mardi 22 juillet 2025

Université franco-ontarienne: sources médiatiques polluées

article du journal Le Droit du 2 décembre 2013, bien plus fidèle aux faits

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Si les médias diffusent une fausseté assez longtemps, elle finira par devenir vérité, tant pour le public que pour les journalistes. Ainsi en va-t-il de la saga interminable du projet d'université franco-ontarienne qui va et vient dans le décor de puis plus d'un demi-siècle.

La plus récente mouture, et la plus cohérente oserais-je dire, avait été lancée au début des années 2010 par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO). Cet organisme regroupant les étudiants francophones du collégial et de l'universitaire, rapidement soutenu par la FESFO (élèves du secondaire franco-ontarien) et l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario), réclamait une gouvernance francophone de tous les programmes collégiaux et universitaires de langue française.

Cette gouvernance, s'appuyant sur le principe du «par et pour les francophones» affirmé par la Cour suprême dans l'affaire Mahé en 1990, était au coeur des priorités élaborées lors des États généraux du postsecondaire tenus à travers l'Ontario en 2013. Bien sûr, il fallait colmater des brèches régionales (notamment dans le sud-ouest ontarien), sans toutefois porter atteinte à l'objectif global d'une gouvernance pan-ontarienne, y compris - et surtout - sur les programmes de langue française des deux monstres bilingues, l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne.

Ce grand projet d'université franco-ontarienne a été torpillé par le gouvernement libéral de Mme Wynne en 2015 dans des circonstances qui restent encore aujourd'hui à éclaircir. Le résultat, cependant, fut un micro-campus de langue française à Toronto qu'on a pompeusement baptisé Université de l'Ontario français. Depuis ce temps, on tente un peu partout de faire croire que ce campus constitue la victoire recherchée par le RÉFO et ses alliés. Encore récemment (voir lien à l'article du 20 juillet dans Le Droit en bas de page), l'analyste Sébastien Pierroz écrit: 

Je ne blâme pas ce journaliste plus que les autres, s'abreuvant aux mêmes sources médiatiques polluées. Pour la nième fois, je me permets de rappeler mon texte de blogue de janvier 2020 (voir lien en bas de page), publié après l'annonce d'un financement fédéral-provincial pour la soi-disant Université de l'Ontario français à Toronto...

L'annonce d'États généraux de la francophonie ontarienne constitue une bonne nouvelle en soi. Il est grand temps. Mais les chances de réussite sont faibles ou nulles si on continue de se raconter des histoires comme celles que colportent les médias sur l'Université de l'Ontario français. Le projet d'université franco-ontarienne couve toujours sous les braises. Avec la renaissance de l'Université de Sudbury, il pourrait de nouveau s'enflammer.

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Lien à l'article du Droit intitulé «Un grand dialogue franco-ontarien se pointe è l'horizon», 20 juillet 2025 - https://www.ledroit.com/chroniques/sebastien-pierroz/2025/07/20/un-grand-dialogue-franco-ontarien-se-pointe-a-lhorizon-3VQ37P4OZBDRRHBQUVAAAF3LMM/

Lien à mon texte de blogue du 24 janvier 2020 intitulé «Université de l'Ontario français: un mensonge historique» - https://lettresdufront1.blogspot.com/2020/01/universite-de-lontario-francais-un.html


vendredi 11 juillet 2025

Le déclin du Moulin-à-Fleur de Sudbury



J'écris depuis des années que la disparition de tous les territoires urbains à majorité francophone depuis les années 1960 constitue l'un des plus grands drames de l'Ontario français. Privés de leurs quartiers historiques, les Franco-Ontariens des villes (Ottawa, Sudbury, Cornwall, Welland, Windsor, etc.) doivent partout composer avec des majorités anglophones. Il en est résulté une accélération appréciable de l'anglicisation, qui frôle aujourd'hui le point de non-retour. Trop de chercheurs ne semblent pas comprendre l'importance de ce phénomène, et n'en tirent pas les conclusions qui s'imposent.

J'ai repensé à tout cela en lisant attentivement le livre Le Moulin-à-Fleur de Sudbury; quartier ouvrier, territoire canadien-français, publié cette année aux Presses de l'Université d'Ottawa par l'historien Serge Dupuis et le psychiatre Normand Carrey. Ce type d'étude ne figurera jamais aux palmarès des meilleurs vendeurs en librairie, et c'est bien dommage. Sur 320 pages on y voyage dans le temps, depuis la fin du 19e siècle aux années 2020, avec ces milliers de Canadiens français qui s'étaient acharnés à transplanter dans la région de Sudbury leurs us et coutumes du grand bassin du Saint-Laurent..

S'appuyant beaucoup sur des archives médiatiques ainsi que des interviews et un sondage d'anciens résidents du quartier Moulin-à-fleur de Sudbury, l'oeuvre de MM. Dupuis et Carrey nous plonge dans la vie quotidienne des gens autant que dans l'évolution du cadre religieux, scolaire et municipal dans lequel ils ont vécu. Mais il déborde parfois pour effleurer les dossiers plus généraux de la résistance linguistique franco-ontarienne, ainsi que l'importance de la territorialité pour assurer la pérennité du français dans une province hostile qui interdit à partir de 1912 (règlement 17) l'enseignement du français après la 2e année du primaire dans les écoles ontariennes.

Évoquant les recherches des historiens Fernand Ouellet et Gaétan Gervais, les auteurs rappellent qu'au recensement de 1911 (l'année précédant la mise en oeuvre du règlement 17), un peu plus de 61% des 202 000 Franco-Ontariens étaient unilingues français. Regroupés en grande majorité sur des territoires ruraux mais aussi urbains où elles formaient des majorités souvent homogènes, ces collectivités pouvaient, pour la plupart, vivre en français sans avoir à devenir bilingues. Les Canadiens français formaient ainsi en Ontario une «minorité nationale» viable et relativement autonome, avec une centaine de paroisses francophones et 200 écoles franco-ontariennes.

C'est dans cette mouvance qu'avait pris forme le quartier Moulin-à-fleur de la ville minière de Sudbury. Un territoire où des milliers de Franco-Ontariens se sentent chez eux. «En effet, des décennies 1910 à 1960, environ 80% de ses résidents sont de langue maternelle française, 90% sont catholiques et une proportion semblable appartient à la classe ouvrière», rapporte-t-on. Un peu comme le quartier de la Basse-Ville, à Ottawa. Les francophones s'y reconnaissent, et les anglophones des autres quartiers le voient comme le secteur canadien-français de la ville. Un territoire où le français est la langue de la rue, la langue d'intégration, la langue que l'on transmet d'une génération à l'autre. Un point d'appui culturel (et institutionnel) pour les petites municipalités francophones rurales à l'ouest du lac Nipissing.

L'érosion s'est faite lentement au départ, avec l'imposition du règlement 17 qui, même combattu, souvent avec succès, a contribué à bilinguiser les jeunes générations franco-ontariennes. L'émergence d'une classe moyenne et d'une élite bourgeoise a favorisé un certain éparpillement de francophones dans les quartiers à majorité anglaise. Puis, avec les années 1960, des «rénovations urbaines» de tous genres, petites et grandes, n'ayant aucun égard pour le tissu social et culturel des populations touchées, ont contribué à disloquer les communautés traditionnelles. À Sudbury et encore davantage à Ottawa.

«Dans le Moulin-à-fleur, expliquent MM. Dupuis et Carrey, la population de langue française s'élevait toujours au-dessus de 70% en 1971, mais elle a baissé à 56% en 1986, puis à 32% en 2011.» Les conséquences sont dramatiques pour la francophonie sudburoise, comme elles l'ont été pour les Franco-Ontariens de la Basse-Ville, de Vanier et de mon quartier de St-François d'Assise à Ottawa. Le sommet de la pyramide de l'Ontario français se trouvait décapité.

Les auteurs ont fort bien saisi cette dynamique. «Alors que, historiquement, le quartier (Moulin-à-fleur) permettait aux ouvriers et aux familles de vivre en français au quotidien et c'était à l'élite professionnelle de maîtriser les codes en anglais, l'équation semble s'être renversée depuis les années 1970; l'érosion d'un territoire majoritairement francophone a privé plusieurs familles ouvrières d'un espace de vie qui n'est pas anglo-dominant.»

Ce phénomène, qui peine à percer dans les savantes études sur l'état des minorités franco-canadiennes, semble avoir bien capté l'attention de Serge Dupuis et Normand Carrey. «L'existence de quartiers francophones en milieu minoritaire contribue à accroître la présence du français dans l'espace urbain et, par ricochet, à cultiver un sentiment d'appartenance chez les jeunes familles qui pourraient voir la langue française comme une langue du quotidien, dotée d'une "présence naturelle"qui appartient au présent et à l'avenir.»

L'effet glacial est mesuré par Statistique Canada: un taux d'anglicisation d'environ 20% des Franco-Sudburois en 1971 (et probablement moins dans le Moulin-à-fleur où les francophones étaient majoritaires à 70%), contre un taux d'anglicisation de plus de 55% au recensement de 2021. Et la proportion de personnes ayant le français comme langue d'usage (langue la plus souvent parlée à la maison) a chuté de 21,5% en 1971 dans l'ancienne ville de Sudbury (26,4% pour le Grand Sudbury) à 8,4% (11,7% pour le Grand Sudbury) en 2021. En chute libre! Comme à Ottawa, Cornwall, Welland, Windsor... 

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Serge Dupuis et Normand Carrey,  Le Moulin-à-Fleur de Sudbury, quartier ouvrier, territoire canadien-français, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 2025


lundi 7 juillet 2025

Vivre en français à Cornwall?



Quand j'ai lu la manchette de la Une du Devoir ce matin 7 juillet 2025 (l'édition papier que je reçois à la maison), j'ai sursauté. «Choisir l'Ontario pour vivre en français». Décision pour le moins étrange. Un peu comme cibler le mont Everest pour faire ses débuts en alpinisme. 

Après avoir lu attentivement le texte de leur journaliste Mathilde Beaulieu-Lépine, portant sur une famille camerounaise francophone installée à Cornwall, dans l'Est ontarien, je me suis rendu compte que finalement, le titre qui coiffe l'article était faux.

Non pas qu'il soit absolument impossible de «vivre en français» à Cornwall... On pourrait sans doute y arriver avec beaucoup d'efforts et une persévérance sans borne dans cette ville où les personnes ayant le français comme langue d'usage forment désormais une mini-minorité. 

Mais ce n'était pas l'objectif de la famille de Jeanne Edwige Ango Mguiamba. «Je voulais m'intégrer à la société anglophone aussi, mais sans toutefois perdre la culture française», explique-t-elle au Devoir. Jeanne s'est même inscrite à des cours d'anglais. Elle envoie sa fille à l'école française, tout en étant convaincue qu'elle «va apprendre l'anglais, parce qu'on a une communauté anglophone ici».

Elle résume ainsi: «Je voudrais vraiment que mes enfants soient bilingues, et moi également.» Rien pour justifier le titre de la une du journal...

Au fond, elle tente de faire ce que tentent de faire les Franco-Ontariens de souche depuis plus d'un siècle avec un taux de succès désormais en chute libre: devenir bilingues en conservant la langue française comme marqueur identitaire principal. À cet égard, Cornwall pourrait constituer d'ailleurs un cas type en Ontario, où tous les anciens territoires urbains francophones sont disparus au cours du dernier demi-siècle.

Au recensement de 1971, on rapporte que les personnes «de langue maternelle française» forment près de 42% de la population de Cornwall, tandis que la proportion des personnes de langue d'usage française (langue la plus souvent parlée à la maison) dépasse 31%. En 2021, les francophones (langue maternelle) ne sont plus que 21,5% de la population totale (et non près de 30% comme l'écrit Le Devoir), à peine 9% selon le critère plus pertinent de la langue d'usage.

Le taux d'anglicisation des francophones de Cornwall est catastrophique. Supérieur à 50%. Hors de l'école et du foyer (et encore...), les francophones vivent à toutes fins utiles en anglais dans cette ville qui se veut bilingue. S'il y a déjà eu à Cornwall un quartier majoritairement francophone, il n'existe plus en 2025. La proportion d'anglophones (recensement de de 2021) dépasse les 75% selon les chiffres de langue maternelle (Le Devoir dit «plus de 60%) et atteint 86% selon le critère de la langue d'usage.

Je ne doute pas qu'il existe toujours quelques milliers de vrais francophones à Cornwall qui font leur possible pour protéger et promouvoir la langue française dans «un combat par trop inégal» (citation d'Omer Latour*, Presses de l'Université d'Ottawa, 1981). Mais ils vivent dans un univers médiatique anglais, dans des quartiers et des rues commerciales anglophones, dans un milieu institutionnel anglo-dominant, et font face à un gouvernement insensible, voire hostile.

Les élèves du secondaire ont dû se battre et même aller en grève en 1973 pour obtenir une école française bien à eux. La seule de la ville. Aujourd'hui, leurs petits-enfants luttent pour obtenir des locaux moins vétustes et plus grands. Leur conseil scolaire a demandé au ministère ontarien de l'Éducation des fonds pour une nouvelle construction. Le gouvernement Ford a dit non... C'est toujours la même chose...

L'arrivée d'immigrants francophones ne changera rien à la dynamique linguistique centenaire. Après une génération, ils s'angliciseront au même rythme que les anciens Franco-Ontariens. Il n'y a d'ailleurs que que 500 000 francophones en Ontario, et non 600 000 comme l'écrit Le Devoir. Selon le critère de la langue d'usage, ils sont moins de 300 000...

Je me réjouis que Le Devoir s'intéresse à la francophonie hors Québec. Et les trois textes d'aujourd'hui sur Cornwall offrent aux Franco-Ontariens un débouché qu'ils n'avaient plus avec la disparition des anciens quotidiens et hebdos de langue française dans l'Est ontarien. Mais le portrait des forces en présence est incomplet et inexact.

C'est important. Pour la francophonie ontarienne, qui ne pourra rien corriger avec des lunettes roses. Pour les Québécois aussi, qui doivent comprendre que ce qui arrive aux Franco-Ontariens leur arrivera un jour (c'est déjà commencé) à moins d'agir maintenant pour assurer l'avenir de la langue française au sein même du vaisseau amiral de la francophonie nord-américaine.

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* Omer Latour, Une bande de caves, Les Éditions de l'Université d'Ottawa, 1981 - voir aussi https://pierreyallard.blogspot.com/2014/02/bande-de-caves.html


jeudi 19 juin 2025

Quand un média d'information dissimule l'information...


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Obfuscation (emprunt de l'anglais): énonciation d'une affirmation fausse ou imprécise de manière à dissimuler l'information pertinente.

L'ancien premier ministre québécois Robert Bourassa en était maître. On lui posait une question, puis on pouvait écouter sa réponse quatre ou cinq fois pour tenter d'en saisir le sens.

L'ancien président Richard Nixon avait lui aussi maîtrisé la technique de brouiller les messages parlés ou écrits. On avait même inventé le terme «nixonspeak» pour le caractériser.

Évidemment, que des politiciens pratiquent l'art de l'obfuscation ne surprendra personne.

Il n'en va pas de même pour les médias d'information. Ayant pour mission de rapporter et décoder les faits, une entreprise de presse qui les fausse, les obscurcit ou les cache commet un péché mortel.

Et pourtant, cela ne semble pas déranger les dirigeants de nos entreprises de presse ces jours-ci. Depuis plusieurs décennies dans certains cas...

Mais tenons-nous en au temps présent. Je lisais ce 9 juin un «mot de l'éditeur» sur le site Web Le Droit. Un texte qui commence bien mal, tenant compte qu'il n'y a plus d'éditeur au Droit. Le message est signé par le directeur général de l'organisation médiatique, François Carrier.

J'attendais cette communication depuis au moins quelques jours, sachant que la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie avait quitté l'équipe (pas de son propre gré) le 7 juin. Un départ médiatisé par Le Devoir, Radio-Canada et ONFR, mais pas dans les pages du Droit.

L'annonce du départ de Mme Lortie s'accompagnait de la révélation qu'elle ne serait pas remplacée, le rédacteur en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières devenant responsable de la rédaction du Droit en plus de la sienne. Cette nouvelle a été confirmée par M. Carrier et commentée par Mme Lortie, qui a parlé de «restructuration».

Le président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, Fabien Hébert, s'est inquiété de voir un poste de direction si important confié à une personne qui ne connaît pas l'Outaouais et l'Ontario. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec craint «un effet négatif».

La table était mise pour une défense par le siège social des Coops de l'information (à Québec) ou par le d.g. du Droit de ces décisions et de leur effet appréhendé: une explication du départ, de l'abolition du poste de rédacteur en chef, une réponse aux appréhensions exprimées par l'AFO, la FPJQ et, sans doute, une partie du lectorat.

Puis vint l'obfuscation...

Et voilà que paraît, enfin, le 9 juin, deux jours après le départ de la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie, un texte signé par le d.g. François Carrier sur le site Web du Droit (voir lien en bas de page). Pas un mot sur Mme Lortie. Pas d'explication. Pas de remerciement pour ses années de service. Pas de précision sur l'abolition du poste de rédacteur en chef ou une quelconque restructuration. Pas un mot sur la direction bicéphale confiée au rédacteur en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières. Pas de réponse aux craintes exprimées par l'AFO et la FPJQ. 

Le message du directeur général (présenté comme un texte de nouvelles par ailleurs) commence ainsi: «La production journalistique du Droit est fondamentale pour le développement de notre région et la santé de sa francophonie». Après avoir endossé des coupes draconiennes dans les effectifs de rédaction depuis des décennies, une telle déclaration de la direction du Droit suinte de cynisme.

Ce propos plutôt dénué de fondement (du moins pour le développement régional) sert de préambule à l'annonce de la création d'un poste de journaliste dans l'Est ontarien (la région entre Ottawa et la frontière du Québec au nord et au sud de la 417) et au rappel de la création en Outaouais d'un poste de rédaction dans «la région de Papineau», une appellation plutôt étrange pour un territoire qui couvre surtout la Petite-Nation.

Ce qu'on ne dit pas, c'est que ces postes existaient autrefois et qu'on les avaient abolis. C'est donc un retour et non une innovation. Le paragraphe se termine avec une prédiction aussi nébuleuse qu'optimiste: «D'autres (postes) devraient s'ajouter sous peu.» Combien? Quand? Où? Pour combien de temps? «Le Droit est là pour rester» assure M. Carrier. C'est bon de l'entendre, mais...

Ces «nouvelles recrues», lit-on, pourront compter «au cours des prochains mois» sur l'encadrement d'un ancien rédacteur en chef du Droit, Patrice Gaudreault. Une affectation temporaire, donc, durant laquelle il portera le titre bizarre de «chef d'équipe aux contenus du Droit». J'ai beau me gratter la tête, j'ai de la difficulté à comprendre ce que fera un «chef d'équipe aux contenus» quand on a déjà en poste un «coordonnateur à l'information» (autre titre nébuleux), Jean-François Dugas. Ce dernier a, en plus, un adjoint, Patrick Woodbury.

«C"est ce trio, dit M. Carrier, qui prendra l'ensemble des décisions rédactionnelles touchant l'actualité de l'Outaouais et de l'Ontario français». Voilà une affirmation qui mériterait éclaircissement. Leur mandat inclut-il la rédaction publicitaire, comme celle d'un magazine spécial pour le 50e anniversaire du Festival franco-ontarien (12 au 14 juin 2025) et de magazines subséquents en collaboration avec la Chambre de commerce de Gatineau?

Petit à-côté... Toutes ces gens qui ne jurent que par le numérique, qui ne s'ennuient pas de l'imprimé, ont décidé de produire une version papier du magazine sur le Festival franco-ontarien. On se demande bien pourquoi, tout en s'en réjouissant.

Notons enfin que le texte de M. Carrier est suivi d'un encadré intitulé «Soutenez l'information locale» remplie d'information fausse. «Le Droit, c'est une coopérative de solidarité appartenant à ses employés»: c'est faux, la coopérative Le Droit a été dissoute, comme celle des autres anciens journaux régionaux. Il ne reste qu'une coopérative nationale. On invite ensuite les lecteurs à faire «un don à notre coopérative (locale)», qui n'existe plus...

Misère...

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Lien au texte du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2025/06/10/du-nouveau-pour-emle-droitem-TPQ6JMNKOBAKVABJKKWN32PAV4/




mercredi 18 juin 2025

Le cheval de Troie fédéral...

capture d'écran du projet de loi C-5

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Je ne suis pas juriste. Je ne suis pas constitutionnaliste. Je ne suis pas un de ces experts qu'on interviewe à la télé. Mais je sais lire. J'ai longuement étudié le fédéralisme canadien à l'université. Et j'ai une cinquantaine d'années d'expérience comme journaliste. Cela me donne, je crois, le droit de m'aventurer prudemment en droit constitutionnel.

Le Québec forme une nation, reconnue même par la Chambre des communes à Ottawa. Nous avons une Assemblée «nationale». Une capitale nationale. Des parcs nationaux. Une fête nationale. Notre premier ministre, François Legault, s'est souvent présenté comme «chef de la nation québécoise». Jusque là, ça va?

Mais qu'en est-il de la reconnaissance juridique et constitutionnelle de notre nation à l'extérieur des frontières du Québec? Cherchez dans les lois fédérales et les jugements des tribunaux. Vous allez revenir les mains vides. Pour la Cour suprême du Canada, ultime arbitre judiciaire de la question, s'appuyant toujours sur la Charte des longs couteaux de 1982 et l'AANB (loi britannique de 1867), le Québec n'est qu'une province. Une région. Parfois une localité. Maintenant. Toujours!

Pour ces juges fédéraux, «l'intérêt national», ce ne peut être que l'intérêt de l'ensemble du Canada. Une lecture du jugement de 2011 de la Cour suprême sur le valeurs mobilières suffira à vous convaincre. Seul Ottawa adopte des lois «nationales». Selon nos suprêmes, les compétences dites «provinciales (incluant celles du Québec» contiennent uniquement des «matières locales». Par définition, une loi provinciale, même provenant de l'Assemblée nationale du Québec, n'est jamais nationale!!! Ainsi l'Autorité des marchés financiers, organisme national au Québec, existe sur le plan constitutionnel canadien comme une affaire purement «locale».

Vous direz qu'il s'agit là tout simplement d'un différend verbal sans importance. Mais non! L'expression «intérêt national» a acquis ces dernières années un poids politique et juridique qui pourrait s'avérer décisif. Dans son jugement sur la taxe carbone en 2021, la Cour suprême explique que la théorie de «l'intérêt national» découle des pouvoirs résiduels laissés au fédéral par l'article 91 de l'AANB. 

Son emploi par Ottawa est rare (jusqu'à maintenant) et scruté à la loupe par les tribunaux, mais son effet est foudroyant. «L'effet de la reconnaissance d'une matière en tant que matière d'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement (fédéral) sur cette matière», écrivent les juges suprêmes. Vous savez comme moi que les décisions de la Cour suprême sont sans appel. En invoquant «l'intérêt national», Ottawa a désormais le pouvoir d'envahir à volonté les champs de compétence du Québec.

Vous pensez que les fédéraux n'en sont pas conscients? Que ceux qui ont inventé une insurrection en octobre 1970 pour nous envoyer l'armée, qui ont fomenté un coup d'État dans la cuisine du Château Laurier en 1981, qui ont sorti leurs sales tactiques pour torpiller le référendum de 1995, qui ont adopté une loi pour nous dire quelle question poser au prochain référendum et quelle majorité sera considérée acceptable, qui traînent encore aujourd'hui nos lois identitaires devant leurs juges suprêmes, vous croyez que ces gens ne lisent pas les décisions des tribunaux?

Et quoi de mieux qu'une crise déclenchée par le président fou des États-Unis pour relancer avec plus de force, jusque dans une grosse, grosse loi, le concept de «l'intérêt national». Lisez bien le projet de loi C-5 que l'on adoptera ces jours-ci sous le bâillon. Sa deuxième partie s'intitule «Loi visant à bâtir le Canada» (sic) et son principal sous-titre se lit comme suit : «Projets d'intérêt national». Je n'ai jamais auparavant vu de titre ou de sous-titre de loi fédérale traitant de «l'intérêt national». Est-ce une première dans l'histoire du pays?

Avec mes faibles moyens, j'ai effectué une recherche sur Internet et consulté quelques volumes sur le fédéralisme canadien sans trouver quoi que ce soit. Alors j'ai commis un péché mortel. J'ai interrogé l'intelligence artificielle de X-Twitter en lui demandant: «Au Parlement du Canada, y a-t-il déjà eu une loi ayant "intérêt national" dans le titre ou un sous-titre?» Voici sa réponse, sous toute réserve: «Aucune loi adoptée par le Parlement du Canada n'a inclus les mots "intérêt national" dans son titre ou sous-titre, selon les informations disponibles sur le site LEGISinfo du Parlement du Canada et d'autres sources législatives pertinentes», en soulignant que les archives numériques avant 2002 «peuvent être incomplètes».

Si ce n'est pas une première (ce l'est peut-être), c'est tout de même exceptionnel. Croyez-vous qu'il s'agit d'un hasard, alors que la Cour suprême, en 2021, a ouvert les vannes constitutionnelles à un envahissement des compétences «provinciales» via la théorie de «l'intérêt national»? Et quels sont ces grands projets d'intérêt national pour lesquels on crée une loi spéciale adoptée sous le bâillon? On nous dit d'aller voir l'annexe 1 où... aucun projet n'apparaît! La «liste» est vide. On ajoutera des projets au fur et à mesure, après l'adoption du projet de loi C-5. Et qui décidera de tous ces projets à placer sous juridiction fédérale, en fin de compte? Ottawa bien sûr!

Cette loi est un cheval de Troie fédéral imaginé par la Cour suprême, envoyé au combat de toute urgence par Mark Carney et ses sbires et ses collabos, y compris les 44 députés libéraux du Québec (les conservateurs itou) et apparemment, le «chef de la nation» québécoise, François Legault, qui a endossé la déclaration commune des premiers ministres fédéral, provinciaux et territoriaux à Saskatoon au début de juin, document qui insistait sur l'urgence de procéder à la mise en oeuvre rapide de grands projets «d'intérêt national». S'il a omis de souligner publiquement l'existence d'un autre «intérêt national», celui du Québec, et surtout de le défendre, M. Legault a trahi ses engagements comme «chef de la nation».

Le Bloc élèvera-t-il le ton à la Chambre des communes pour dénoncer cet «intérêt national» canadien qui nie l'existence et la légitimité constitutionnelle d'un «intérêt national» québécois? Le Parti québécois fera-t-il de même au cours des prochains jours? Ou mangera-t-on en silence cette pomme empoisonnée?


dimanche 15 juin 2025

On va payer cher l'envoi de 44 députés libéraux à Ottawa...

Yves-François Blanchet aux Communes (photo Presse canadienne)

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Ça recommence! On va payer cher l'envoi à Ottawa de 44 députés libéraux et la perte d'une dizaine de circonscriptions bloquistes! À tous ceux et celles qui s'interrogeaient sur l'utilité du Bloc québécois au Parlement, je me permets de sortir des boules à mite cet extrait d'un billet de novembre 2011 sur mon blogue, texte qui faisait écho à un de mes éditoriaux au quotidien Le Droit paru quelques mois plus tôt.

Le Bloc venait de manger la claque avec l'élection au Canada d'un gouvernement conservateur majoritaire (Stephen Harper) et au Québec d'une soixantaine de députés néo-démocrates transportés par la vague Layton. Il ne restait que quatre circonscriptions bloquistes et nombre de commentateurs de la scène politique creusaient la tombe du Bloc qui, croyait-on, avait fait son temps et ne servirait plus à grand chose...

Voyant là une erreur et un manque de vision, j'y suis allé de mon grain de poivre:

«Je vous convie au prochain débat important qui opposera le Québec au reste du pays, ou opposant les francophones à la majorité anglo-canadienne. Quand le gouvernement en place - qu'il soit conservateur, libéral ou néo-démocrate - nous opposera une fin de non-recevoir, il dira au Québec: voyez, nous avons sur nos bancs des dizaines de députés que vous avez élus sous notre bannière. Ils ont la même légitimité que les députés de l'Assemblée nationale du Québec. Trudeau (père), Chrétien et les autres ont fait ça souvent depuis les années soixante. Avec une majorité de députés du Bloc québécois aux Communes, ils n'avaient plus ce luxe.»

Avance rapide à juin 2025, où le nouveau premier ministre soi-disant «libéral» Mark Carney, ayant fait sien le programme de son adversaire Poilievre, s'apprête à sortir le bâillon pour faire adopter sous l'étendard de «l'intérêt national» (celui du Canada, pas celui du Québec) son projet de loi rouleau compresseur sur les grandes infrastructures, y compris les pipelines. Voici un extrait d'un texte de la Presse canadienne publié ce 12 juin à cet égard:

«Lors de la période des questions, la leader parlementaire du Bloc québécois, Christine Normandin, a accusé les libéraux de vouloir "gouverner par décret comme Donald Trump" à travers ce projet de loi qui ¨vide complètement de leur sens" les évaluations environnementales et qui menace les compétences du Québec.

«Le leader du gouvernement à la Chambre, Steven MacKinnon, lui a répondu que les Québécois ont élu 44 députés libéraux il y a seulement quelques semaines, soit le plus grand nombre "depuis "1980".

«Ils se sont tous présentés sous une plateforme libérale qui, à la première page, a parlé de la nécessité d'agir rapidement pour accélérer la croissance de notre pays, faire baisser les barrières entre les provinces et créer une seule économie canadienne, a-t-il dit. Nous agissons de façon démocratique.»

Et vlan! Que voulez-vous répondre à ça? Il a parfaitement raison! On a élu 44 libéraux pour qui «l'intérêt national» du Canada-à-majorité-anglophone passe avant «l'intérêt national» du Québec. De notre point de vue, des traîtres. Alors n'ayons pas l'air surpris qu'une fois au pouvoir, ils nous trahissent à la première occasion.

Si 44 députés du Bloc siégeaient aux Communes, nous n'en serions pas là...


mercredi 11 juin 2025

Quand un média d'information dissimule l'information...


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Obfuscation (emprunt de l'anglais): énonciation d'une affirmation fausse ou imprécise de manière à dissimuler l'information pertinente.

L'ancien premier ministre québécois Robert Bourassa en était maître. On lui posait une question, puis on pouvait écouter sa réponse quatre ou cinq fois pour tenter d'en saisir le sens.

L'ancien président Richard Nixon avait lui aussi maîtrisé la technique de brouiller les messages parlés ou écrits. On avait même inventé le terme «nixonspeak» pour le caractériser.

Évidemment, que des politiciens pratiquent l'art de l'obfuscation ne surprendra personne.

Il n'en va pas de même pour les médias d'information. Ayant pour mission de rapporter et décoder les faits, une entreprise de presse qui les fausse, les obscurcit ou les cache commet un péché mortel.

Et pourtant, cela ne semble pas déranger les dirigeants de nos entreprises de presse ces jours-ci. Depuis plusieurs décennies dans certains cas...

Mais tenons-nous en au temps présent. Je lisais ce 9 juin un «mot de l'éditeur» sur le site Web Le Droit. Un texte qui commence bien mal, tenant compte qu'il n'y a plus d'éditeur au Droit. Le message est signé par le directeur général de l'organisation médiatique, François Carrier.

J'attendais cette communication depuis au moins quelques jours, sachant que la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie avait quitté l'équipe (pas de son propre gré) le 7 juin. Un départ médiatisé par Le Devoir, Radio-Canada et ONFR, mais pas dans les pages du Droit.

L'annonce du départ de Mme Lortie s'accompagnait de la révélation qu'elle ne serait pas remplacée, la rédactrice en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières devenant responsable de la rédaction du Droit en plus de la sienne. Cette nouvelle a été confirmée par M. Carrier et commentée par Mme Lortie, qui a parlé de «restructuration».

Le président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, Fabien Hébert, s'est inquiété de voir un poste de direction si important confié à une personne qui ne connaît pas l'Outaouais et l'Ontario. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec craint «un effet négatif».

La table était mise pour une défense par le siège social des Coops de l'information (à Québec) ou par le d.g. du Droit de ces décisions et de leur effet appréhendé: une explication du départ, de l'abolition du poste de rédacteur en chef, une réponse aux appréhensions exprimées par l'AFO, la FPJQ et, sans doute, une partie du lectorat.

Puis vint l'obfuscation...

Et voilà que paraît, enfin, le 9 juin, deux jours après le départ de la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie, un texte signé par le d.g. François Carrier sur le site Web du Droit (voir lien en bas de page). Pas un mot sur Mme Lortie. Pas d'explication. Pas de remerciement pour ses années de service. Pas de précision sur l'abolition du poste de rédacteur en chef ou une quelconque restructuration. Pas un mot sur la direction bicéphale confiée au rédacteur en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières. Pas de réponse aux craintes exprimées par l'AFO et la FPJQ. 

Le message du directeur général (présenté comme un texte de nouvelles par ailleurs) commence ainsi: «La production journalistique du Droit est fondamentale pour le développement de notre région et la santé de sa francophonie». Après avoir endossé des coupes draconiennes dans les effectifs de rédaction depuis des décennies, une telle déclaration de la direction du Droit suinte de cynisme.

Ce propos plutôt dénué de fondement (du moins pour le développement régional) sert de préambule à l'annonce de la création d'un poste de journaliste dans l'Est ontarien (la région entre Ottawa et la frontière du Québec au nord et au sud de la 417) et au rappel de la création en Outaouais d'un poste de rédaction dans «la région de Papineau», une appellation plutôt étrange pour un territoire qui couvre surtout la Petite-Nation.

Ce qu'on ne dit pas, c'est que ces postes existaient autrefois et qu'on les avaient abolis. C'est donc un retour et non une innovation. Le paragraphe se termine avec une prédiction aussi nébuleuse qu'optimiste: «D'autres (postes) devraient s'ajouter sous peu.» Combien? Quand? Où? Pour combien de temps? «Le Droit est là pour rester» assure M. Carrier. C'est bon de l'entendre, mais...

Ces «nouvelles recrues», lit-on, pourront compter «au cours des prochains mois» sur l'encadrement d'un ancien rédacteur en chef du Droit, Patrice Gaudreault. Une affectation temporaire, donc, durant laquelle il portera le titre bizarre de «chef d'équipe aux contenus du Droit». J'ai beau me gratter la tête, j'ai de la difficulté à comprendre ce que fera un «chef d'équipe aux contenus» quand on a déjà en poste un «coordonnateur à l'information» (autre titre nébuleux), Jean-François Dugas. Ce dernier a, en plus, un adjoint, Patrick Woodbury.

«C"est ce trio, dit M. Carrier, qui prendra l'ensemble des décisions rédactionnelles touchant l'actualité de l'Outaouais et de l'Ontario français». Voilà une affirmation qui mériterait éclaircissement. Leur mandat inclut-il la rédaction publicitaire, comme celle d'un magazine spécial pour le 50e anniversaire du Festival franco-ontarien (12 au 14 juin 2025) et de magazines subséquents en collaboration avec la Chambre de commerce de Gatineau?

Petit à-côté... Toutes ces gens qui ne jurent que par le numérique, qui ne s'ennuient pas de l'imprimé, ont décidé de produire une version papier du magazine sur le Festival franco-ontarien. On se demande bien pourquoi, tout en s'en réjouissant.

Notons enfin que le texte de M. Carrier est suivi d'un encadré intitulé «Soutenez l'information locale» remplie d'information fausse. «Le Droit, c'est une coopérative de solidarité appartenant à ses employés»: c'est faux, la coopérative Le Droit a été dissoute, comme celle des autres anciens journaux régionaux. Il ne reste qu'une coopérative nationale. On invite ensuite les lecteurs à faire «un don à notre coopérative (locale)», qui n'existe plus...

Misère...

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Lien au texte du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2025/06/10/du-nouveau-pour-emle-droitem-TPQ6JMNKOBAKVABJKKWN32PAV4/


vendredi 6 juin 2025

Legault a reconnu la suprématie de l'intérêt «national» du Canada...Et «l'intérêt national» du Québec? Pas vu...

Photo publiée par la Chambre de commerce de Saskatoon

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Si la «Déclaration des premiers ministres du Canada, des provinces et des territoires» du 2 juin sur l'économie avait été endossée par des collabos anglophiles comme Jean Charest ou Philippe Couillard, je n'aurais pas trop sourcillé. Mais quand François Legault, celui-là même qui se dit «chef de la nation québécoise», y appose son sceau d'approbation, cela relève presque de la trahison.

Le premier ministre du Québec a convenu, comme ses «collègues», de «faire avancer les grands projets d'intérêt national», comme s'il était évident que les intérêts du Canada et de la «nation» sont synonymes, comme si le Québec-nation n'avait pas lui aussi son propre «intérêt national». Et au cas où tout cela ne soit pas suffisamment clair, on ajoute que l'objectif de l'avancement de ces «grands projets d'intérêt national» est de «bâtir un Canada fort, résilient et uni».

Que des mots, direz-vous? Absolument pas. L'expression «intérêt national», entre les mains du gouvernement fédéral, porte un contenu très réel et une valeur juridique confirmée par la Cour suprême du Canada, qui juge les enjeux québécois d'intérêt régional ou local. La décision de décembre 2011 des juges suprêmes (nommés par Ottawa) sur les valeurs mobilières constitue un excellent exemple du sens accordé à «l'intérêt national» (voir lien 1 en bas de page).

Mais il y a pire. Le 25 mars 2023, dans sa décision sur la taxe carbone, (voir lien 2 en bas de page) la Cour suprême a décidé qu'Ottawa pouvait légiférer dans les domaines de compétence «provinciale» s'il estimait l'intérêt national (comprendre l'intérêt du Canada) menacé par l'action ou l'inaction d'une province (y compris le Québec bien sûr).

Et ce n'est pas tout. Forts de l'autorité conférée par la Constitution des longs couteaux de 1982, les juges ont ajouté: «L'effet de la reconnaissance d'une matière en vertu de la théorie de l'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement fédéral en cette matière». Notez bien les précisions de «compétence exclusive» et du mot «permanent». 

Mark Carney répète sur toutes les plates-formes depuis l'éclosion de la folie orange à Washington qu'il veut «une économie» au Canada, et non 13. Qu'il y va de l'intérêt national. Pour un Canada «fort, résilient et uni». Pareil sur les plans identitaire et culturel où, disait Mark Carney-Charles III dans le Discours du Trône, la culture québécoise est désormais une composante de l'identité canadienne. Je n'ai pas entendu beaucoup de protestations...

Ainsi, en adhérant aux projets économiques d'intérêt «national», en reconnaissant l'application pan-canadienne du mot «national», Québec vient de donner à Ottawa un chèque en blanc pour envahir ses propres compétences, marginaliser son économie et même bloquer des projets conçus dans l'intérêt de la nation québécoise s'ils sont considérés par le premier ministre fédéral comme une menace à son intérêt national.

Tout au plus a-t-il obtenu l'engagement de respecter la «spécificité du Québec» en matière de la mobilité de la main-d'oeuvre... et ça, bien sûr, à moins qu'on y voit à Ottawa une menace à son «intérêt national»... Le rouleau compresseur de la centralisation se remettra aussitôt en marche...

Vivement l'élection du Parti québécois, dans notre «intérêt national»!

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mardi 3 juin 2025

Clova! Clova! Clova!

Gatineau et Trois-Rivières à la base du triangle isocèle, Clova (en rouge) au sommet!

Au moment où je croyais qu'il était devenu impossible d'effectuer de nouvelle coupe sans éteindre les dernières braises de l'ancien quotidien Le Droit, l'impossible s'est produit!

En mars 2020, le journal papier de l'Outaouais et de l'Ontario français avait cessé d'exister en semaine. Le quotidien numérique a rendu l'âme en avril 2023. L'édition imprimée du samedi a publiée pour la dernière fois le 30 décembre 2023. Ne reste désormais qu'un babillard Web mis à jour en temps réel.

Jadis indépendant, Le Droit est passé à partir des années 1980 au hachoir des empires de presse (Unimédia, Hollnger, Power-Gesca). Menacé de disparition en 2014 par les frères Demarais, le journal a été acquis par Groupe Capitales Médias (avec cinq autres quotidiens régionaux) avant de se transformer en coopérative (en 2019) pour éviter une nouvelle fois la fermeture.

Tous ces chambardements s'accompagnant de coupes de personnel, y compris à la rédaction, l'organisation a fondu comme peau de chagrin. Le 22 mars 2023, Le Droit a cessé d'exister comme entreprise autonome, les six coopératives de CN2i s'étant fusionnées pour former une seule organisation nationale à but non lucratif.

Alourdie par une dette de six millions de dollars (selon Le Devoir),  ne comptant plus que 250 employés à Gatineau, Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke, Saguenay, et Granby, la Coopérative nationale de l'information indépendante a annoncé le 1er mai 2025 un nouveau licenciement d'une trentaine de membres du personnel.

Au-delà de quelques lignes téléphoniques et d'une adresse (pour combien de temps?), il reste au Droit moins que le strict minimum requis pour remplir sa mission d'information. Une quinzaine de journalistes héroïques? Une poignée de représentants publicitaires dynamiques? Quelques membres d'une direction fatiguée? 

Je ne l'aurais pas cru, mais on a trouvé le moyen d'amincir encore davantage les effectifs, et pas n'importe lesquels. On apprenait récemment par Le Devoir* (et non de CN2i) le départ - le 7 juin - de la rédactrice en chef du Droit, Marie-Claude Lortie, pas volontaire dit-on, accompagné d'une fusion des postes de rédacteur en chef du Droit et du Nouvelliste de Trois-Rivières.

Fallait y penser... Ce sera probablement une première au Québec, un seul patron de la rédaction pour ces deux anciens quotidiens. La question se posera évidemment: qui sera ce chef bicéphale? Où cette personne aura-t-elle son bureau? À Trois-Rivières? À Gatineau? Alternance de semaine en semaine entre l'Outaouais et la Mauricie? Tout diriger du site Web amiral à Québec?

Selon un suivi de Radio-Canada, publié le lendemain du texte du Devoir, «tout ça n'est pas encore ficelé», mais rien n'indique qu'on remplacera l'actuelle rédactrice en chef au Nouvelliste... Au Droit, on parle de «morosité», tandis que l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario) et la FPJQ s'inquiètent de la possibilité d'un patron ancré à Trois-Rivières, si éloigné du territoire de couverture du Droit.

La déclaration du directeur général du Droit, François Carrier, à l'effet que «tout ça» n'aura pas d'effet sur l'indépendance de la salle de rédaction ottavienne-gatinoise, s'inscrit dans une longue lignée de propos loufoques tenus au cours des dix dernières années. À chaque promesse de «pas d'effet» ou pire, d'amélioration, les conséquences ont toujours été les mêmes.

Alors, tant qu'à crapahuter au pays des merveilles, je me permets une proposition originale, étrange, mais faisable avec l'Internet satellite. Sur la carte, vous verrez que l'Outaouais et la Mauricie se touchent au 48e parallèle. Créez un triangle isocèle (voir image en haut de page) à partir de Gatineau et Trois-Rivières, et au sommet vous trouverez le hameau de Clova, techniquement en Mauricie mais tout près de la pointe nord-est de l'Outaouais.

À distance à peu près égale des Gatinois et Trifluviens, le village forestier serait l'endroit idéal pour la patronne ou le patron de journalistes qui, de toute façon, travaillent essentiellement de chez soi ou sur la route. Clova a même une valeur symbolique pour CN2i, toujours au bord du précipice. 

En juin 2023, menacé de toutes parts par d'immenses feux de forêt, abandonné aux flammes par le premier ministre Legault, le village avait miraculeusement survécu, presque intact, grâce aux efforts des équipes de la SOPFEU et à la solidarité de ses quelques dizaines d'habitants.

Qui dit mieux? Dans un tel environnement, la nouvelle ou le nouveau patron des salles de rédaction du Droit et de Trois-Rivières saura s'inspirer du courage de ses concitoyens pour tenter de sauver de l'abîme ses bouts d'entreprise.

C'est drôle, mais c'est pas drôle...

Clova! Clova! Clova!

Vue aérienne de Clova, photo Radio-Canada

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* Lien au texte du Devoir - https://www.ledevoir.com/culture/medias/878083/journal-droit-retrouve-redacteur-chef

**- Voir aussi textes de Radio-Canada et ONFR - 

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2164248/redactrice-chef-droit-poste-aboli#:~:text=Marie%2DClaude%20Lortie%2C%20qui%20a,chef%20du%20journal%20Le%20Droit.

et

https://onfr.tfo.org/le-droit-naura-plus-de-redaction-en-chef-a-ottawa-gatineau/

jeudi 29 mai 2025

Comment créer de toutes pièces 1 700 000 francophones hors Québec...


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Que diriez-vous si le Québec Community Groups Network (QCGN), organisme parapluie des Anglo-Québécois, affirmait représenter plus de 50% de la population du Québec, parce qu'au moins 4 300 000 des 8 400 000 Québécois sont «anglophones»? 

Après un moment d'incrédulité, vous diriez que ces gens sont tombés sur la tête, et vous auriez raison. Selon le plus récent recensement de Statistique Canada, celui de 2021, le nombre de personnes considérées comme anglophones au Québec se rapproche de 1 100 000, soit 13% de la population.

Pour arriver à plus de 50% d'anglophones au Québec, il faudrait inclure tous les francophones et allophones capables de s'exprimer en anglais. Ce qui n'a aucun sens, évidemment. Selon ce principe, si un francophone est bilingue, il est compté comme anglo. Ce qui ferait de moi, Pierre Allard, un Anglo-Québécois... 

Aucun média digne de ce nom ne tomberait dans un tel panneau... au Québec. Il en va autrement pour la francophonie hors Québec où la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA) utilise cette méthode de calcul pour prétendre qu'elle représente environ 2 800 000 francophones dans les neuf provinces et trois territoires à majorité anglophone.

Et nos bons journalistes, le plus souvent mal informés en matière de francophonie, utilisent ce chiffre fantaisiste dans leurs textes de nouvelles sans cligner de l'oeil (voir exemple ci-haut)...

En réalité, à l'extérieur du Québec on compte un peu plus d'un million de francophones selon les calculs les plus optimistes de Statistique Canada. En utilisant le critère de la langue d'usage à la maison, on frise les 700 000. Donc, pour arriver à 2 800 000, il faut compter tous les anglophones et allophones qui connaissent le français. Ce qui n'a aucun sens!

La capture d'écran du texte publié sur le site Web Le Droit (image ci-haut et lien en bas de page) n'a rien d'exceptionnelle. On brandit le chiffre gonflé de 2 800 000 sur toutes les plates-formes. La FCFA doit savoir que tout cela est ridicule. Mais elle le fait tout de même. Et dans un monde médiatique où les recherches sont parfois superficielles, ça passe comme lettre à la poste.

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Lien au texte du Droithttps://www.ledroit.com/franco/2025/05/27/liane-roy-reelue-a-la-tete-de-la-fcfa-pour-un-troisieme-mandat-QUJAR6SE7FAW7JF3SQ5IVTB4MM/ 


mercredi 28 mai 2025

Le Discours du Trône, la langue française et la culture québécoise: cumulonimbus à l'horizon...



Au-delà des cumulonimbus constitutionnels, politiques, économiques et culturels qu'il a largués sur l'horizon québécois, le Discours du Trône Mark-Carney-Charles-III constitue par ses erreurs et faussetés parfois mensongères une claque en pleine face pour les francophones du Québec, et même ceux du Canada tout entier.

Je n'ai pas pris le temps de mettre tout ça dans l'ordre, vu que je dois écrire ce texte à chaud. Mais allons-y tout de même.

Commençons par la fin.

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Ci-dessus, vous voyez un extrait de la traduction officielle en français des paroles de conclusion du Discours du Trône prononcées par Charles Windsor. Lisez bien: on précise qu'il s'agit de «l'hymne national», pas d'une traduction française (louche par ailleurs) de la version anglaise. C'est donc pour Mark Carney le seul hymne national du Canada. Le «L'» le dit bien.

Dans l'Ô Canada anglais, on chante: «With glowing hearts we see thee rise, the True North strong and free!». En français, nous entendons depuis toujours «Car ton bras sait porter l'épée, il sait porter la croix». Même dans la version bilingue officielle (oui, il existe une version fédérale bilingue du Ô Canada), on ne dit pas «the True North strong and free!»... 

A-t-on laissé aux services de traduction, ou pire au personnel politique du premier ministre, le soin de rendre officiel en français le «True North strong and free»? Ou est-ce tout simplement une erreur? Une grosse erreur. Ce n'est pas banal. La plupart des francophones du Québec (et peut-être même hors Québec) ne connaissent pas vraiment les paroles de l'Ô Canada anglais, Y compris moi!

Alors quand on propose aux quelque huit millions de «sujets» franco-canadiens de Charles III un passage de l'hymne national qui évoque «le Grand Nord fort et libre», ils vont chercher longtemps, en vain, pour le trouver. Avez-vous pensé à ça, M. Carney?

Par ailleurs, traduire «True North» par «Grand Nord» me semble plus que louche. Le Grand Nord, c'est le Nunavik, le Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest, le Yukon, à la limite les extrémités nordiques des provinces de l'Ouest. Au sud du 55e parallèle, où réside probablement plus de 95% de la population du Canada et du Québec, on est loin, très loin du Grand Nord. 

J'ai cherché des exemples de «True North» traduits en français et j'ai vu «vrai Nord», «Nord réel», «Nord magnétique», «Nord véritable» et occasionnellement Grand Nord. Même, une fois, «pays du Nord», que je trouverais bien acceptable.

Alors malmener la version officielle française du Ô Canada, modifier ses paroles avec une traduction louche, pour en faire la grande conclusion d'un Discours du Trône majeur, je considère cela comme une gifle. Pire, je semble être l'un des seuls. Dans les textes que j'ai lus ou les commentaires que j'ai entendus, personne n'a relevé cette erreur de fond. On en a même fait, sans précision, la manchette du journal Le Devoir. Misère...

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Passons à quelques autres horreurs.

«La langue française et la culture québécoise sont au coeur de l'identité canadienne. Elles définissent le pays que les Canadiens, les Canadiennes et moi aimons tant.» Cette déclaration nous emmène directement au pays des merveilles tant elle est contraire à la réalité historique et actuelle du Québec et du Canada.

J'ai bien aimé le commentaire de la politologue de l'Université Queen's, Stéphanie Chouinard, qui y voyait un moment «lunaire» du Discours du Trône. Une définition pertinente du Robert: «qui semble étranger au monde réel». Victime d'injustices et de persécutions depuis la Confédération, la langue française est encore aujourd'hui malmenée dans cette fédération anglo-dominante. Au Canada anglais, on aime un bilinguisme de façade, à condition que tout se passe en anglais. Alors quand Mark Carney parle, via Charles III, de cette langue et culture que «les Canadiens et moi aimons tant», j'ai la nausée. «Pincez-moi, quelqu'un», disait plus poliment Mme Chouinard sur X-Twitter.

Au-delà de ce gros mensonge, il y a cette affirmation que la langue française et la culture québécoise soient «au coeur de l'identité canadienne». Celle-là est épeurante, du moins au regard de la culture québécoise. Non satisfait d'avoir réduit le Québec au statut de province, d'un sur dix (sur 11) au sein d'une fédération sur laquelle il n'exerce aucun contrôle, voilà que le premier ministre du Canada attaque de front la souveraineté culturelle du Québec, un domaine où il n'a aucune compétence constitutionnelle.

La culture québécoise rayonne à travers le Canada, la France, la francophonie et la planète comme une entité originale, identifiable, reconnaissable, unique, indépendante du Canada anglais. Et voilà qu'on veut la réduire, aux yeux du monde, à simple composante d'une «identité canadienne» définie par Ottawa. Politiquement, un sur 10, culturellement, un sur trois... Toujours minoritaire... Cela augure mal pour les années qui viennent.

Bon. Assez pour aujourd'hui. Je reste cependant déçu de n'avoir vu ou entendu de commentaires sur ces aspects que je juge fondamentaux de de Discours du Trône. Peut-être ai-je mal regardé, mal entendu, mal vu? Ou pas...

mardi 27 mai 2025

Les francophones hors Québec et la monarchie...

«Les francophones hors Québec plus attachés à la monarchie que les Québécois»? Ce titre en page A4 du Devoir du lundi 26 mai m'a fait sursauter. Si j'avais lu «Les francophones hors Québec moins hostiles à la monarchie que les Québécois», j'aurais moins sursauté...

Ayant passé les 29 premières années de ma vie en sol ontarien, à Ottawa plus précisément, j'ai passé en revue mes souvenirs de cette époque sans y redécouvrir d'«attachement» à la Couronne britannique. Fascination, curiosité, jalousie peut-être devant ces aristocrates bijoutés d'un univers inatteignable pour le commun des mortels, mais aussi l'incarnation de cette domination anglo-britannique qui avait fait payer très, très cher aux Franco-Ontariens leurs luttes pour conserver la langue et la culture françaises.

Si je me fie au titre du Devoir, le monde hors Québec que j'ai connu serait révolu. «Le Canada anglais que je connaissais quand j'étais jeune n'existe plus. C'est terminé tout ça», affirme sans offrir de preuve l'historien franco-manitobain Philippe Mailhot, rappelant sa jeunesse plutôt anti-monarchique alors que les anglophones «s'enveloppaient dans la Couronne».

Avoir été historien, j'aurais étayé mon argument à l'aide d'exemples: recherches personnelles, études bien documentées, quelques sondages d'opinion, etc. Si ce type d'information existe, il aurait été mentionné dans l'article de journal, mais M. Mailhot n'en fait pas état. Il faut donc conclure que l'opinion de l'historien est fondée sur son expérience personnelle et professionnelle, au Manitoba. Rien n'autorise à en tirer une conclusion pour l'ensemble de la francophonie hors Québec.

Un autre historien, Damien-Claude Bélanger, de l'Université d'Ottawa, va plus loin que son collègue franco-manitobain dans son appréciation des sentiments de la diaspora canadienne-française envers la monarchie. «C'est sûr, dit-il, qu'historiquement parlant, il y a eu plus d'attachement à l'égard de la couronne chez les francophones hors Québec qu'au Québec en tant que tel

Ah, la certitude, ennemi mortel de l'information. «C'est sûr...» Cet historien québécois, spécialiste des rapports des Canadiens avec la monarchie, n'offre toutefois aucun exemple, aucun fait susceptible de justifier cette certitude.  À sa place, j'aurais immédiatement ajouté: voyez ce qui s'est produit ici, là, consultez telle étude démontrant les écarts d'attitude entre la francophonie québécoise et hors-Québec. Non. Rien.

La seule tentative de démontrer effectivement des gestes d'appui ou de soutien envers la monarchie se limite à un paragraphe, dont on ne sait trop s'il doit être attribué à M. Mailhot. On y lit: «Certains groupes francophones hors Québec (lesquels?) montrent depuis plusieurs années leur soutien à la monarchie. Lors du décès de la reine en 2022, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario avait demandé que les drapeaux franco-ontariens soient mis en berne

J'avoue mon ignorance ici. Je n'ai pas entendu ou lu d'information sur un soutien quelconque d'organismes canadiens-français ou acadiens pour la monarchie britannique. J'ai cependant la conviction qu'on ne peut interpréter des drapeaux en berne comme un soutien à la monarchie, et que les motifs de l'AFO lors du décès d'Elizabeth ont probablement plus à voir avec la rectitude politique qu'un quelconque loyalisme envers la royauté de la mère-patrie des anglos.

Je ne conteste pas la possibilité que les francophones hors Québec soient davantage attachés à la monarchie que les Québécois. Compte tenu de leur taux d'anglicisation catastrophique, il est même probable que ces collectivités adoptent des comportements et attitudes qui les rapprochent de la majorité anglophone. Mais de là à l'affirmer sans preuve, notamment dans une manchette de journal, il  y a un pas que les professionnels de l'information ne doivent pas franchir.


samedi 17 mai 2025

En 2050, les francophones seront minoritaires à Gatineau!

Une nouvelle identité dévoilée en juillet 2024 par la ville de Gatineau... Éloquent...

D'ici l'an 2050, au train où vont les choses, les francophones seront minoritaires à Gatineau, quatrième ville du Québec. À Montréal aussi, vous dites? Sans doute. À Laval aussi? Sans doute. Mais je vis à Gatineau. Je vois donc de plus près ce qui se passe ici, au royaume de la peur et du vivre à genoux. Et ce qui se passe, du moins sur le plan linguistique, n'est rien de moins que dramatique!

Les données du recensement fédéral de 2021 montraient déjà une anglicisation accélérée de la porte d'entrée du Québec en Outaouais. Mais les résultats de l'étude Situation des langues parlées au Québec de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ), publiés en mai 2025,  fondés sur une enquête réalisée en 2024, annoncent la catastrophe pour qui espère assurer la pérennité du caractère français de Gatineau.

Remarquez, on n'a pas vraiment besoin d'études et de recensements pour flairer le vent. Il suffit de tendre l'oreille vers la rue, le centre d'achats, le supermarché, le resto... J'étais au RONA la semaine dernière, dans l'est de la ville, et j'ai croisé dans le stationnement un groupe d'élèves de l'école secondaire du Versant (adjacente) marchant vers un casse-croûte à l'heure du lunch. Ils jasaient... en anglais. Et le personnel de RONA chargé de livrer chez moi le barbecue que nous venions d'acheter ne parlait pas français... Ce ne sont pas des cas isolés...

Mais revenons au rapport récent de l'ISQ, dont j'ai appris l'existence par le bulletin télé régional de Radio-Canada (Le Droit, à ma connaissance, n'a rien écrit là-dessus). L'étude de l'ISQ nous informe qu'en 2024, 62,9% des Gatinois parlent «le plus souvent» le français à la maison. En soi, cela ne signifie pas grand chose. Jusqu'à ce qu'on sache qu'il y a moins de 20 ans, au recensement de 2006, la proportion de personnes indiquant le français comme langue d'usage à la maison était de 80,7%...

Dans le vieux Hull, au coeur du centre-ville de Gatineau, francophone à 90% il y a un demi-siècle, la proportion d'anglophones et allophones frise désormais le 40%. Au rythme actuel, il suffira d'une décennie additionnelle de nouvelles tours d'habitation et de démolition de vieilles maisons allumettes pour minoriser la population de langue française et éteindre ce qui restait de notre présence avant l'invasion fédérale des années 1970.

L'arrivée massive d'Ontariens anglophones qui traversent la rivière des Outaouais pour des motifs économiques, l'augmentation constante d'immigrants portés à s'angliciser, se voyant davantage Canadiens que Québécois, et la présence d'un maxi-employeur, l'administration fédérale, où l'anglais est généralement la langue de travail, érodent sans répit la langue et la culture françaises à Gatineau. Et n'allez surtout pas trop en parler sur la place publique: au-delà des l'occasionnels sondages ou déclarations vides sur le caractère primordial du français, le sujet est véritablement tabou.

Le conseil municipal de Gatineau n'a que faire de la langue et la culture françaises. On laisse le soin de récriminer aux méchants séparatistes, que les masses dociles varlopent à chaque élection. Ou à l'ex-président d'Impératif français, Jean-Paul Perreault, qui a fréquemment mauvaise presse, même dans les médias de langue française. Les anglos arrivent à pleine porte comme s'ils étaient dans une banlieue d'Ottawa et les bons Gatinois majoritairement bilingues les accueillent dans leur langue. Pas question de leur faire savoir qu'au Québec, c'est français...

L'étude de l'ISQ peint un tableau sinistre de la francophonie à Gatineau: seulement 48% des personnes de 15 ans et plus travaillent à peu près uniquement en français (50% en anglais ou en bilingue); dans une ville qui abrite moins de 20% d'anglophones, 38% des gens naviguent sur Internet en anglais seulement; 63% des Gatinois regardent en anglais les films ou les séries sur les plateformes de diffusion en continu; la moitié de la population écoute des chansons en anglais seulement; etc. etc. (voir lien en bas de page)

Ici, face aux cinq ponts qui relient Gatineau à l'Ontario, les défenseurs d'un Québec français se sentent bien seuls. Je vous laisse sur un poème d'Omer Latour (lien 2 ci-dessous), auteur franco-ontarien qui devait joindre les rangs du FLQ en 1963 avant de revenir en Ontario où il devint enseignant. Ce poème évoque la situation désespérante des francophones de Cornwall, sa ville natale. On pourra adapter ce texte vers 2050 pour sonner le glas du français à Gatineau :

«Je n'ai rien inventé.

Ce n'était pas nécessaire.

Dans les relations franco-anglaises de cette ville, la réalité dépasse la fiction.

Dieu merci le combat est presque fini.

L'assimilation totale apporte enfin le repos

et la paix à tous ces gens obscurs qui ont

lutté dans un combat par trop inégal.

Vous me demandez pourquoi ils sont morts?

Je vous demande comment ils ont fait

pour résister si longtemps.»

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1 - Lien à l'étude Situation des langues parlées au Québec en 2024 - https://statistique.quebec.ca/fr/document/situation-langues-parlees-quebec-2024

2 - Omer Latour, Une bande de caves, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1981

jeudi 15 mai 2025

Assermentation anglaise et monarchique du cabinet Carney



Le texte français de la cérémonie d'assermentation

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Si jamais on cherchait une démonstration éloquente du peu d'égards réservé par Ottawa à la langue française, il suffisait de regarder, ce 13 mai 2025, la très monarchique cérémonie d'assermentation des membres du cabinet du premier ministre libéral Mark Carney.

Les médias francophones, trop occupés à annoncer et décortiquer les nominations, ou tellement habitués à voir la langue française piétinée qu'ils n'y portent plus attention, ne semblent pas avoir relevé l'unilinguisme anglais du début de la cérémonie et de près de la moitié des ministres et secrétaires d'État nommés par M. Carney.

Devant sa patronne incapable de s'exprimer en français, le secrétaire de la Gouverneure générale, Ken McCullough, qui s'est présenté en anglais, a expliqué en anglais seulement le cérémonial de la lumière en cours, présidé par un Inuit du Nunavut. J'attendais la traduction française (c'est toujours une traduction...) mais elle n'est pas venue.

M. McCullough a ensuite présenté en français (une courte phrase...) l'aînée algonquine Verna McGregor pour le récit d'un mot de bienvenue. Cette dernière a alterné entre l'anglais et sa langue autochtone pendant quelques minutes. Un peu de français à part le «Bonjour tout le monde», juste pour la forme? Non... et il m'est apparu que cela ne dérangeait personne...

Vint ensuite l'interminable procession de ministres et de secrétaires d'État appelés à jurer ou déclarer leur «sincère allégeance à Sa Majesté le Roi Charles III, Roi du Canada, à ses héritiers et successeurs». Pour les nouveaux membres du cabinet, s'ajoute un deuxième serment de fidélité à la royauté. Suivis, laïcité écarte-toi, de l'optionnel «ainsi Dieu me soit en aide»...

Des 38 membres et demi-membres du conseil des ministres, pas moins de 12 ministres et 6 secrétaires d'État (en italiques) ont prononcé leur serment d'allégeance monarchique en anglais seulement: 

- Jill McKnight

- Heath MacDonald

- Rebecca Alty

- Joanne Thompson

- Shafqat Ali

- Rebecca Chartrand

- Mandy Gull-Masty

- Tim Hodgson

- Eleanor Olzewski

- Gregor Robertson

- Maninder Sidhu

- Evan Solomon

- Buckley Belanger

- Stephen Fuhr

- Wayne Long

- Stephanie McLean

- Randeep Sarai

- John Zerucelli

Deux assermentés, un ministre (Joël Lightbound) et une secrétaire d'État (Nathalie Provost) se sont exprimés en français seulement; les autres (19) en bilingue, souvent l'anglais en premier. Et toutes ces bonnes gens ont posé pour ls photos de circonstance avec M. Carney et la représentante du roi Charles III, la très anglophone Mary Simon qui, heureusement, n'a pas eu à parler.

Il faut aussi noter que la cérémonie avait lieu à la Résidence de la Gouverneure générale et non, comme cela se fait au Québec, au Parlement. Les députés fédéraux ne jurent pas allégeance au peuple (sauf Gregor Robertson, avec quatre petits mots en français); chacun, comme le dit le texte du serment d'allégeance, est un «fidèle et loyal serviteur de Sa majesté le roi Charles III»...

Cette cérémonie a une grande valeur éducative pour les francophones du Québec. On leur apprend que leur langue n'est pas la bienvenue ici, quoiqu'on dise dans les traductions des discours officiels. Seulement deux des neuf membres québécois du cabinet élargi ont prêté serment en français uniquement. Six en bilingue et une (Mme Gull-Masty) en English only. Ça fait dur!

On y apprend aussi que la monarchie occupe ici la place centrale et qu'on ne peut imaginer voir à Ottawa, dans un avenir prévisible, la possibilité de jurer fidélité au peuple plutôt qu'à un roi colonial et chef religieux d'outre-mer. Après avoir entendu prononcer «Sa Majesté Charles III» une soixantaine de fois en une heure et demie, on souffre d'indigestion...

Ce qui fait de nous ce que nous sommes, cette nation québécoise, sa langue, ses valeurs, n'a pas sa place à Ottawa. Le gouvernement Carney, fidèle au serment d'allégeance, combattra les velléités anti-monarchiques du Québec, sa laïcité, ses plus fortes mesures de protection du français, jusque devant ses juges de la Cour suprême. Avec l'aide de ses collabos...