Capture d'écran du site Web Le Droit |
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J'ai l'indignation facile. Cela ne surprendra personne, du moins pas ceux et celles qui me connaissent. Personnellement, je vois cela comme une qualité. Je suis rarement en colère, cependant, ayant à mon actif de multiples décennies d'apprentissage de la patience. Mais ce soir, comme le chantait Félix, «je sens en moi, dans le tréfonds de moi, entre la chair et l'os, s'installer la colère».
La cause? Un article du reporter Julien Paquette sur le site Web Le Droit, publié le 30 novembre (voir lien en bas de page), intitulé Fermeture abrupte d'un service pour adultes francophones avec besoins spéciaux. L'histoire est poignante, mais il arrive à tous les jours que des francophones de la capitale fédérale soient privés de services dans leur langue.
Non, ce qui m'enrage c'est que cela se passe dans la Basse-Ville d'Ottawa, au coeur de ce qui fut jadis un château-fort canadien-français. Ce que la municipalité a fait dans ce quartier dans les années 1960 et 1970 s'apparente à un ethnocide de la collectivité francophone. Sous le couvert d'une rénovation urbaine, les vieilles communautés franco-ontariennes ont été écartelées et éparpillées partout dans une ville à plus de 80% anglophone.
L'exode a signifié le démantèlement de la paroisse Ste-Anne, la fermeture de l'école Guigues, haut-lieu du combat contre le Règlement 17 qui interdisait l'enseignement en français en Ontario, au début du 20e siècle. Les francophones regroupés tardivement ont été impuissants à bloquer bulldozers et expropriations. Aujourd'hui les catholiques francophones pratiquants sont intégrés à une paroisse bilingue. Ne restait, à toutes fins utiles, au-delà de l'école secondaire De-la-Salle et du vieil Institut canadien-français, que le Patro d'Ottawa, centre de loisirs fondé en 1947 et associé au réseau des Patro du Québec.
On aurait cru la ville d'Ottawa satisfaite de son oeuvre de destruction de l'ancienne Basse-Ville mais non. Elle s'attaque maintenant à l'un des seuls établissements qui rappellent son existence, le Patro, celui-là même qui a mis sur pied le camp de jour francophone pour adultes ayant des besoins spéciaux dont parle l'article du journaliste du Droit. Et son attaque est insidieuse, arrachant à une collectivité francophone moribonde les ultimes vestiges visibles de son ancienne existence.
Je n'ai aucune idée de la cause des tensions qui ont pu exister entre la municipalité et le Patro. La ville d'Ottawa est propriétaire de l'édifice et finance le Patro, mais la gestion entière des activités était entre les mains de francophones et l'établissement n'offre que des services en français à la collectivité. On peut imaginer que dans cette Basse-Ville où en 50 ans la proportion de francophones est passée de 75% à moins de 25%, l'achalandage a dû diminuer. Et dans une ville comme Ottawa, il ne manquera jamais de vautours pour achever le cadavre encore chaud d'un ancien foyer de la franco-Ontarie.
Le directeur général du Patro a annoncé le 21 novembre aux usagers du camp de jour Le p'tit bonheur (le programme pour adultes avec besoins spéciaux) que la municipalité avait suspendu son financement. Pas d'argent, pas d'employés, pas de service. Pourquoi? C'est là que ça se complique toujours dans cette ville traditionnellement francophobe. La conseillère municipale Stéphanie Plante lève un peu le voile. «Je veux qu'il y ait un peu de vie dans le Patron. Tout le monde me dit qu'il n'y a personne quand ils vont au Patro. C'est vide et je trouve ça dommage.»
Pour une déclaration semblable, on aurait dû crucifier la conseillère du quartier sur la place publique. Elle n'est jamais même allé vérifier ce qui s'y passe si on se fie à ses propos. «Tout le monde» le lui dit, apparemment. Mais c'est qui «tout le monde»? Personne ne semble le lui avoir demandé. Et elle conclut comme si elle avait de preuves irréfutables: «c'est vide et je trouve ça dommage.» Elle n'est pas allée, semble-t-il, elle n'a pas vérifié les allégations de ce nébuleux «tout le monde» et affirme comme une évidence que le Patro est «vide».
Il me semble que si l'achalandage est remis en cause, une organisation aussi sophistiquée que la capitale du Canada aurait eu en mains quelques chiffres, quelques éléments de preuve. Enfin.. Mais ce n'est pas tout. Dans ce quartier maintenant anglicisé, ce n'était qu'une question de temps avant que la machine bureaucratique remette en question la gouvernance francophone et le caractère francophone d'un organisme comme le Patro. Pourquoi ne pas passer aux Canadiens français une autre «Laurentian University»? Surtout qu'ici comme n'importe où à Ottawa, sauf en milieu scolaire et encore, les francophones sont toujours soumis aux diktats de la majority.
Le directeur municipal des Loisirs, Dan Chenier (pas Daniel Chénier), n'y va pas par quatre chemins. «Le Patro, dit-il, offre essentiellement de la programmation en français depuis ses débuts (en 1947). Nous voulons maintenir une forte programmation francophone (yes sir!) mais nous voulons aussi prendre en considération que la Basse-Ville d'aujourd'hui n'est pas celle des années 60 ou 70.» Vous aurez vite compris, comme moi, que cela signifie transformer le Patro en établissement bilingue où l'anglais aura le haut du pavé jusqu'à l'éventuelle marginalisation du peu qui restera en français. Peut-être conservera-t-on pour un certain temps l'enseigne unilingue française Patro d'Ottawa sur l'extérieur de l'édifice.
Se peut-il que la ville, après avoir menti aux Canadiens français lors de la rénovation urbaine des années 60 et 70, après les avoir chassés de leur quartier, veuille maintenant signer l'acte de décès en démantelant les monuments comme le Patro, qui lui rappellent peut-être trop de mauvais souvenirs? Je suis né et j'ai grandi à Ottawa et croyez-moi, ce genre d'attitude envers les francophones a été transmis de génération en génération dans ce patelin. Jusqu'à aujourd'hui? Je ne sais pas mais je ne donnerais jamais à cette ville l'absolution sans confession quand il s'agit des rapports avec les collectivités francophones.
Voilà pourquoi je suis en colère. Je pense à toutes ces pauvres gens qui ont dû quitter la Basse-Ville. Ils étaient impuissants contre cette ville qui n'avait que mépris pour eux, pour leur langue et leur culture. La municipalité a exercé le pouvoir que lui conférait la majorité anglophone de façon impitoyable. Quand la poussière est retombée, il restait cependant le Patro, entre autres, élément d'une espèce de «contrat social» avec cette francophonie encore majoritaire à l'époque. Et en 2023, c'est devenu un contrat de trop. La ville reprend tout, y compris la gestion du Patro, parce qu'elle en a le droit. Les francophones n'ont qu'à platement se soumettre.
Quand je vois aujourd'hui Mme Pilon-Desjardins et son fils François, privés de services en français parce qu'une ville milliardaire a confisqué les 48 000 $ qui auraient payé pour les programmes qu'ils fréquentaient au Patro, je suis en colère. Voilà ce qui arrive quand on est minoritaire. On subit. Le pouvoir de décider nous échappe toujours. Voilà pourquoi j'ai traversé la rivière des Outaouais en 1975 et pourquoi je ne retournerai jamais vivre à l'extérieur du Québec. Et surtout pas à Ottawa.
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Lien à l'article du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/ottawa/2023/11/30/fermeture-abrupte-dun-service-pour-adultes-francophones-avec-besoins-speciaux-EOBZO6XLYJEABDICUBOGH36BWQ/
J'ai aussi pu lire (après la rédaction de ce texte) un article d'ONFR sur le même sujet de la journaliste Sandra Padovani. SVP le lire aussi - https://onfr.tfo.org/des-services-essentiels-pour-des-francophones-aux-besoins-speciaux-sur-la-sellette/
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