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Après avoir subi depuis une quarantaine d'années ce qui s’apparente au supplice des 1000 coupures (vieille torture chinoise), mon ancien journal quotidien - Le Droit - a finalement rendu l'âme, ou du moins, ce qui en restait.
Depuis le début des années 1980, le cercle vicieux des coupes avait fait son oeuvre. Chaque micro chirurgie, chaque irritante mutilation, chaque amputation, disait-on, devait avoir pour effet d'améliorer le journal et surtout, son bilan financier. Plusieurs y ont cru. Même aujourd'hui, au bord de l'abîme, certains y croient toujours...
En 1973, il y a donc un demi-siècle, Le Droit s'affirmait comme chef de file de l'information dans la région d'Ottawa et de Hull-Gatineau avec un robuste tirage, oscillant entre 45 000 et 50 000, et environ 450 employés, dont plus de 60 à la salle de rédaction! Le quotidien indépendant, propriété des Oblats de Marie Immaculée, abritait aussi sous son toit une imprimerie commerciale (en plus des presses du journal) et la maison d'éditions Novalis.
Dans un contexte de laïcisation accélérée, les Oblats devenaient inconfortables dans leur rôle de dirigeants d'une entreprise de presse à la fine pointe qui, à l'exception des Prions en église de Novalis, avait largué ses anciens élans religieux. La crise de l'inflation et des taux d'intérêt mirobolants de 1981 a sans doute accéléré le désir des Oblats de retrouver des chapelles moins ardentes.
En 1983, Le Droit cesse d'être un journal indépendant et devient un maillon du groupe de presse Unimédia. C'est le début de la fin. Le quotidien ne contrôle plus ses destinées et une partie de ses précieux revenus, qui auraient pu être réinvestis dans l'entreprise, sera siphonnée tous les ans vers la maison-mère. Passé d'Unimédia au vorace empire de Conrad Black (Hollinger) quelques années plus tard, puis aux ténébreux barons de Power-Gesca vers l'an 2002, le journal sera littéralement dépecé et laissé exsangue devant l'ultime assaut de l'Internet et de ses dérivés.
- Le Droit avait atteint ses sommets comme journal d'après-midi, livré par des enfants après l'école. Sa dernière édition était imprimée vers 14 h sauf le samedi. Dans les années 1980, on a périodiquement supprimé la dernière édition et livré au lectorat, à l'heure du souper, un journal confectionné la veille...
- En octobre 1987, Le Droit est devenu un journal du matin comme tous les autres. Une décision que je ne comprends toujours pas. La salle des nouvelles perd sa fébrilité d'antan, surtout en matinée alors que l'équipe s'efforçait de livrer au public des nouvelles de dernière heure (p. ex. l'explosion de la navette Columbia, la tentative d'assassinat du pape Jean-Paul II)...
- Fin années 1980, l'entreprise est amputée de son imprimerie commerciale... plus tard, Novalis quittera le giron du Droit...
- En 1988, Le Droit passe au format tabloïd et la salle des nouvelles perd le tiers de ses employés, dont des dizaines de journalistes. C'était ça ou la fermeture de l'entreprise, bien sûr. Méthode Hollinger...
- L'année suivante, le journal passe à la mise en page sur écran, qui se fait à la salle des nouvelles, et est transmise par ordinateur aux presses. Hollinger en profite pour fermer l'atelier de composition et se débarrasse des presses du journal. Le quotidien ne sera plus imprimé par sa propre équipe de pressiers...
- Le 29 décembre 1989, une ambiance funèbre règne dans le grand édifice du 375 Rideau, construit en 1953, alors que l'ordre est donné de déménager sur-le-champ dans de nouveaux locaux loués, privant les typographes de leur ultime chance de faire le montage du quotidien où certains travaillaient depuis plus de 40 ans...
- Moins d'une dizaine d'années après avoir été acquis par des groupes de presse, Le Droit a perdu au moins la moitié de ses employés, réduit l'espace rédactionnel, fermé sa salle des nouvelles de Hull et effectué des coupes draconiennes dans son équipe de journalistes.
- Le journal est déjà affaibli quand, au milieu des années 1990, l'Internet fait son apparition et devient graduellement une des grandes autoroutes de l'information. Une difficile cohabitation de l'imprimé et du numérique commence, qui durera une vingtaine d'années, jusqu'à ce qu'une nouvelle génération hypnotisée par les écrans sonne le glas des journaux papier...
- L'appétit pour l'encre s'est affadi chez Power-Gesca à mesure que le noir se teintait de rouge. Flairant sans doute des économies utiles pour les marges de profit et ayant drainé autant de revenus que possible des quotidiens vassaux en direction du vaisseau amiral montréalais, les magnats Desmarais ont annoncé en 2014 le passage éventuel de La Presse au tout numérique. Qu'arriverait-il aux quotidiens régionaux imprimés? Eh bien, ils vont disparaître, prophétisait André Desmarais.
- Les protestations furent beaucoup trop rares au sein des tribus médiatiques... La mienne, publiée sur mon blogue le 19 mai 2014, me valut un congédiement comme éditorialiste au Droit.
- Ne voulant pas qu'on se rappelle de l'empire Power-Gesca comme celui qui avait guillotiné six quotidiens québécois, on a vendu ces journaux en 2015 à Martin Cauchon, titulaire du nouveau Groupe Capitales Médias. On venait de passer de Charybde à Scylla...
- Affaibli et amaigri au sein de Power-Gesca pendant une douzaine d'années, Le Droit se retrouvait dans une mini-chaîne aux reins financiers plus que fragiles. En 2019, sans moyens de redressement et au bord de la fermeture, le quotidien de l'Outaouais (avec les cinq autres) s'est transformé en coopérative. Un répit, guère plus...
- Un an plus tard, grâce à la pandémie de COVID-19, la décision déjà prise (mais pas annoncée) de liquider l'édition papier est devancée, et Le Droit imprimée meurt le 24 mars 2020. On laisse entendre que c'est temporaire mais quelques mois plus tard, il n'y a plus de revenez-y! Ne vous inquiétez pas, nous dit-on, vous vivrez «une expérience de lecture inégalée»... Ça va être meilleur qu'avant...
- Tellement meilleur qu'au début de 2023, la direction de la coopérative informe les lecteurs que l'édition papier du samedi, qui avait survécu à la guillotine de mars 2020, sera aussi abandonnée à la fin de l'année...
- Tellement meilleur qu'en mars, la coopérative Le Droit est dissoute et fusionnée (avec les autres corps locales) en une seule entreprise coopérative, CN21, moins coûteuse... d'autres pertes d'emploi en perspective... Il reste de moins en moins de monde...
- Tellement meilleur qu'en avril, le 18 plus précisément, l'édition numérique quotidienne disparaît pour de bon, remplacée par un immense babillard Internet où des nouvelles sont affichées en temps réel dans un format peu convivial... L'accès payant à une «édition électronique», condensé quotidien d'actualité (surtout régionale) qui n'a rien d'un véritable journal d'information, ne sauve pas la mise.
- Tellement meilleur qu'à l'approche de l'ultime publication hebdomadaire papier (30 décembre 2023), on annonce pour une nième fois des coupes d'emploi, principalement sous forme de départs volontaires. Le Droit vient d'y perdre ses quatre journalistes sportifs et son chroniqueur judiciaire, tous des journalistes d'expérience...
Et là je viens de recevoir un courriel m'indiquant que l'offre numérique, à compter du 1er janvier 2024, sera «encore mieux que le format papier»...
Prenez votre petite capsule de cyanure, vous verrez, ce sera mieux après...
Tout cet argent (profits) est placé très judicieusement dans des paradis fiscaux où la plèbe (nous) n'a pas accès !!! Lire les livres d'Alain Deneault, par exemple: Une escroquerie légalisée
RépondreEffacerIl n'y a qu'un Dieu sur terre et c'est le FRIC !!!
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