mardi 12 décembre 2023

Vivement l'Université de l'Acadie!

Capture d'écran de Radio-Canada (Ici Nouveau-Brunswick)

En juillet 1987, pour la première et seule fois de ma vie, je me suis recueilli à l'église de Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse. J'en suis ressorti triste, ému presqu'aux larmes, grommelant contre ces ignobles Britanniques qui trouvaient parfaitement acceptable de recourir au génocide pour se débarrasser des paisibles occupants de l'Acadie.

Peu après, j'ai eu le privilège de lire le roman Pélagie-la-Charrette d'Antoine Maillet, et tout à coup, les images un peu abstraites de la déportation de 1755 et des pénibles tentatives de retour vers le sol natal prenaient forme humaine sous les traits de l'héroïque Pélagie, de Beausoleil et des autres. La tragédie devenait aussi épopée.

Sur ce drame plane l'ombre des coupables, ceux qui ont commandé et exécuté les ordres d'exterminer un peuple. Leurs noms ne doivent pas se perdre dans l'oubli ou, pire, être honorés. Vous me voyez venir. Je veux parler de Robert Monckton, personnage méprisable, brûleur de villages acadiens et superviseur de la déportation de plus de 1 000 hommes à Beaubassin en 1755.

Je peux comprendre que les émules de l'infâme Leonard Jones, ancien maire francophobe de la ville de Moncton, veuillent conserver pour leur ville le nom du vieux brûlot britannique. Mais que les Acadiens de 2023 acceptent une seconde de plus de fréquenter une université nommée Moncton, une université dont le simple nom constitue une gifle historique, ça je ne comprends pas!

Une des porte-parole du comité revendiquant un changement de nom pour l'université acadienne, Lise Ouellette, affirme que le choix du nom Moncton, remontant à 1963 alors que le français n'avait aucun statut officiel au Nouveau-Brunswick ou dans la ville de Moncton, avait été accepté par les francophones pour ne pas aviver les tensions linguistiques naissantes des années 1960.

Cette attitude, typique d'un peuple dominé et maltraité pendant plus de 200 ans, se voyait un peu partout à l'époque, à travers le Canada... et même au Québec. L'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario, au début des années 1960, expédiait son mémoire annuel au gouvernement ontarien en anglais seulement. On réclamait des écoles bilingues... Jamais on n'aurait osé officiellement dire écoles françaises. Encore récemment, l'Université bilingue d'Ottawa (qui se veut un haut-lieu du fait français) a installé son grand mat de la francophonie à la marge du campus pour ne pas offusquer les Anglais...

Le ressac anti-francophone, réduit pour un temps à l'état de braise, se rallume à nouveau un peu partout à travers le Canada et le Nouveau-Brunswick n'y échappe pas. La nomination d'un lieutenant-gouverneur unilingue anglais par la majorité anglo-canadienne (c.-à-d. le gouvernement fédéral) et les provocations constantes de Blaine Higgs et compagnie, jumelées au déclin de la proportion de francophones, n'augurent rien de bon. S'ils en avaient la chance, ces gens rebaptiseraient volontiers l'université acadienne «Lieutenant-Général Robert Monckton»... ou pire, «Charles Lawrence»...

Les Acadiens du Nouveau-Brunswick sont à la croisée des chemins. S'ils ne s'affirment pas davantage tout de suite, les Blaine Higgs auront le champ libre. Débarrasser leur université du nom de Moncton serait sans doute un geste symbolique, mais ce serait également un ferme avertissement que désormais, la nation acadienne entend se prendre en main. Les Acadiens ont réussi là où les Franco-Ontariens ont échoué... se donner une véritable université de langue française, la plus grande hors Québec et l'un des principaux phares de l'Acadie. Lui laisser un nom qui honore un des grands artisans de la déportation est inqualifiable!

Invoquer les coûts d'un changement de nom, cette fois, n'est rien de moins que déshonorant. On suggère ainsi que la fierté acadienne ne vaut pas les quatre ou cinq millions de dollars requis pour créer quelque chose comme «l'Université nationale de l'Acadie». Je n'aime pas ce mouvement visant à identifier les vilains de l'histoire du pays et les effacer de la carte là où leur souvenir subsiste. Mais parfois ça s'impose et on assume alors les frais. Récemment, le fédéral a débaptisé la promenade Sir John A. McDonald à Ottawa à cause du rôle de ce dernier dans la création de pensionnats autochtones. On lui a, bien sûr, donné un nom algonquin.

On me rétorquera qu'il faut choisir ses combats et que dépenser des millions pour modifier une appellation ne constitue pas un usage opportun de budgets exigus. Peut-être. L'Université de Moncton a joué et jouera un rôle clé dans toutes les luttes acadiennes. Voudra-t-elle vraiment continuer de protéger et promouvoir la langue française en hissant tous les jours l'étendard de Robert Monckton? Il semble que oui, du moins pour le moment, la direction de l'Université ayant opté pour le statu quo. Dans l'au-delà, si l'au-delà existe, le vieux lieutenant-général Monckton doit bien sourire...

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Lien au texte d'ONFR à https://onfr.tfo.org/luniversite-de-moncton-ne-changera-pas-de-nom/

Lien au texte de Radio-Canada - https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2034215/reactions-changement-nom-universite-moncton

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