![]() |
Yves-François Blanchet aux Communes (photo Presse canadienne) |
----------------------------------------------------------
![]() |
Yves-François Blanchet aux Communes (photo Presse canadienne) |
Obfuscation (emprunt de l'anglais): énonciation d'une affirmation fausse ou imprécise de manière à dissimuler l'information pertinente.
L'ancien premier ministre québécois Robert Bourassa en était maître. On lui posait une question, puis on pouvait écouter sa réponse quatre ou cinq fois pour tenter d'en saisir le sens.
L'ancien président Richard Nixon avait lui aussi maîtrisé la technique de brouiller les messages parlés ou écrits. On avait même inventé le terme «nixonspeak» pour le caractériser.
Évidemment, que des politiciens pratiquent l'art de l'obfuscation ne surprendra personne.
Il n'en va pas de même pour les médias d'information. Ayant pour mission de rapporter et décoder les faits, une entreprise de presse qui les fausse, les obscurcit ou les cache commet un péché mortel.
Et pourtant, cela ne semble pas déranger les dirigeants de nos entreprises de presse ces jours-ci. Depuis plusieurs décennies dans certains cas...
Mais tenons-nous en au temps présent. Je lisais ce 9 juin un «mot de l'éditeur» sur le site Web Le Droit. Un texte qui commence bien mal, tenant compte qu'il n'y a plus d'éditeur au Droit. Le message est signé par le directeur général de l'organisation médiatique, François Carrier.
J'attendais cette communication depuis au moins quelques jours, sachant que la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie avait quitté l'équipe (pas de son propre gré) le 7 juin. Un départ médiatisé par Le Devoir, Radio-Canada et ONFR, mais pas dans les pages du Droit.
L'annonce du départ de Mme Lortie s'accompagnait de la révélation qu'elle ne serait pas remplacée, la rédactrice en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières devenant responsable de la rédaction du Droit en plus de la sienne. Cette nouvelle a été confirmée par M. Carrier et commentée par Mme Lortie, qui a parlé de «restructuration».
Le président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, Fabien Hébert, s'est inquiété de voir un poste de direction si important confié à une personne qui ne connaît pas l'Outaouais et l'Ontario. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec craint «un effet négatif».
La table était mise pour une défense par le siège social des Coops de l'information (à Québec) ou par le d.g. du Droit de ces décisions et de leur effet appréhendé: une explication du départ, de l'abolition du poste de rédacteur en chef, une réponse aux appréhensions exprimées par l'AFO, la FPJQ et, sans doute, une partie du lectorat.
Puis vint l'obfuscation...
Et voilà que paraît, enfin, le 9 juin, deux jours après le départ de la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie, un texte signé par le d.g. François Carrier sur le site Web du Droit (voir lien en bas de page). Pas un mot sur Mme Lortie. Pas d'explication. Pas de remerciement pour ses années de service. Pas de précision sur l'abolition du poste de rédacteur en chef ou une quelconque restructuration. Pas un mot sur la direction bicéphale confiée à la rédactrice en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières. Pas de réponse aux craintes exprimées par l'AFO et la FPJQ.
Le message du directeur général (présenté comme un texte de nouvelles par ailleurs) commence ainsi: «La production journalistique du Droit est fondamentale pour le développement de notre région et la santé de sa francophonie». Après avoir endossé des coupes draconiennes dans les effectifs de rédaction depuis des décennies, une telle déclaration de la direction du Droit suinte de cynisme.
Ce propos plutôt dénué de fondement (du moins pour le développement régional) sert de préambule à l'annonce de la création d'un poste de journaliste dans l'Est ontarien (la région entre Ottawa et la frontière du Québec au nord et au sud de la 417) et au rappel de la création en Outaouais d'un poste de rédaction dans «la région de Papineau», une appellation plutôt étrange pour un territoire qui couvre surtout la Petite-Nation.
Ce qu'on ne dit pas, c'est que ces postes existaient autrefois et qu'on les avaient abolis. C'est donc un retour et non une innovation. Le paragraphe se termine avec une prédiction aussi nébuleuse qu'optimiste: «D'autres (postes) devraient s'ajouter sous peu.» Combien? Quand? Où? Pour combien de temps? «Le Droit est là pour rester» assure M. Carrier. C'est bon de l'entendre, mais...
Ces «nouvelles recrues», lit-on, pourront compter «au cours des prochains mois» sur l'encadrement d'un ancien rédacteur en chef du Droit, Patrice Gaudreault. Une affectation temporaire, donc, durant laquelle il portera le titre bizarre de «chef d'équipe aux contenus du Droit». J'ai beau me gratter la tête, j'ai de la difficulté à comprendre ce que fera un «chef d'équipe aux contenus» quand on a déjà en poste un «coordonnateur à l'information» (autre titre nébuleux), Jean-François Dugas. Ce dernier a, en plus, un adjoint, Patrick Woodbury.
«C"est ce trio, dit M. Carrier, qui prendra l'ensemble des décisions rédactionnelles touchant l'actualité de l'Outaouais et de l'Ontario français». Voilà une affirmation qui mériterait éclaircissement. Leur mandat inclut-il la rédaction publicitaire, comme celle d'un magazine spécial pour le 50e anniversaire du Festival franco-ontarien (12 au 14 juin 2025) et de magazines subséquents en collaboration avec la Chambre de commerce de Gatineau?
Petit à-côté... Toutes ces gens qui ne jurent que par le numérique, qui ne s'ennuient pas de l'imprimé, ont décidé de produire une version papier du magazine sur le Festival franco-ontarien. On se demande bien pourquoi, tout en s'en réjouissant.
Notons enfin que le texte de M. Carrier est suivi d'un encadré intitulé «Soutenez l'information locale» remplie d'information fausse. «Le Droit, c'est une coopérative de solidarité appartenant à ses employés»: c'est faux, la coopérative Le Droit a été dissoute, comme celle des autres anciens journaux régionaux. Il ne reste qu'une coopérative nationale. On invite ensuite les lecteurs à faire «un don à notre coopérative (locale)», qui n'existe plus...
Misère...
-------------------------------------
Lien au texte du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2025/06/10/du-nouveau-pour-emle-droitem-TPQ6JMNKOBAKVABJKKWN32PAV4/
![]() |
Photo publiée par la Chambre de commerce de Saskatoon |
![]() |
Gatineau et Trois-Rivières à la base du triangle isocèle, Clova (en rouge) au sommet! |
Au moment où je croyais qu'il était devenu impossible d'effectuer de nouvelle coupe sans éteindre les dernières braises de l'ancien quotidien Le Droit, l'impossible s'est produit!
En mars 2020, le journal papier de l'Outaouais et de l'Ontario français avait cessé d'exister en semaine. Le quotidien numérique a rendu l'âme en avril 2023. L'édition imprimée du samedi a publiée pour la dernière fois le 30 décembre 2023. Ne reste désormais qu'un babillard Web mis à jour en temps réel.
Jadis indépendant, Le Droit est passé à partir des années 1980 au hachoir des empires de presse (Unimédia, Hollnger, Power-Gesca). Menacé de disparition en 2014 par les frères Demarais, le journal a été acquis par Groupe Capitales Médias (avec cinq autres quotidiens régionaux) avant de se transformer en coopérative (en 2019) pour éviter une nouvelle fois la fermeture.
Tous ces chambardements s'accompagnant de coupes de personnel, y compris à la rédaction, l'organisation a fondu comme peau de chagrin. Le 22 mars 2023, Le Droit a cessé d'exister comme entreprise autonome, les six coopératives de CN2i s'étant fusionnées pour former une seule organisation nationale à but non lucratif.
Alourdie par une dette de six millions de dollars (selon Le Devoir), ne comptant plus que 250 employés à Gatineau, Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke, Saguenay, et Granby, la Coopérative nationale de l'information indépendante a annoncé le 1er mai 2025 un nouveau licenciement d'une trentaine de membres du personnel.
Au-delà de quelques lignes téléphoniques et d'une adresse (pour combien de temps?), il reste au Droit moins que le strict minimum requis pour remplir sa mission d'information. Une quinzaine de journalistes héroïques? Une poignée de représentants publicitaires dynamiques? Quelques membres d'une direction fatiguée?
Je ne l'aurais pas cru, mais on a trouvé le moyen d'amincir encore davantage les effectifs, et pas n'importe lesquels. On apprenait récemment par Le Devoir* (et non de CN2i) le départ - le 7 juin - de la rédactrice en chef du Droit, Marie-Claude Lortie, pas volontaire dit-on, accompagné d'une fusion des postes de rédacteur en chef du Droit et du Nouvelliste de Trois-Rivières.
Fallait y penser... Ce sera probablement une première au Québec, un seul patron de la rédaction pour ces deux anciens quotidiens. La question se posera évidemment: qui sera ce chef bicéphale? Où cette personne aura-t-elle son bureau? À Trois-Rivières? À Gatineau? Alternance de semaine en semaine entre l'Outaouais et la Mauricie? Tout diriger du site Web amiral à Québec?
Selon un suivi de Radio-Canada, publié le lendemain du texte du Devoir, «tout ça n'est pas encore ficelé», mais rien n'indique qu'on remplacera l'actuelle rédactrice en chef au Nouvelliste... Au Droit, on parle de «morosité», tandis que l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario) et la FPJQ s'inquiètent de la possibilité d'un patron ancré à Trois-Rivières, si éloigné du territoire de couverture du Droit.
La déclaration du directeur général du Droit, François Carrier, à l'effet que «tout ça» n'aura pas d'effet sur l'indépendance de la salle de rédaction ottavienne-gatinoise, s'inscrit dans une longue lignée de propos loufoques tenus au cours des dix dernières années. À chaque promesse de «pas d'effet» ou pire, d'amélioration, les conséquences ont toujours été les mêmes.
Alors, tant qu'à crapahuter au pays des merveilles, je me permets une proposition originale, étrange, mais faisable avec l'Internet satellite. Sur la carte, vous verrez que l'Outaouais et la Mauricie se touchent au 48e parallèle. Créez un triangle isocèle (voir image en haut de page) à partir de Gatineau et Trois-Rivières, et au sommet vous trouverez le hameau de Clova, techniquement en Mauricie mais tout près de la pointe nord-est de l'Outaouais.
À distance à peu près égale des Gatinois et Trifluviens, le village forestier serait l'endroit idéal pour la patronne ou le patron de journalistes qui, de toute façon, travaillent essentiellement de chez soi ou sur la route. Clova a même une valeur symbolique pour CN2i, toujours au bord du précipice.
En juin 2023, menacé de toutes parts par d'immenses feux de forêt, abandonné aux flammes par le premier ministre Legault, le village avait miraculeusement survécu, presque intact, grâce aux efforts des équipes de la SOPFEU et à la solidarité de ses quelques dizaines d'habitants.
Qui dit mieux? Dans un tel environnement, la nouvelle ou le nouveau patron des salles de rédaction du Droit et de Trois-Rivières saura s'inspirer du courage de ses concitoyens pour tenter de sauver de l'abîme ses bouts d'entreprise.
C'est drôle, mais c'est pas drôle...
Clova! Clova! Clova!
![]() |
Vue aérienne de Clova, photo Radio-Canada |
-----------------------
* Lien au texte du Devoir - https://www.ledevoir.com/culture/medias/878083/journal-droit-retrouve-redacteur-chef
**- Voir aussi textes de Radio-Canada et ONFR -
et
https://onfr.tfo.org/le-droit-naura-plus-de-redaction-en-chef-a-ottawa-gatineau/
Que diriez-vous si le Québec Community Groups Network (QCGN), organisme parapluie des Anglo-Québécois, affirmait représenter plus de 50% de la population du Québec, parce qu'au moins 4 300 000 des 8 400 000 Québécois sont «anglophones»?
Après un moment d'incrédulité, vous diriez que ces gens sont tombés sur la tête, et vous auriez raison. Selon le plus récent recensement de Statistique Canada, celui de 2021, le nombre de personnes considérées comme anglophones au Québec se rapproche de 1 100 000, soit 13% de la population.
Pour arriver à plus de 50% d'anglophones au Québec, il faudrait inclure tous les francophones et allophones capables de s'exprimer en anglais. Ce qui n'a aucun sens, évidemment. Selon ce principe, si un francophone est bilingue, il est compté comme anglo. Ce qui ferait de moi, Pierre Allard, un Anglo-Québécois...
Aucun média digne de ce nom ne tomberait dans un tel panneau... au Québec. Il en va autrement pour la francophonie hors Québec où la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA) utilise cette méthode de calcul pour prétendre qu'elle représente environ 2 800 000 francophones dans les neuf provinces et trois territoires à majorité anglophone.
Et nos bons journalistes, le plus souvent mal informés en matière de francophonie, utilisent ce chiffre fantaisiste dans leurs textes de nouvelles sans cligner de l'oeil (voir exemple ci-haut)...
En réalité, à l'extérieur du Québec on compte un peu plus d'un million de francophones selon les calculs les plus optimistes de Statistique Canada. En utilisant le critère de la langue d'usage à la maison, on frise les 700 000. Donc, pour arriver à 2 800 000, il faut compter tous les anglophones et allophones qui connaissent le français. Ce qui n'a aucun sens!
La capture d'écran du texte publié sur le site Web Le Droit (image ci-haut et lien en bas de page) n'a rien d'exceptionnelle. On brandit le chiffre gonflé de 2 800 000 sur toutes les plates-formes. La FCFA doit savoir que tout cela est ridicule. Mais elle le fait tout de même. Et dans un monde médiatique où les recherches sont parfois superficielles, ça passe comme lettre à la poste.
-----------------------------------
Lien au texte du Droit: https://www.ledroit.com/franco/2025/05/27/liane-roy-reelue-a-la-tete-de-la-fcfa-pour-un-troisieme-mandat-QUJAR6SE7FAW7JF3SQ5IVTB4MM/
Au-delà des cumulonimbus constitutionnels, politiques, économiques et culturels qu'il a largués sur l'horizon québécois, le Discours du Trône Mark-Carney-Charles-III constitue par ses erreurs et faussetés parfois mensongères une claque en pleine face pour les francophones du Québec, et même ceux du Canada tout entier.
Je n'ai pas pris le temps de mettre tout ça dans l'ordre, vu que je dois écrire ce texte à chaud. Mais allons-y tout de même.
Commençons par la fin.
--------------------------------------------------------
--------------------------------------------------------«Les francophones hors Québec plus attachés à la monarchie que les Québécois»? Ce titre en page A4 du Devoir du lundi 26 mai m'a fait sursauter. Si j'avais lu «Les francophones hors Québec moins hostiles à la monarchie que les Québécois», j'aurais moins sursauté...
Ayant passé les 29 premières années de ma vie en sol ontarien, à Ottawa plus précisément, j'ai passé en revue mes souvenirs de cette époque sans y redécouvrir d'«attachement» à la Couronne britannique. Fascination, curiosité, jalousie peut-être devant ces aristocrates bijoutés d'un univers inatteignable pour le commun des mortels, mais aussi l'incarnation de cette domination anglo-britannique qui avait fait payer très, très cher aux Franco-Ontariens leurs luttes pour conserver la langue et la culture françaises.
Si je me fie au titre du Devoir, le monde hors Québec que j'ai connu serait révolu. «Le Canada anglais que je connaissais quand j'étais jeune n'existe plus. C'est terminé tout ça», affirme sans offrir de preuve l'historien franco-manitobain Philippe Mailhot, rappelant sa jeunesse plutôt anti-monarchique alors que les anglophones «s'enveloppaient dans la Couronne».
Avoir été historien, j'aurais étayé mon argument à l'aide d'exemples: recherches personnelles, études bien documentées, quelques sondages d'opinion, etc. Si ce type d'information existe, il aurait été mentionné dans l'article de journal, mais M. Mailhot n'en fait pas état. Il faut donc conclure que l'opinion de l'historien est fondée sur son expérience personnelle et professionnelle, au Manitoba. Rien n'autorise à en tirer une conclusion pour l'ensemble de la francophonie hors Québec.
Un autre historien, Damien-Claude Bélanger, de l'Université d'Ottawa, va plus loin que son collègue franco-manitobain dans son appréciation des sentiments de la diaspora canadienne-française envers la monarchie. «C'est sûr, dit-il, qu'historiquement parlant, il y a eu plus d'attachement à l'égard de la couronne chez les francophones hors Québec qu'au Québec en tant que tel.»
Ah, la certitude, ennemi mortel de l'information. «C'est sûr...» Cet historien québécois, spécialiste des rapports des Canadiens avec la monarchie, n'offre toutefois aucun exemple, aucun fait susceptible de justifier cette certitude. À sa place, j'aurais immédiatement ajouté: voyez ce qui s'est produit ici, là, consultez telle étude démontrant les écarts d'attitude entre la francophonie québécoise et hors-Québec. Non. Rien.
La seule tentative de démontrer effectivement des gestes d'appui ou de soutien envers la monarchie se limite à un paragraphe, dont on ne sait trop s'il doit être attribué à M. Mailhot. On y lit: «Certains groupes francophones hors Québec (lesquels?) montrent depuis plusieurs années leur soutien à la monarchie. Lors du décès de la reine en 2022, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario avait demandé que les drapeaux franco-ontariens soient mis en berne.»
J'avoue mon ignorance ici. Je n'ai pas entendu ou lu d'information sur un soutien quelconque d'organismes canadiens-français ou acadiens pour la monarchie britannique. J'ai cependant la conviction qu'on ne peut interpréter des drapeaux en berne comme un soutien à la monarchie, et que les motifs de l'AFO lors du décès d'Elizabeth ont probablement plus à voir avec la rectitude politique qu'un quelconque loyalisme envers la royauté de la mère-patrie des anglos.
Je ne conteste pas la possibilité que les francophones hors Québec soient davantage attachés à la monarchie que les Québécois. Compte tenu de leur taux d'anglicisation catastrophique, il est même probable que ces collectivités adoptent des comportements et attitudes qui les rapprochent de la majorité anglophone. Mais de là à l'affirmer sans preuve, notamment dans une manchette de journal, il y a un pas que les professionnels de l'information ne doivent pas franchir.
![]() |
Une nouvelle identité dévoilée en juillet 2024 par la ville de Gatineau... Éloquent... |
D'ici l'an 2050, au train où vont les choses, les francophones seront minoritaires à Gatineau, quatrième ville du Québec. À Montréal aussi, vous dites? Sans doute. À Laval aussi? Sans doute. Mais je vis à Gatineau. Je vois donc de plus près ce qui se passe ici, au royaume de la peur et du vivre à genoux. Et ce qui se passe, du moins sur le plan linguistique, n'est rien de moins que dramatique!
Les données du recensement fédéral de 2021 montraient déjà une anglicisation accélérée de la porte d'entrée du Québec en Outaouais. Mais les résultats de l'étude Situation des langues parlées au Québec de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ), publiés en mai 2025, fondés sur une enquête réalisée en 2024, annoncent la catastrophe pour qui espère assurer la pérennité du caractère français de Gatineau.
Remarquez, on n'a pas vraiment besoin d'études et de recensements pour flairer le vent. Il suffit de tendre l'oreille vers la rue, le centre d'achats, le supermarché, le resto... J'étais au RONA la semaine dernière, dans l'est de la ville, et j'ai croisé dans le stationnement un groupe d'élèves de l'école secondaire du Versant (adjacente) marchant vers un casse-croûte à l'heure du lunch. Ils jasaient... en anglais. Et le personnel de RONA chargé de livrer chez moi le barbecue que nous venions d'acheter ne parlait pas français... Ce ne sont pas des cas isolés...
Mais revenons au rapport récent de l'ISQ, dont j'ai appris l'existence par le bulletin télé régional de Radio-Canada (Le Droit, à ma connaissance, n'a rien écrit là-dessus). L'étude de l'ISQ nous informe qu'en 2024, 62,9% des Gatinois parlent «le plus souvent» le français à la maison. En soi, cela ne signifie pas grand chose. Jusqu'à ce qu'on sache qu'il y a moins de 20 ans, au recensement de 2006, la proportion de personnes indiquant le français comme langue d'usage à la maison était de 80,7%...
Dans le vieux Hull, au coeur du centre-ville de Gatineau, francophone à 90% il y a un demi-siècle, la proportion d'anglophones et allophones frise désormais le 40%. Au rythme actuel, il suffira d'une décennie additionnelle de nouvelles tours d'habitation et de démolition de vieilles maisons allumettes pour minoriser la population de langue française et éteindre ce qui restait de notre présence avant l'invasion fédérale des années 1970.
L'arrivée massive d'Ontariens anglophones qui traversent la rivière des Outaouais pour des motifs économiques, l'augmentation constante d'immigrants portés à s'angliciser, se voyant davantage Canadiens que Québécois, et la présence d'un maxi-employeur, l'administration fédérale, où l'anglais est généralement la langue de travail, érodent sans répit la langue et la culture françaises à Gatineau. Et n'allez surtout pas trop en parler sur la place publique: au-delà des l'occasionnels sondages ou déclarations vides sur le caractère primordial du français, le sujet est véritablement tabou.
Le conseil municipal de Gatineau n'a que faire de la langue et la culture françaises. On laisse le soin de récriminer aux méchants séparatistes, que les masses dociles varlopent à chaque élection. Ou à l'ex-président d'Impératif français, Jean-Paul Perreault, qui a fréquemment mauvaise presse, même dans les médias de langue française. Les anglos arrivent à pleine porte comme s'ils étaient dans une banlieue d'Ottawa et les bons Gatinois majoritairement bilingues les accueillent dans leur langue. Pas question de leur faire savoir qu'au Québec, c'est français...
L'étude de l'ISQ peint un tableau sinistre de la francophonie à Gatineau: seulement 48% des personnes de 15 ans et plus travaillent à peu près uniquement en français (50% en anglais ou en bilingue); dans une ville qui abrite moins de 20% d'anglophones, 38% des gens naviguent sur Internet en anglais seulement; 63% des Gatinois regardent en anglais les films ou les séries sur les plateformes de diffusion en continu; la moitié de la population écoute des chansons en anglais seulement; etc. etc. (voir lien en bas de page)
Ici, face aux cinq ponts qui relient Gatineau à l'Ontario, les défenseurs d'un Québec français se sentent bien seuls. Je vous laisse sur un poème d'Omer Latour (lien 2 ci-dessous), auteur franco-ontarien qui devait joindre les rangs du FLQ en 1963 avant de revenir en Ontario où il devint enseignant. Ce poème évoque la situation désespérante des francophones de Cornwall, sa ville natale. On pourra adapter ce texte vers 2050 pour sonner le glas du français à Gatineau :
«Je n'ai rien inventé.
Ce n'était pas nécessaire.
Dans les relations franco-anglaises de cette ville, la réalité dépasse la fiction.
Dieu merci le combat est presque fini.
L'assimilation totale apporte enfin le repos
et la paix à tous ces gens obscurs qui ont
lutté dans un combat par trop inégal.
Vous me demandez pourquoi ils sont morts?
Je vous demande comment ils ont fait
pour résister si longtemps.»
-------------------------------------------
1 - Lien à l'étude Situation des langues parlées au Québec en 2024 - https://statistique.quebec.ca/fr/document/situation-langues-parlees-quebec-2024
2 - Omer Latour, Une bande de caves, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1981
![]() |
Le texte français de la cérémonie d'assermentation |
Si jamais on cherchait une démonstration éloquente du peu d'égards réservé par Ottawa à la langue française, il suffisait de regarder, ce 13 mai 2025, la très monarchique cérémonie d'assermentation des membres du cabinet du premier ministre libéral Mark Carney.
Les médias francophones, trop occupés à annoncer et décortiquer les nominations, ou tellement habitués à voir la langue française piétinée qu'ils n'y portent plus attention, ne semblent pas avoir relevé l'unilinguisme anglais du début de la cérémonie et de près de la moitié des ministres et secrétaires d'État nommés par M. Carney.
Devant sa patronne incapable de s'exprimer en français, le secrétaire de la Gouverneure générale, Ken McCullough, qui s'est présenté en anglais, a expliqué en anglais seulement le cérémonial de la lumière en cours, présidé par un Inuit du Nunavut. J'attendais la traduction française (c'est toujours une traduction...) mais elle n'est pas venue.
M. McCullough a ensuite présenté en français (une courte phrase...) l'aînée algonquine Verna McGregor pour le récit d'un mot de bienvenue. Cette dernière a alterné entre l'anglais et sa langue autochtone pendant quelques minutes. Un peu de français à part le «Bonjour tout le monde», juste pour la forme? Non... et il m'est apparu que cela ne dérangeait personne...
Vint ensuite l'interminable procession de ministres et de secrétaires d'État appelés à jurer ou déclarer leur «sincère allégeance à Sa Majesté le Roi Charles III, Roi du Canada, à ses héritiers et successeurs». Pour les nouveaux membres du cabinet, s'ajoute un deuxième serment de fidélité à la royauté. Suivis, laïcité écarte-toi, de l'optionnel «ainsi Dieu me soit en aide»...
Des 38 membres et demi-membres du conseil des ministres, pas moins de 12 ministres et 6 secrétaires d'État (en italiques) ont prononcé leur serment d'allégeance monarchique en anglais seulement:
- Jill McKnight
- Heath MacDonald
- Rebecca Alty
- Joanne Thompson
- Shafqat Ali
- Rebecca Chartrand
- Mandy Gull-Masty
- Tim Hodgson
- Eleanor Olzewski
- Gregor Robertson
- Maninder Sidhu
- Evan Solomon
- Buckley Belanger
- Stephen Fuhr
- Wayne Long
- Stephanie McLean
- Randeep Sarai
- John Zerucelli
Deux assermentés, un ministre (Joël Lightbound) et une secrétaire d'État (Nathalie Provost) se sont exprimés en français seulement; les autres (19) en bilingue, souvent l'anglais en premier. Et toutes ces bonnes gens ont posé pour ls photos de circonstance avec M. Carney et la représentante du roi Charles III, la très anglophone Mary Simon qui, heureusement, n'a pas eu à parler.Il faut aussi noter que la cérémonie avait lieu à la Résidence de la Gouverneure générale et non, comme cela se fait au Québec, au Parlement. Les députés fédéraux ne jurent pas allégeance au peuple (sauf Gregor Robertson, avec quatre petits mots en français); chacun, comme le dit le texte du serment d'allégeance, est un «fidèle et loyal serviteur de Sa majesté le roi Charles III»...
Cette cérémonie a une grande valeur éducative pour les francophones du Québec. On leur apprend que leur langue n'est pas la bienvenue ici, quoiqu'on dise dans les traductions des discours officiels. Seulement deux des neuf membres québécois du cabinet élargi ont prêté serment en français uniquement. Six en bilingue et une (Mme Gull-Masty) en English only. Ça fait dur!
On y apprend aussi que la monarchie occupe ici la place centrale et qu'on ne peut imaginer voir à Ottawa, dans un avenir prévisible, la possibilité de jurer fidélité au peuple plutôt qu'à un roi colonial et chef religieux d'outre-mer. Après avoir entendu prononcer «Sa Majesté Charles III» une soixantaine de fois en une heure et demie, on souffre d'indigestion...
Ce qui fait de nous ce que nous sommes, cette nation québécoise, sa langue, ses valeurs, n'a pas sa place à Ottawa. Le gouvernement Carney, fidèle au serment d'allégeance, combattra les velléités anti-monarchiques du Québec, sa laïcité, ses plus fortes mesures de protection du français, jusque devant ses juges de la Cour suprême. Avec l'aide de ses collabos...
Quand l’ensemble du Québec francophone comprendra-t-il enfin l’inutilité de confier ne fut-ce qu’une parcelle de son avenir aux partis fédéraux pancanadiens? La remontée récente des libéraux dans les sondages électoraux (qui s’essouffle, heureusement) a pour principal effet d’entretenir le pernicieux mythe voulant qu’élire des candidats du parti victorieux confère à la nation québécoise un réel pouvoir à Ottawa.
Les Québécois siégeant sous la bannière Trudeau-Carney (ou Poilièvre) se retrouveront toujours minoritaires dans ces formations et réduits au silence par une rigide discipline de parti pendant que leurs dirigeants combattent la laïcité québécoise devant la Cour suprême, sapent nos meilleurs efforts de francisation et poursuivent l’envahissement de nos champs constitutionnels (santé, éducation, etc.).
Une minorité ne décide rien. Elle demande, quémande, subit, proteste. Interrogez les collectivités francophones hors-Québec. Leur histoire est une interminable litanie d’injustices et de persécutions aux mains de majorités anglophones intolérantes. En 2025, le Québec français forme à peine 20% de la population du Canada, et ne peut rien à Ottawa contre une majorité anglo-canadienne qui s’assume.
Pour quelque temps, les Québécois devront poursuivre leur cohabitation avec la majorité de langue anglaise au Parlement canadien, et même conclure des alliances au besoin, notamment face à Trump. Mais il ne faut pas hypothéquer l’après-crise.
Ce 28 avril, il faut retourner à Ottawa une très imposante cohorte d’élus du Bloc québécois. Eux seuls pourront nous défendre et s’exprimer sans entrave, pour que les députés du Canada tout entier puissent continuer de voir de face ceux et celles qui, un jour, se donneront un pays à leur image.
Sur la rue Loretta, dans un quartier d'Ottawa adossé à l'autoroute 417, au sud-ouest des Plaines LeBreton et du pont des Chaudières menant à Gatineau (Hull), se dresse un large mur de briques avec, au centre, une ouverture surplombée d'une arche.
Le passant devinera qu'il s'agit de la façade conservée d'une bâtisse tombée sous le pic des démolisseurs. Aucune plaque n'indique que des générations de jeunes francophones ont fait leurs classes primaires à cet endroit pendant plus d'un demi-siècle. L'école Saint-Gérard est transformée en mur décoratif depuis 1981...
À quelques pas, sur la rue Beech, la statue d'un ange trône sur un socle en pierres au fond d'un îlot de verdure, à côté d'un édifice à appartements rebricolé qui rappelle vaguement sa forme d'antan, celle de l'église canadienne-française Saint-Gérard Majella, dirigée par les Pères Rédemptoristes de 1916 à 1976. Les anciens presbytère et collège des Rédemptoristes, adjacents à l'église, sont maintenant greffés aux appartements.
![]() |
La classe de Mme Françoise Desormeaux à l'école St-Gérard, en 1946 |
Je me rappelle de ces kilomètres à pied quand nous allions, enfants, voir des films pour 5 cents au sous-sol de l'église St-Gérard, les dimanches après-midi. Mais la présence francophone sur les rues Loretta, Beech et environs sombre vite dans l'oubli en 2025. Au-delà des ruines anonymes et de souvenirs des vieux de 70 ans et plus, cette ultime extension d'une francophonie ottavienne jadis croissante suscite peu d'intérêt chez les chercheurs universitaires qui se penchent depuis des décennies sur la présence franco-ontarienne à Ottawa.
![]() |
Ce qui reste de l'ancienne église St-Gérard... |
S'ils binaient un peu plus leur terreau, ces historiens, sociologues et politologues découvriraient que la paroisse Saint-Gérard Majella, créée durant la Première Guerre mondiale au coeur du combat contre le Règlement 17 (interdisant l'enseignement en français dans les écoles de l'Ontario), résultait d'un petit découpage de deux paroisses voisines, Saint-François d'Assise et Saint-Jean-Baptiste, où des populations francophones beaucoup plus importantes (à l'époque) mériteraient, elles aussi, de ne pas disparaître de la mémoire collective.
La plus ancienne, Saint-Jean Baptiste, sous la férule des prêtres Dominicains, couvrait le secteur ouest du centre-ville d'Ottawa y compris les Plaines Lebreton (le flat comme on l'appelait) où environ la moitié de la population était canadienne-française. Les résidents de ce quartier modeste ont été brutalement expropriés par les autorités fédérales au milieu des années 1960. Le reste du territoire paroissial a vu la présence francophone s'effriter au fil des ans. On se trouve maintenant au coeur du quartier chinois d'Ottawa et sans la persévérance du prestigieux Collège dominicain, la paroisse serait moribonde.
Des rues Loretta et Beech on peut presque apercevoir, vers l'ouest, les hauts clochers de l'église Saint-François d'Assise, point de convergence de l'ancienne communauté franco-ontarienne de plus de 5 000 âmes qui avait fait du français la langue d'intégration du quartier Hintonburg-Mechanicsville entre la grand-rue (Wellington, la rue du Parlement) et la rivière des Outaouais au nord. Ce quartier méconnu et négligé des historiens et autres spécialistes était le seul de la capitale canadienne, au-delà de la Basse-Ville, à abriter - jusqu'aux années 1960 - une population très majoritairement francophone.
En juin 1915, au moment d'inaugurer la seconde église St-François d'Assise, le quotidien Le Droit notait en page une que cette paroisse était «en train de devenir le noyau d'une très considérable population et sera avant longtemps le centre d'une véritable ville au sein de la Capitale». J'y ai grandi dans les années 1950 et je peux témoigner que c'était toujours à cette époque un genre de «village gaulois» dans une ville largement unilingue anglaise.
Dans l'édition du 14 juin 1915 du Droit, on apprend qu'un imposant défilé parti de la Basse-Ville (rue Dalhousie) avait traversé toute la Haute-Ville anglo-protestante, sous les yeux ébahis des résidants «d'une autre foi et d'une autre langue», pour se rendre à l'inauguration de l'église St-François d'Assise. Quelle fut en effet leur stupeur en voyant parader des fanfares, des corps de clairons, un régiment de zouaves pontificaux d'Ottawa, des membres de la Garde indépendante Champlain (organisation paramilitaire), et des centaines «d'hommes» sous les drapeaux de la France et du Royaume-Uni...
Parmi les dignitaires présents à la messe inaugurale et au banquet, on notait la présence, entre autres, de Wilfrid Laurier, du juge en chef de la Cour suprême Sir Charles Fitzpatrick (de la ville de Québec), du recteur de l'Université d'Ottawa, le père Rhéaume (Oblat) ainsi que du maire d'Ottawa, Nelson Porter. Henri Bourassa devait y être mais fut incapable de s'y rendre. Cette paroisse a occupé une place de choix au sein de la Franco-Ontarie et du Canada français. À preuve, l'une des réunions de fondation de la Patente (Ordre de Jacques-Cartier) a eu lieu au sous-sol de l'église St-François d'Assise en 1926.
Jusqu'aux années 1950, à un moment de l'histoire où l'immense majorité des Canadiens français étaient catholiques et pratiquants, les imposants clochers de St-François étaient devenus lieu de ralliement pour des dizaines d'organisations religieuses et patriotiques, du Tiers-Ordre aux Enfants de Marie, des scouts et guides aux zouaves pontificaux, de la société Saint-Jean Baptiste à l'AJFO (jeunesse franco-ontarienne)... Quiconque a assisté ou participé, comme moi, aux processions de la Fête-Dieu se souvient d'un défilé interminable dans des rues où les maisons étaient pavoisées de drapeaux du Sacré-Coeur et du Saint-Siège, et où les trottoirs étaient bondés.
La paroisse comptait pas moins de cinq écoles primaires et secondaires de langue française durant son âge d'or (sans compter l'école St-Gérard, pas loin). À partir de 1952, avec la construction adjacente du complexe fédéral du pré Tunney où allaient travailler (en anglais bien sûr) des milliers de fonctionnaires, le secteur est devenu attrayant pour qui préférait vivre près de son boulot. Le tissu social canadien-français s'est disloqué en quelques décennies sous l'assaut d'un immobilier en hausse et de nouveaux blocs d'appartements. En 2025, dans des rues qui parfois ressemblent à celles du passé, on n'entend que l'anglais.
Aux universitaires indifférents, qui n'ont d'yeux que pour l'ethnocide de la Basse-Ville, je lance un appel. Les clochers de Saint-François d'Assise sont bien plus qu'un monument à la mémoire de ce qui fut. L'agonie de ce quartier jadis francophone aide à comprendre le déclin et la disparition de TOUS les quartiers urbains franco-ontariens au cours du dernier demi-siècle. Il serait dommage que les derniers soubresauts de mon ancienne paroisse, de son église, de ses écoles et de sa vie communautaire se limitent à des échanges (en anglais) entre les vieux résidents du quartier dans quelques pages Facebook...
Si rien ne se fait, il n'y aura bientôt plus de mémoires vivantes de ce quartier francophone d'Ottawa, et presque aucune documentation digne de ce nom. C'est le temps ou jamais de préserver ce qui peut l'être. Sinon, d'ici 20 ou 30 ans, nous n'aurons jamais existé...
![]() |
Jeunes filles de l'école St-Gérard en 1917, portant un costume d'écolières belges... |
![]() |
L'église Saint-François d'Assise, à Ottawa |
![]() |
Les ténors fédéralistes le claironnent sans interruption depuis le début de la guerre économique déclenchée par Trump et sa bande contre le Canada (et bien d'autres pays). Devant les agressions tarifaires et une multiplication de menaces d'annexion, on invite sans cesse les Québécois à soutenir le gouvernement fédéral pour présenter un front uni face à l'ami-devenu-ennemi en ce printemps 2025.
Les libéraux de Mark Carney (presque tous d'anciens libéraux de Justin Trudeau) se présentent comme un parti du changement (incroyable!) et veulent un mandat majoritaire pour gérer la crise. Pierre Poilièvre et ses conservateurs, sûrs jusqu'à récemment d'obtenir facilement une majorité aux Communes, veulent nous faire croire eux aussi que le Québec et le Canada peuvent résister avec plus de force à Trump en s'appuyant sur un parti majoritaire (le leur bien sûr!) au Parlement.
C'est de la bouillie pour les chats! Une variante des mêmes vieilles rengaines sifflotées par Chrétien, Harper et Trudeau depuis les années 1990 pour affaiblir le Bloc québécois et, par ricochet, le mouvement indépendantiste au Québec. Justin Trudeau a-t-il eu besoin d'une majorité aux Communes pour riposter avec beaucoup de fermeté aux taloches du gouvernement Trump entre janvier et mars? Non!
Et son successeur, que ce soit Carney ou Poilièvre, ou quiconque, sait qu'en face de Trump un gouvernement minoritaire n'aurait aucune difficulté à faire front commun avec les partis d'opposition (sauf Maxime Bernier...). Le Bloc québécois est un chef de file dans la résistance anti-Trump et serait un allié sûr du Canada dans la mesure où les droits du Québec seraient respectés.
On nous dira, comme on le fait toujours, comme si cela allait de soi, que les Québécois ont avantage à élire un député du parti au pouvoir, plutôt qu'un député dans l'Opposition. Et comme le Bloc sera toujours par définition exclu du pouvoir à Ottawa, libéraux et conservateurs (et néo-démocrates) tenteront de nous convaincre qu'un vote pour le BQ est un vote gaspillé. Surtout en situation de crise existentielle.
Un mythe pernicieux et tenace
Voilà l'un des mythes les plus pernicieux et les plus tenaces de l'histoire du Québec et du Canada. La réalité, la vraie, c'est que le Québec francophone forme 20% de la population du Canada, et que ce 20%, même en bloc, ne peut rien contre l'écrasante majorité anglaise. Le Bloc québécois n'aura jamais le droit de décider de quoi que ce soit au Parlement avec un potentiel de 50 à 60 députés. Mais ce ne sera pas mieux pour les Québécois élus sous les bannières Carney et Poilièvre, qui se retrouveront minoritaires dans leur formation et soumis à la rigide discipline de leur parti.
Prenons un exemple opportun: la laïcité au Québec et, notamment, la contestation judiciaire du Projet de loi 21. Supposons pour un instant, même si cela apparaît improbable, qu'un candidat libéral appuie la démarche actuelle du Québec et le principe de laïcité de l'État. Il serait obligé de se taire durant la campagne électorale pour ne pas se désolidariser du parti, qui a déjà annoncé son intention de se joindre aux opposants de la laïcité en Cour suprême. Après son élection, il pourrait toujours tenter de faire valoir ses positions à huis clos au sein de son caucus mais se ferait rappeler à l'ordre par une majorité hostile. Et on le réduirait au silence aux Communes...
La liberté de parler «haut et fort»
Cette leçon vite apprise servirait à chaque fois (y compris face à Trump) que les enjeux du Québec sont à l'ordre du jour. La gestion de l'offre. L'aluminium. La francophonie. Le projet de loi 96. Les empiétements fédéraux. L'immigration. La liste est interminable. Les intérêts du Canada anglais seront toujours défendus par une députation majoritaire. Ces députés auront toujours le pouvoir décisionnel, et aussi le droit de faire taire leurs collègues québécois francophones de l'arrière-ban. Ces derniers devront écouter les ministres de leur parti attaquer le Québec en Chambre, baisser la tête... et même applaudir pour la forme. Voilà comment les choses se passent.
Un député du Bloc québécois, par contre, sera libre de crier haut et fort son appui aux revendications québécoises... et à la francophonie canadienne, souvent laissée pour compte. Son allégeance première ne va pas à la trinité Mark Carney-Mary Simon-Charles III ou à «l'identité canadienne» qui a désormais son propre ministre au cabinet Carney, mais au peuple québécois dont il devient porte-étendard. Il exprimera sans réserve - et en français! - les positions et valeurs que Québec défendrait s'il exerçait souverainement les pouvoirs accaparés par Ottawa en 1867 et en 1982. Ces voix québécoises ne seraient jamais (disons rarement...) entendues à la Chambre des communes si la députation du Québec, minoritaire, était soumise à la discipline du Parti libéral, du Parti conservateur ou même du NPD. C'était la situation avant 1993.
Pourquoi élire des candidats opposés aux revendications du Québec?
Pourquoi diable faudrait-il élire des candidats de partis qui combattront la laïcité québécoise devant des juges fédéraux à la Cour suprême, de partis qui financent depuis plus de 50 ans les groupes anglo-québécois oeuvrant par tous les moyens au sabotage de la francisation de l'État et de la société québécoise, au lieu d'appuyer les alliés du Québec au Bloc québécois. Pourquoi faudrait-il voter pour des candidats qui, une fois élus, seront minoritaires au sein de leur formation et réduits au silence au Parlement, soit par solidarité ministérielle, soit sous l'autorité des responsables de la discipline du parti. La parole québécoise serait trahie et emprisonnée.
J'accepte - nous n'avons guère le choix - que nous soyons minoritaires à la Chambre des communes, à Ottawa. Démocratie et démographie font ici la loi. Avec raison. Alors s'il faut, en attendant l'indépendance, se soumettre à la majorité anglo-canadienne au Parlement fédéral, j'aime autant que nos élus soient libres de parler, libres de faire entendre en français au pays tout entier les voix de ceux et celles, qui, un jour, se donneront un pays à leur image et qui, entre-temps, resteront alliés indéfectibles du Canada anglais dans cet affrontement contre l'axe du mal qui règne à Washington depuis le 20 janvier 2025. Voilà l'importance du Bloc québécois!
-------------------------------
Voir aussi mon texte du 1er septembre 2021 - Pourquoi voter pour le Bloc Québécois? - https://lettresdufront1.blogspot.com/2021/09/pourquoi-voter-pour-le-bloc.html