lundi 4 décembre 2023

En attendant de lire son essai...


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Avant de le critiquer, j'ai l'intention de lire très, très attentivement le livre Identité, appartenances... un parcours franco-ontarien de Robert Major, récemment publié aux Presses de l'Université d'Ottawa. Pour le moment, je dois me contenter d'un texte parfois indigeste publié ce 3 décembre sur le site Web Le Droit sous la plume du journaliste Charles Fontaine (voir lien en bas de page).

Le titre d'abord me paraît trompeur: La santé déclinante de l'Ontario français vue par un résident québécois. Oui, M. Major demeure en Outaouais depuis une cinquantaine d'années (un peu comme moi) mais il était Franco-Ontarien auparavant et a passé 45 ans à l'Université d'Ottawa comme étudiant, professeur de lettres françaises et cadre supérieur. Son vécu ontarien plus que considérable, déterminant même, exclut de le définir comme simple «résident québécois». Peut-être M. Major lui-même ne se présente-t-il pas de cette façon... Après tout ce n'est pas lui qui a choisi le titre de l'article du Droit.

Secundo, dans le tout premier paragraphe de l'article, le reporter écrit ce qui suit au sujet de l'auteur Robert Major: «Se sent-il plus Ontarien ou Québécois? Cette quête d'identité l'a mené à l'écriture de ce nouvel essai, qui ne donne pas cher de la peau des Franco-Ontariens.» On n'est pas loin des «cadavres encore chauds» d'Yves Beauchemin ou des «dead ducks» de René Lévesque. S'agit-il d'une citation sans guillemets de M. Major ou d'une interprétation du journaliste après lecture du livre? Sais pas. Ce qui est clair c'est que l'entrevue du Droit ne propose aucun fait documenté à l'appui d'une telle affirmation.

Ça va de mal en pis. Dans les quelques notes biographiques sur M. Major, originaire de Haileybury (nord-est ontarien), j'ai sursauté en lisant: «Son enfance, qui débute en 1946 (comme moi), est typique d'un Franco-Ontarien qui vit en milieu minoritaire. Ses parents, très engagés pour la francophonie, portent la langue comme une cause, une défense, quasiment comme une guerre.» J'ai grandi à Ottawa dans un petit quartier francophone et j'ai voyagé dans plusieurs régions de l'Ontario comme militant franco-ontarien et je peux vous assurer que la description de l'enfance de M. Major n'a rien de «typique». Les parents «très engagés» étaient et restent une infime minorité.

Quoiqu'il en soit, se fondant sur son propre vécu, il estime que «l'engagement» des Franco-Ontariens de son époque (qui est aussi la mienne) «disparaît de plus en plus». «Dans la vie, l'Ontario français n'est plus là. Chaque jour, il devient plus menacé, fragile, minoritaire.» Plus loin M. Major récidive: «Cette identité franco-ontarienne... disparaît à vue d'oeil. Le groupe s'est dissout, et les gouvernements en sont conscients.» Je ne conteste pas ses conclusions, que je partage cependant avec de fortes nuances. Mais l'article ne fait aucune démonstration de ces affirmations qui, eussent-elles émané d'un politicien connu, disons le chef du PQ, auraient fait les manchettes des médias. On aurait exigé avec raison des preuves à l'appui. Les journalistes lui auraient demandé des comptes.

D'autre part, dans ce texte du Droit, M. Major plonge tête première dans les eaux houleuses de la gouvernance franco-ontarienne à l'universitaire. Et comme à peu près personne n'a vraiment suivi ce dossier depuis le début, les journalistes ne sont pas équipés pour poser les questions qui s'imposent à quelqu'un qui, comme Robert Major, a occupé le poste de vice-recteur aux études de l'Université d'Ottawa. Son attaque contre la microscopique Université de l'Ontario français (UOF) laisse entendre qu'il n'a pas suivi le dossier ou, s'il en connaît véritablement les dessous, qu'il tait des éléments importants du casse-tête.

L'auteur d'Identité, appartenances fait en effet sienne la prise de position effrontée du recteur de l'époque (2014), Allan Rock, à l'effet que les Franco-Ontariens n'avaient pas besoin d'une autre université de langue française, qu'ils l'avaient déjà cette université et qu'il s'agissait de l'Université d'Ottawa. M. Major en rajoute, parlant d'une «grosse erreur stratégique» et même, du «fiasco» de l'Université de l'Ontario français. Faudrait peut-être l'informer que le projet d'université franco-ontarienne lancé en 2012 n'avait rien à voir avec un petit campus baptisé UOF à Toronto. Les militants étudiants et leurs alliés visaient une gouvernance francophone de l'ensemble des programmes universitaires de langue française, y compris ceux d'Ottawa et de Sudbury. L'UOF c'est le résultat d'un torpillage exécuté par le gouvernement libéral de Kathleen Wynne, avec l'appui, entre autres, de l'Université d'Ottawa qui aurait pu craindre de voir son statut bilingue anglo-dominant remis en question.

Enfin, peut-être le livre de M. Major «étaye»-t-il «les propos de nombreux sociologues et auteurs pour décrire la situation du français dans la province, et même au pays». Ce qu'il ne fait pas dans l'article du Droit. Mais il n'exerce aucun contrôle sur ce que publie ou pas mon ancien quotidien devenu site Web. Voilà pourquoi je dois, avant de porter un jugement final, acheter, lire et annoter cet essai.

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Lien au texte du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/est-ontarien/2023/12/02/la-sante-declinante-de-lontario-francais-vue-par-un-resident-quebecois-EOQG6XYSUBGA5OYBXGV6ZXGL6M/


1 commentaire:

  1. Merci pour cette analyse et, en effet, nous lirons tous cet essai avec attention. Toutefois, sans avoir d’informations privilégiées à ce sujet, je crois moi aussi avec M. Major que l’UOF est (était ?) l’Université d’Ottawa. Je vois chaque année le déclin du français à l’UO et l’idée d’aller recruter en Afrique des francophones ne sert pas à grand-chose : pour la plupart, le français est la langue « coloniale », la langue maternelle étant l’arabe, le wolof, le bambara, le sango… L’attachement identitaire au français est assez faible au fond, et parler une langue « coloniale » ou une autre, ce ne sera qu’une question d’une génération (voire moins) pour basculer à l’anglais. Je me demande quel rôle a joué involontairement l’UQO dans la perte de vitesse du caractère français de l’UO… Les 5000 à 6000 étudiants qui y sont, désormais ne sont plus à l’UO, ce qui ferait une différence pour l’équilibre linguistique. Après 21 ans en Outaouais, je crois avoir compris que le concept de « lutte » (pour les droits, la langue, les institutions, etc.) représente un marqueur identitaire fort, sinon déterminant, pour la cohésion des Franco-ontariens. Or, jusqu’à quel point la « lutte » peut-elle continuer à fédérer une population ? Le temps passé à lutter est celui que l’on ne consacre pas à autre chose et c’est épuisant. Je constate une grande lassitude de la part de mes étudiants franco-ontariens… Charles Le Blanc (uOttawa)

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