québec et ailleurs), ni les commanditaires, ni les politiciens fédéraux - ne semblait s'en plaindre. Plusieurs ont critiqué les émissions, bien d'autres ont adoré, mais la nation québécoise était au rendez-vous. Nos rues désertes de la Veille du Jour de l'An en témoignent.